Je suis sur ses lèvres. Le matin et plusieurs fois par jour. Comme un mot en attente, qui ne dépasse pas cette frontière ténue entre l’esprit et le dit. Sur ses lèvres. Je sais bien que je ne suis pas le seul, qu’elle m’est infidèle, que la nuit, ou d’autres jours, d’autres que moi se posent, dociles, au même endroit.
Je connais bien sa bouche, qu’elle n’aime pas. Je connais les regards qui se posent dessus lorsqu’elle parle ou pas. Je connais le désir qui passe là, provenant de cette bouche, arrivant sur cette bouche.
Je colore cette bouche car elle la veut ainsi, comme pour la protéger, comme pour l’améliorer, la rendre visible. Bouche phare guidant ses paroles autant que les regards. Comme si j’y pouvais quelque chose, moi, à sa timidité, à sa difficulté, fréquente, à prendre la parole. Prendre. La parole.
Je suis son garde-fou, je suis son garde-bouche.
Sa voix irrégulière est parfois inaudible. Comme si, moi, sur ses lèvres, je pouvais améliorer les choses. Donner de la confiance à ces mots, à cette voix qui passe comme un souffle agréable, vent chaud et résonnant.
Ses mots passent par moi avant de se jeter, insolites, dans le vide monde. Monde à bouffer. Monde à embrasser. Elle protège sa bouche pour se protéger, elle.
Elle s’applique pour m’appliquer. Je glisse, je m’étale, n’ayant d’autre objectif, finalement, que de la rassurer sur la valeur probable de ce qu’elle prononce ou de ce qu’elle montre. Elle me donne vie, je lui donne courage.
Je suis sur ses lèvres, elle s’apprête à parler et j’en frémis d’émoi.