Y’a toutes ces filles en moi qui se crêpent un chignon imaginaire. Tous ces mecs qui jouent à qui pisse le plus loin. Y’a cet homme, aussi, assis, avec ses binocles trop petits pour son tarin avec son vieux costume gris, qui les regardent et ne dit rien ; il sourit. Dedans, c’est un bordel monstre, et, le con, il sourit. Et moi, je souris avec lui, tellement fort parfois que j’en ris. Mais maman, ça ne la fait absolument pas rire ce désordre, et souvent elle grogne un « va ranger ta caboche, une chatte n’y retrouverait pas ses petits ! ». Alors d’un coup, j’ai mal au cœur. À cause de ce type qui sourit alors que maman a les larmes aux yeux ; à cause de ce bordel dans ma tronche où elle ne retrouvera jamais sa petite ; parce que, comme j’en ai besoin je suis infoutue d’y mettre un peu d’ordre. J’ai besoin de tous ces mecs en moi qui rient gras, de toutes ces filles en moi qui sortent les griffes, de ces mômes qui s’agitent dans tous les sens et braillent à chaque bleu au genou, de ces vieux de l’autre côté de la grille qui haussent les épaules sous leur large imper et disent comme ça « on a beau passer notre vie à courir, on est toujours coincé entre hier et demain ». J’ai besoin de ce bordel monstre, de tout ce bruit, de ces personnages qui ne me ressemblent pas, de ces vies qui ne sont pas les miennes, pour trouver le monde assez sexy pour en avoir envie, mais quand même un peu dégueulasse pour vouloir le refaire de temps en temps. Mais maman elle a mal au cœur parfois, quand elle me voit me débattre au milieu de mon capharnaüm, et souvent elle me fait une place sur son banc pour que je vienne me reposer cinq minutes et y voir avec elle la vie comme est belle. Mais, moi, je ne peux pas rester là même cinq minutes, je ne sais pas, avec l’impuissance de mes bras de petite fille, contempler les fleurs flétrir. Parce qu’au fond, à regarder fixement, que ce soit un tableau un poème un sourire, la huitième merveille du monde, ou ton reflet dans le miroir, à un moment donné l’image finit toujours par se déformer jusqu’à en devenir laide ; et à chaque fois, je me demande « mais putain, comment font ces gens qui s’échinent à vouloir exister dans un monde où tout est laid ? ». Alors, pour ne jamais les croiser, je plisse un peu fort des yeux pour que l’image ne se fige jamais vraiment et, quand j’ai trop mal au crâne à force d’y faire des plis je hisse les voiles, avec toutes ces filles en moi qui se crêpent le chignon, avec tous ces mecs en moi qui jouent à qui pisse le plus loin, avec mon désespoir qui, lui aussi, ça fait un bail qu’il ne tient pas en place sur son banc. Et, à chaque fois que je préfère lever l’ancre, elle me regarde partir avec dans mon sac mon bordel monstre, avec dans ses yeux ses larmes impuissantes de maman. Et moi, je voudrais juste cesser d’avoir mal au cœur comme ça, à chaque fois qu’elle ne voit pas comme le large me rend belle, et comme en fait je n’ai presque pas le mal de mer.
Notice biographique
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture. C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorité, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.