- Miss Pas Touche -

Par Valentine Pumpkins @valpumpkins

Comme je n'ai pas assez de livres dans ma pal, il m'arrive de faire des descentes à la bibliothèque (cette phrase contient tellement de mauvaise foi que ça en devient indécent) histoire de rattraper quelques ratés dans mon éducation bd, éducation que Mary prend très au sérieux. C'est donc les bras chargés des 4 tomes de Miss Pas Touche que je suis rentrée toute guillerette chez moi. Beaucoup moins guillerette, c'était toujours moi, mais cette fois, à la fin de ma lecture. Aujourd'hui, je vous débriefe donc ce moment de déprime et de perte de confiance totale en l'humanité.

Quand deux jeunes filles de province débarquent dans le Paris des années 30 pour chercher du travail, elles n'ont pas l'embarras du choix : elles deviennent bonnes à tout faire dans la haute société. C'est le lot d' Agathe et de Blanche, deux sœurs qui astiquent, lavent et récurent chez une patronne très comme il faut. Autant Agathe est légère et insouciante, autant Blanche est prude et timide. Et quand sa sœur va guincher sur les bords de Marne à la recherche du prince charmant, Blanche l'attend dans leur chambre nichée sous les toits. Une nuit, Blanche entend des bruits bizarres dans une pièce de l'immeuble mitoyen - chose étrange, ledit immeuble étant muré pour insalubrité. Curieuse comme pas deux, elle creuse un trou pour en savoir plus. Et découvre une scène horrible : une fille mutilée réduite à l'état de macchabée. Et si c'était un nouveau crime du sinistre "Boucher des guinguettes" ? À son retour, elle en parle à sa sœur. Mais Agathe a tout juste le temps de glisser un œil à son tour avant de recevoir une balle... "Suicide", dit la police. Puisque c'est comme ça, Blanche mènera l'enquête toute seule. Et voilà comment elle se fait engager dans une "maison de joie", le Pompadour, où elle est chargée des clients un peu spéciaux. Au moins, elle ne perdra pas sa chère virginité...

L'avis de Sainte Nitouche


Ce qui m'a donné envie de lire cette série, c'est l'ambiance "Années 30" qui suinte dès l'illustration de couverture. J'avais lu un résumé dans un endroit bien connu mais mystérieux : le "je ne sais plus où" et je m'attendais à une petite et simple enquête policière, une transposition de Jack L'Éventreur à la fin des années folles, avec deux jeunes demoiselles en héroïnes pleines d'allant. Oui, bon. PAS DU TOUT. Dès les premières pages, je me suis pris le meurtre de l'une des deux frangines en pleine poire, ça m'apprendra à être optimiste, ma brave fille. Pas de spoiler ici, ne me râlez pas dessus, c'est dès le début et c'est dans la quatrième de couverture, j'ai une mémoire de poisson rouge, ça se confirme.

Donc, après le meurtre de sa sœur, c'est la jeune Blanche qui passe au premier plan. Déterminée à comprendre ce qui s'est passé, la demoiselle passe de l'oie blanche, jeune pucelle naïve et sans reproche, à l'enquêtrice qui ne recule devant rien pour découvrir la vérité. Et pour cela, pas le choix, elle doit s'incruster au Pompadour, célèbre maison de joie (un bien beau mot pour dire "bordel de luxe") de Paris. Une vierge dans un bordel (le titre du premier tome), ça peut paraître bizarre. Mais Blanche n'est pas sans ressource (et les tenanciers non plus) et la Miss qu'on ne peut pas toucher va découvrir qu'on peut faire bien des choses sans toucher à son si précieux hymen.

Alors, je sais qu'on ne dirait pas comme ça, mais non, l'intrigue ne va pas tourner uniquement autour du commerce du sexe, le bordel n'est pour Blanche qu'un moyen d'arriver à ses fins, et de scènes vulgaires et pornographiques, vous ne verrez pas la couleur. Tout est dans la subtilité, dans la suggestion. Mais, attention pour les cœurs fragiles, ça n'en est pas moins difficile.

La série peut être divisée en deux parties :

  • Les deux premiers tomes, La vierge du bordel et Du sang sur les mains, traitent de l'histoire du "Boucher des guinguettes", en lien étroit avec le meurtre d'Agathe, la sœur de Blanche. C'est sombre, c'est violent et certains adeptes de films d'horreur reconnaîtront un film bien connu du genre (que je ne citerai pas ici, le spoiler ne passera pas par moi)
  • Les deux suivants (et derniers), Le prince charmant et Jusqu'à ce que la mort nous sépare, présentent toujours Blanche en héroïne et le bordel comme centre de son monde mais un jeune homme, Antoine, fait ici son apparition. Et alors là, accrochez-vous encore plus à vos bretelles, parce que si le début tenait plus du thriller, là, nous sommes en plein dans une réalité sociale, peu connue mais absolument horrible et terrifiante.

C'est ce mélange des genres qui m'a totalement séduite. Miss Pas Touche surfe allègrement entre le thriller, le polar, l'horreur, la peinture sociale, la réalité historique, la représentation des mœurs, etc. On y croise même quelques personnalités de l'époque en question. Pas de sentimentalisme ici, Blanche en voit de toutes les couleurs et sa vie n'est pas facile (et ne va pas en s'arrangeant). L'héroïne tient d'ailleurs le récit à elle toute seule, sur ses maigres épaules de jeune fille volubile et niaise, elle devient un instrument de vengeance sans peur et absolument pas sans reproche. Difficile de s'attacher entièrement à elle, qui ne recule devant rien pour avoir ce qu'elle veut. Néanmoins, son évolution est très intéressante et le récit, dans son ensemble, est prenant.

Les deux premiers tomes sont les plus intéressants et peuvent aisément se lire seuls, sans se précipiter ensuite sur les deux derniers. Pourtant, Le Prince Charmant et Jusqu'à ce que la mort nous sépare sont absolument bouleversants et, presque, traumatisants. Pour tout vous dire, j'ai terminé la série en vouant une haine profonde envers l'héroïne, produit de son époque, mais tout de même... Ça n'excuse pas tout.

Enfin, parler d'une bd sans mentionner le travail de l'illustrateur, c'est un peu idiot donc : le dessin est superbe et colle parfaitement à l'ambiance et à l'atmosphère générale du récit. Les dégaines des demoiselles du bordel, et de Blanche en particulier, ne sont pas sans rappeler les gravures de mode de l'époque, fines, élancées, le chic "à la parisienne", nous sommes vraiment plongés dans cette époque et la chaleur des couleurs et du graphisme aide un peu à supporter la dureté de l'histoire. Bref, Broco conseille (mais à ne pas mettre entre toutes les mains tout de même).