281. — Dans sa forme ultime, la musique est certainement une prière, mais qui ne demande rien, qui donne. Sans attente de retour. Et plus gratuitement encore que Dieu.
282. — La rapidité n’est parfois que l’autre nom de la bêtise.
283. — Les vieux vivent repliés. Sur leur passé comme sur ce corps qui leur échappe de jour en jour. C’est leur façon de couver leur mort.
284. — L’homme de la rue, avec son ignorance obligatoire et son manque d’éducation supposé, est ce qui permet à des universitaires bardés de diplômes et lardés de science de clouer le bec à d’autres universitaires et de sortir ainsi indemnes du cercueil de la tour d’ivoire. L’homme de la rue est l’alibi des subventionnés populistes.
285. — L’obsession de l’ordinaire manifestée avec véhémence sur tous les écrans de télévision a au moins cet effet pervers de rendre incompréhensible, au point que parfois l’on s’en fâche, la célébrité médiatique accordée à celui ou celle qui, sous mes yeux, s’efforce tant de paraître aussi médiocre que moi.
286. — La responsabilité de définir le mal incombe à chacun. Car le mal est toujours notre mal propre et quiconque attend d’autrui qu’il l’incarne contribue à sa propagation.
287. — Nous vivons l’ère de l’égocentrisme de masse : chacun veut à toute force tout ramener à soi, un soi qui, par ailleurs, n’est plus qu’un naturel sans apprêt, comme si en se laissant aller à toutes les facilités qui composent les habitudes de perception et de réaction dont est fait le quotidien, on trouvait autre chose qu’un conditionnement social en forme de lieu commun.
288. — C’est le même sacré qui inspire et anime les religions et les arts : les religions sont concernées par ce qui dépasse l’homme, les arts par ce qui à la fois le résume et l’agrandit. Les religions bornent l’homme, les arts le prolongent dans tous les sens, de l’individu au groupe et du passé au futur.
289. — Savoir être vulgaire à point nommé n’est pas donné à tout le monde. Les gens vraiment vulgaires en sont parfaitement incapables.
290. — Dans un monde où la religion n’est plus qu’accessoire ou décorative et où nul sens du bien commun ne vient tempérer des appétits outranciers, l’éthique n’est plus que la bonne conscience des esclaves. Les puissants s’en passent fort bien. Le succès leur suffit.
Notice biographique
Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969. Outre des centaines d’articles dans des revues universitairesquébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le laJbyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012. Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, XYZ, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). En plus de cette ChroJnique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe. Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).