La jeune fille et la guerre, Sara Novic

Alors celui-là, je ne sais pas, mais alors pas du tout, comment il m'a atterri entre les mains. Sans doute la ressemblance avec le nom du quatuor à cordes de Schubert (la mort, la guerre, on est quand même dans le même thème). Merci Franzounet de m'avoir aléatoirement si bien orientée.

La jeune fille et la guerre, Sara Novic


Ana est une jeune femme d'apparence normale, vivant dans le New Jersey avec ses parents et sa sœur Rachel.
Mais en réalité, l'histoire d'Ana n'est pas celle de tout un chacun. Sa soeur Rachel et elle ont été adoptées, après avoir perdu leurs parents pendant la guerre de Yougoslavie, au début des années 1990. Devenue adulte, Ana décide de retourner en Croatie, à Zagreb, où elle a grandi jusqu'à cette période qui a marqué sa vie.

Visiblement, La jeune fille et la mort est un premier roman.
J'en suis sidérée, tant le style est affirmé, la trame maîtrisée, et le sujet grave.

En premier lieu, le roman a présenté pour moi un intérêt de "vulgarisation historique" : je n'avais pas en tête l'implication de la Croatie dans les guerres qui ont fait imploser la Yougoslavie, persuadée que seules étaient engagées la Serbie et la Bosnie Herzégovine. A cet égard, l'histoire d'Ana et de sa famille lève le voile sur cet angle moins connu de la guerre.

Par ailleurs, l'auteur touche le lecteur à travers le personnage d'Ana, qui voit ses parents tués sous ses yeux (scène racontée sans pathos dégoulinant, il ne s'agit pas de faire pleurer dans les chaumières, c'est sans doute pour cela que le récit est poignant), qui reste déchirée par des sentiments ambivalents, à l'égard de ses parents adoptifs, de sa sœur, de son ami Luka, de Petar et Marina, qui, après l'épisode où elle était enfant soldat, l'ont aidée à rejoindre les Etats-Unis. Tâchant elle-même d'analyser et de comprendre ses pensées et ses comportements, elle pointe ce qui est pour elle de l'égoïsme, les nombreux questionnements identitaires qui l'occupent, les questions restées sans réponse en Croatie, le jour où elle en est partie.

En outre, une grande partie du roman véhicule le regard porté par la petite fille sur les événements au milieu desquels elle se retrouve prise. Ce choix de l'auteur limite nécessairement la compréhension de ce qui se passe réellement, mais a pour intérêt de traduire sans filtre la réalité. Certaines considérations, comme la façon dont les adultes s'adresseront à elle par la suite, dont les journalistes se comportent au cœur de la guerre civile, dont les gens meurent ou survivent, glacent d'effroi. Pourtant, il n'y a là aucun sensationnalisme, on croit véritablement aux mots que l'auteur place dans la bouche d'Ana.

J'ai donc pour ma part été impressionnée par ce premier roman sans concessions, et guetterai avidement l'actualité de son auteur...


"Au début, les adultes - partagés entre intérêt et voyeurisme - m'avaient interrogée sur la guerre, et j'avais raconté sans fard ce que j'avais vu. Cependant, mes récits étaient souvent accueillis par des regards fuyants, comme s'ils s'attendaient à ce que je remballe ma marchandise en affirmant qu'une guerre ou un génocide, après tout, ce n'était pas si grave. Ils me présentaient leurs condoléances, comme il convenait de le faire, avant de s'enliser poliment quelques instants pour enfin trouver une excuse mettant fin à la conversation."

"[...] un journaliste, une espère que je ne parvenais toujours pas à comprendre. Des étrangers, chantres de la morale, qui restaient toutefois en retrait et immortalisaient les gamins ensanglantés qu'ils croisaient sur leur chemin."

"_Certains affirment que les Balkans sont intrinsèquement violents. Que tous les cinquante ans, on se sent obligés de faire la guerre.
_J'espère que c'est faux."