Un livre où les héros sont des hors-la-loi égoïstes et égocentriques, ça vous dit ?
Dans la ville portuaire de Ketterdam, une terrible rumeur court : une nouvelle drogue aurait envahi les rues, une drogue inédite qui rendrait les Grishas (humains aux dons particuliers) surpuissants... et totalement dépendants.
Un riche marchand s'en inquiète et offre une belle récompense à Kaz (membre éminent d'un gang, celui des " Dregs ") pour enlever Bo Yul-Bayur (suspecté d'être à l'origine de la drogue). Ce dernier est enfermé au Palais de Glace, dans le royaume voisin de Fjerda.
Pour mener à bien sa mission, Kaz s'entoure des meilleurs complices :
- Inej, acrobate hors pair surnommée Le Spectre ;
- Jesper, tireur imbattable ;
- Nina, elle-même Grisha spécialiste du corps et des émotions ;
- Matthias, ancien soldat connaissant bien le Palais de Glace ;
- et Wylan, expert en explosions.
Bourrés de vices, traumas, tares et faiblesses, les " Six of Crows " (du Crow Club, QG des Dregs) doivent pourtant apprendre à travailler ensemble s'ils veulent une chance de sortir vivants de leur mission...
Guerres de gangs, misère humaine, enjeux personnels... Oubliez paillettes et bons sentiments dans ce roman original au rythme haletant !
POURQUOI C'EST GÉNIAL
Ketterdam est la capitale de Kerch, île au milieu de la mer qui borde d'autres royaumes : Fjerda, Ravka, Shu Han... Autant de noms aux consonances étranges, qui permettent un dépaysement total dès la première page. À Ketterdam notamment, les noms de rue et des personnages (rue Burstraat, Hoost, Van Eck, etc.) induisent un milieu néerlandais que l'on n'a pas tant l'habitude de rencontrer en littérature jeunesse.
Intervention de Lupiot qui passe la tête dans l'entrebâillement : Ça me rappelle l'univers slave du très beau Combat d'hiver de Jean-Claude Mourlevat. Malgré la fantaisie de l'univers (magie, races hybrides...), les noms et descriptions évoquent clairement des villes comme Prague, par exemple !En ce qui concerne l'époque, on peut penser à notre XIXe siècle et sa révolution industrielle, nouvelles villes et magie en plus. Tous les codes à la Dickens sont là : ambiance des bas-fonds, alcools, jeux et dettes, petits et grands vauriens, lutte des classes...
Nous avons donc un univers qui utilise des codes connus et les renouvelle avec brio - et ça claque !
- #2. Des thèmes humains évoqués avec subtilité
Dans ce contexte d'univers alternatif assez noir, un point de tension est exploré plus que les autres : la loyauté.
- Aveugle loyauté envers un leader malgré la connaissance de tous ses défauts (Jesper).
- Dilemme de la loyauté envers ses racines/son éducation ou envers l'être aimé (Nina et Matthias) ;
- Loyauté familiale (Kaz)...
Chacun des protagonistes est, à un moment ou à un autre, confronté à cette question, et l'auteure déploie suffisamment de personnalités différentes pour nous offrir un éventail de réactions humaines riches et saisissantes.
Les passions (amour, haine, patriotisme, religion...) ou le manque de passion (amertume, abandon, désespoir...) sont également subtilement évoqués tout au long du récit, de manière à nous fait ressentir une forte empathie pour cette équipe de torturés.
Là où le roman est d'autant plus humain, c'est que Kaz, Inej, Jesper, Nina, Matthias et Wylan permettent d'explorer tout au long du récit des enjeux sociaux importants : prostitution, endettement, déracinement, multiculturalisme, mais aussi, plus particulièrement et tout en subtilité, homosexualité.
On a rarement vu un cast de persos aussi riche en termes de représentation. Y' a pas à dire, elle est cool, cette bande.
- #3. Un récit articulé autour de ses (anti-)héros
Tout le rythme du récit tient au fait que chaque chapitre change de point de vue narratif en fonction d'un membre de la bande (excepté le premier et le dernier chapitre). Cela nous permet d'apprendre à connaître chacun d'entre eux grâce (notamment) à de nombreux flash-back. Résultat ? Les 6 héros sont, objectivement, de parfaits vauriens, mais ils nous sont tous rendus absolument attachants... et imprévisibles !
Le suspens est donc parfaitement au rendez-vous ; pas de " ventre mou " dans ce roman aux abdos d'acier.
Ce qui permet le rythme effréné de l'intrigue, c'est donc ce lot de personnages atypiques, souvent vulgaires (les dialogues font très authentiques), à l'incarnation très soignée. Même Kaz, qui apparaît d'abord comme le superhéros génial et inébranlable, cache des blessures profondes (que l'on découvre au fur et à mesure). Jusqu'au dernier moment, on se demande si ... (SPOILER) va trahir la bande ou encore si ... (SPOILER) ne va pas mourir prématurément.
Malgré toutes ses qualités à effet bombe atomique, j'ai remarqué quelques légers, tout petits, mini, ridicules... " moins ".
POURQUOI (même si c'est génial) CE N'EST PAS (exactement) PARFAIT
- #1. Il faut un peu de temps pour rentrer dans l'histoire
Nouveau monde, nouveaux repères culturels et linguistiques... Les détails de mise en place de l'univers sont (très) nombreux et l'immersion dans le récit peut paraître difficile au début, notamment pour se situer dans l'espace.
Heureusement, le livre commence par deux cartes de ce monde créé par l'auteure et c'est plutôt un bon point si, comme moi, vous n'avez pas la boussole infuse.- #2. Des ados d'une maturité étonnante
Les " Six of Crows " ont tous des passés très lourds et des caractères forts et indépendants. Ils font notamment preuve d'une maturité impressionnante, de sorte qu'on a tendance à oublier leur âge : ils ont seulement entre 15 et 18 ans !
Heureusement que c'est rappelé à plusieurs reprises.Parmi " les six ", le personnage de Wylan est le moins développé, malgré son grand potentiel et sa place centrale dans l'intrigue. C'est dommage de constater un traitement différent des autres membres de l'équipe, qui eux sont déployés de façon assez équilibrée.
Heureusement, le tome 2. La cité corrompue est sorti en France le 24 mai et j'ai grand espoir de voir Wylan " grandir " et s'affirmer au sein de l'équipe. (Surtout sur Wylan, il est pitchoun, quoi.)EN CONCLUSION
Une aventure originale et haletante, avec des protagonistes ambigus et une morale loin d'être pieuse (#CestSiBonDEtreVilain) ... Une très belle découverte que je recommande à tous ceux qui cherchent le dépaysement !
Bonne lecture,