Nous sommes en 177 du Calendrier Rhovellien. Cela fait donc moins de deux siècles que l'empire d'Asrethia s'est effondré. De cette apocalypse, on ne sait rien, et c'est une autre histoire qui nous sera peut-être racontée un jour. En attendant, nous sommes dans un univers encore très rudimentaire, qui continue à se reconstruire, mais qui reste fragile et surtout menacé.
En effet, la Rhovelle est le cadre d'étranges manifestations, qu'on appelle des "anomalies" et qui, pour le peuple, sont des manifestations de sorcellerie, ni plus, ni moins. Cette puissance pourrait s'avérer redoutable si un envahisseur sachant la maîtriser voulait conquérir la Rhovelle. Alors, on a construit de puissantes murailles, des châteaux forts charger de retarder l'échéance.
Pour le reste, il faudra mettre toute sa foi en Wer, le Dieu unique sous l'égide duquel le royaume de Rhovelle a été fondé après la chute d'Asrethia par saint Ysmel. Et espérer que cela soit suffisant pour repousser des ennemis que l'on craints bien supérieurs. Mais la Rhovelle est également fragilisée de l'intérieur, sur le plan politique.
Eoel II, descendant de saint Ysmel et roi de la Rhovelle, souffre d'une grave maladie qui le prive de ses facultés et l'empêche de gouverner. Les sept provinces du royaume ont donc fondé un conseil de régence réunissant des représentants de chacune d'entre elle pour maintenir la plus grande stabilité possible.
Mais, Raed de Magnécie, gouverneur-duc de la province et oncle du roi Eoel vient de mourir. C'est son fils cadet, Juhel, surnommé l'Austère (et celui-là n'est pas du genre "austère qui se marre", croyez-moi), qui lui succède. Avec en tête d'autres ambitions, qui n'ont plus grand-chose à voir avec le projet initial destiné à veiller sur le royaume de Rhovelle.
Belliqueux et assoiffé de pouvoir, Juhel se verrait bien concentrer tous les pouvoirs entre ses mains et lancer une campagne forcément victorieuse pour asseoir son pouvoir et la puissance de la Rhovelle. Bien sûr, autour de lui, le reste du conseil de régence ne l'entend pas de cette oreille et, alors que le danger semble se rapprocher, la Rhovelle ne semble jamais avoir été aussi fragile...
Tous ces jeux de pouvoir sont à des années-lumières des préoccupations de Mériane, une jeune femme qui vit isolée dans une forêt de la Rhovelle. Elle est une paria, elle a été chassée de son village et vit désormais de ses prises de chasse. Une jeune trappeuse qui a fini par s'accommoder de la solitude et du rejet des autres et s'est construit une vie tranquille.
Oh, il y a bien ces anomalies, de plus en plus nombreuses, qui représentent un danger croissant, mais elle a appris à se défendre et connaît la forêt mieux que personne. Mais, un jour, on frappe à sa porte. Devant elle, un moine croisé de l'église de Wer. Avec l'autorité que lui confère le service du Dieu, il requiert la présence à ses côtés de Mériane.
Incrédule et pas vraiment décidée à le suivre, Mériane renâcle. Plus encore quand elle apprend que leur objectif sera de retrouver un de ces anomalies... pour y pénétrer ! Or, s'il y a bien un truc que sait la jeune femme, c'est qu'il faut se garder d'approcher les anomalies, sous peine de terribles conséquences.
Contrainte de céder, Mériane accepte de remplir la mission contre la promesse de rentrer ensuite chez elle. Elle ne le sait pas encore, mais elle va ainsi sceller son destin, car, après ce voyage, elle ne sera plus jamais la même. Elle va se retrouver habitée par une voix qui se prétend être celle de Dieu et affirme vouloir la guider...
