Continuer, Laurent Mauvignier

Continuer, Laurent Mauvignier


Sibylle vit avec son fils Samuel, et est séparée du père de ce dernier.
Lorsque son fils se retrouve impliqué dans une agression sexuelle, Sibylle décide de partir plusieurs mois avec lui au Kirghizistan, traverser le pays à cheval, l'aider à renouer avec une passion qu'il avait enfant, et ainsi, espère-t-elle, lui permettre de se retrouver face à lui-même et de trouver une voie pour devenir adulte. Mais le périple se révèle plus dangereux qu'elle ne l'imaginait.

Le topo de départ, admettons-le, fait froid dans le dos : en mettant sa protagoniste dans la peau d'une mère qui apprend que son fils a assisté à une agression sans intervenir, Laurent Mauvignier se place d'entrée de jeu du côté des auteurs qui prennent des risques, qui vont se confronter à une réalité dont on ne peut parler qu'en prenant mille précautions.
J'ai immédiatement pensé à Lionel Shriver, et son foudroyant Il faut qu'on parle de Kevin. Néanmoins, il ne s'agit pour Mauvignier que d'un point de départ : le récit est rapidement transporté dans les montagnes du Kirghizistan. Et c'est au tour d'une autre situation complexe de prendre le relais; car le projet de Sibylle, s'il est surprenant, n'est pas sans faire écho à une certaine folie du voyage qui s'est développée depuis quelques décennies, le voyage devenant un gage d'ouverture et d'altruisme, un marqueur social aussi bien sûr, un choix attestant d'une dimension spirituelle supérieure. Le voyage devient une réponse au mal-être, quel qu'il soit, il touche, je pense, de plus en plus de gens, mais reste - à mes yeux du moins - entaché d'un certain snobisme, car ne voyage pas qui veut, néanmoins il est devenu commun d'agir comme si tel était le cas. Dans certains milieux, il n'est pas rare de croiser des étudiants qui, las de leurs études et peu emballés à l'idée d'amorcer leur vie professionnelle, partent plusieurs mois, jusqu'à un an, faire un tour du monde. Normal. Une fois engagés dans la vie active, le voyage devient ce rendez-vous au moins annuel, il prend des proportions impressionnantes, car les destinations sont souvent les US, le Pérou, la Thaïlande, Bali... On ne parle plus de Barcelone ou d'Ibiza, qui sont réservées aux petits joueurs.
Bref, je n'ai rien contre les voyages, il est au contraire formidable de pouvoir voyager, mais suis toujours épatée par le côté naturel que cela peut revêtir parmi les Cadres, en particulier.
Tout ça pour dire, Mauvignier, revisite le mythe du voyage en lui rendant figure humaine, en soulignant les risques auxquels des Européens un peu naïfs et longtemps préservés sont capables de s'exposer, et le poids des désillusions.

Finalement, épiphanie il y a, puisque Samuel ressort transformé du périple. Mais pas pour les raisons que l'on peut s'imaginer.

Continuer est un roman audacieux, qui repose sur des voix divergentes, révélant les différentes facettes d'une situation, et toutes ses vérités. Si l'issue du roman semble se diriger vers un certain manichéisme, l'écueil est évité tout au long de l'intrigue, invitant le lecteur à ne pas se ranger derrière des réflexes de pensée banals, et à envisager que nous n'avons toujours, à chaque moment, accès qu'à une vision très partielle des choses.


"Il avait été furieux de se sentir en danger, de se sentir démuni, vulnérable, de voir que sa mère avait sympathisé et ri avec Djamila, comme si à chaque fois que sa mère avait un moment où elle pouvait ne pas être uniquement sa mère, il devenait furieux."

"On n'est pas un autre. On n'est que ce corps, on n'est que ce désir bordé de limites, cet espoir ceinturé. Alors il faut apprendre à s'en rendre compte et à vivre à la hauteur de sa médiocrité, apprendre à s'amputer de nos rêves de grandeur, vivre au calme, à l'abri de nos rêves.
[...] Le plus souvent elle oublie, mais parfois ça revient : une bouffée de honte. Elle n'éprouve même pas un vague sentiment de tendresse, de pitié amusée, de reconnaissance pour la jeune femme qu'elle a été, qui avait cru qu'on peut vivre et accomplir des choses plus grandes que nous."

"On ne fait pas de projet d'avenir - les projets, c'est pour ceux qui n'ont pas de présent. Quand le présent vous comble, pourquoi aller chercher demain ce qui s'accomplit pleinement chaque jour?"