Pardon, c'est un peu long pour une entrée en matière. J'ai essayé de bien planter le décor sans trop en dire et, faites-moi confiance, il se passe énormément de choses qui n'apparaissent pas dans ce petit résumé. Sans compter qu'on part pour une trilogie musclée, ce premier tome dépassant les 600 pages, et les suivants s'annonçant au moins aussi épais.
Comme je l'expliquais en introduction, "La Messagère du ciel" est un roman post-apocalyptique dans un univers de fantasy. Cela amène une précision d'importance : c'est le quatrième livre de Lionel Davoust à se dérouler dans l'univers d'Evanégyre après "la Volonté du Dragon", "la Route de la conquête" et "Port d'âmes" (récemment sorti chez Folio et que je ne saurais que trop vous conseiller).
Des récits qu'on peut lire dans n'importe quel ordre et indépendamment des autres mais qui, petit à petit, fondent Evanégyre. Ils ne se suivent pas, d'abord parce qu'ils se déroulent à des années, voire des siècles de distance les uns des autres, mais se complètent. Et les histoires les plus anciennes éclairent les plus modernes.
Il y a quelque chose que je trouve formidable chez Lionel Davoust : son travail sur l'histoire, bien sûr, mais aussi son corollaire, un travail sur les mythes. C'est criant dans "La Messagère du Ciel", vous le verrez. On y retrouve en effet, par-ci, par-là, quelques traces de ce qui fut à l'époque de l'empire d'Asrethia. Des traces sur lesquels ne se fondent d'ailleurs pas que les mythes, mais aussi les superstitions.
Nous sommes dans une époque très dure, la foi en Wer est très forte, mais elle s'accompagne de tout un corpus de croyances qui sont en fait liés à ce qu'on ne s'explique pas. Ainsi, les savoirs scientifiques en vogue en Asrethia ont disparu et, désormais, leurs manifestations sont interprétées différemment, comme de la sorcellerie, en particulier...
Evanégyre est un univers d'une grande richesse, que Lionel Davoust nous fait découvrir étape par étape, événement après événement, période après période. Et ce qui frappe, c'est cette grande cohérence, cette construction globale très complexe mais passionnante. En variant les genres, les tonalités, les choix narratifs...
"La Messagère du ciel", par exemple, est un roman choral, le lecteur adoptant à tour de rôle le point de vue des différents personnages, ce qui permet de construire une grande fresque, avec des fils narratifs qui s'entrecroisent, un peu à la façon de "Games of throne". On suit donc les parcours de plusieurs personnages, dont Mériane et Juhel, évoqués plus haut.
Le côté très amusant de cette nouvelle trilogie, c'est que Lionel Davoust s'amuse avec la légende de Jeanne d'Arc. Mériane, comme la Pucelle d'Orléans, est donc sujette à des voix qui lui ordonne de laisser tout derrière elle pour remplir une mission de la plus grande importance, capable de sauver le royaume dont elle est originaire.
Il ne s'agit pas d'une transposition à la lettre. Mériane n'est pas Jeanne d'Arc, elle s'inspire d'elle. Avec des points communs : sa place dans la société en tant que femme, à la fois dans la société civile ou dans le cadre du dogme religieux. Elle est paria parce qu'on la soupçonne d'être liée à la sorcellerie, elle aurait donc très bien pu se retrouver sur un bûcher...
Elle va se lancer dans une grande quête où elle va d'abord devoir convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé... Euh, pardon, je confonds... Elle va devoir faire ses preuves et accepter son sort pour mieux le remplir. Ce rôle, il sera sans doute de se dresser contre l'envahisseur, mais c'est encore un peu tôt pour le dire...
Pourtant, elle est très différente de Jeanne, également. D'abord, parce qu'elle n'a pas la foi chevillée au corps. Au contraire, elle nourrit une sérieuse rancune envers les dieux. Si elle est paria, c'est de leur faute, Wer en tête. Et cette voix dont elle n'arrive pas à se débarrasser, elle ne l'accueille pas avec humilité et confiance, mais avec des noms d'oiseaux et une furieuse envie de la débrancher !
Cela vaut quelques échanges assez savoureux entre la jeune femme et cette voix, qui se livrent un combat oratoire de haute volée. Mériane se résigne à ce que cette voix continue à la guider, mais cela ne calme ni sa colère, ni son caractère, très entier. Entre elle et ce soi-disant dieu, ça fait des étincelles, et pas qu'un peu...
Pour le reste, dans un royaume qui vacille, coincé entre un ennemi extérieur et de violents troubles intérieurs, devant affronter un ennemi possédant des armes terrifiantes et possédant la supériorité en nombre, on retrouve des éléments classiques de fantasy épique. Et l'on cherche, à chaque apparition de Mériane, à savoir à quel moment on se trouve, en se calquant sur la vie de Jeanne.
Ah, reste un élément que je n'ai pas encore directement abordé... Les Dieux, ces dieux sauvages qui servent de titre à la trilogie. Là encore, on retrouve le côté mythologique du travail de Lionel Davoust, puisque, à l'image de la tradition antique, ils jouent un rôle véritable dans le récit. Ils sont même les maîtres du jeu...
Je n'ai pas relu "la Volonté du Dragon" avant d'écrire ce livre, mais il me semble qu'on retrouvait, sous une forme différente, quelque chose de proche. La bataille navale au coeur de ce court roman ressemblait fort à une partie d'échecs où les monarques des royaumes belligérants agissaient comme des joueurs, déplaçant leurs pièces au gré de leur stratégie et des mouvements adverses.
Dans "la Messagère du Ciel", je n'ai pas retrouvé cette idée de la partie d'échecs mais quelques chose qui m'a plus fait pensé à du jeu de rôles. Wer et son frère Aska se livrent un duel sans merci par le truchement des forces en présence en Rhovelle, cherchant à remplir des quêtes, à remporter des combats, à renforcer leur puissance et leur expérience sans trop laisser de vies en route.
Mais qui sont vraiment Wer et Aska ? Sont-ils bien ce qu'ils prétendent être, des dieux omnipotents et omniscients ? Cet "ailleurs" (c'est le titre des chapitres dans lesquels ils interviennent) serait-il une espèce d'Olympe à la mode d'Evanégyre du haut de laquelle ils observent et manipulent les humains ? Ou bien doit-on, comme Mériane, douter de ce que l'on voit et les considérer d'un oeil plus prosaïque ?
Encore des questions qui devront trouver des réponses dans la suite de cette trilogie, très bien née avec ce premier tome certes dense, mais qui prend le lecteur. Le choix du roman choral, de ces différents fils narratifs, tout cela concourt à aiguiser l'intérêt du lecteur. Quant aux éléments de fantasy, ils sont bien là, au rendez-vous.
De la magie, oui, des combats, des trahisons et des manigances, des puissants qui aspirent à l'être encore plus, des personnages fourbes et d'autres justes, mais aussi des personnages qui pourraient trouver la rédemption ou voir leurs certitudes bousculées et même renversées. Nul doute qu'entre les personnages croisés dans ce premier tome et ceux qu'on laissera à la fin du troisième, il y aura un monde...
En attendant, si vous n'avez pas encore mis les pieds à Evanégyre, je vous y encourage. Et si vous n'êtes pas encore tout à fait convaincu ou si tout ce que j'ai évoqué vous semble un peu abstrait, voilà un lien qui devrait vous aider à vous familiariser avec cet univers : une conférence enregistrée lors des dernières Imaginales : http://www.actusf.com/spip/Imaginales-2017-Ecrivan-batisseur.html
Et puis, tout ce mois de juin, Lionel Davoust est l'invité Book en Stock, sur lequel il répond à toutes vos questions... Ne soyez pas timides !
http://bookenstock.blogspot.fr/2017/06/interview-de-lionel-davoust-tome-1.html