"Même avant de découvrir mes capacités, je m'évadais par les livres. Ce magasin... Les librairies... Les bibliothèques... c'est ce qui s'approche le plus d'une église pour moi".

Par Christophe
La magie de la lecture, pour nombre de passionnés, c'est de s'évader de son quotidien, mais aussi de plonger dans un livre, de s'imaginer pénétrant cet univers, cette histoire. Et puis, pour d'autres, cette magie est à prendre au sens littéral, comme le personnage principal du livre dont nous allons parler. De la fantasy urbaine dédiée aux geeks amoureux de SFFF, voilà pour la présentation en quelques mots de cette série intitulée "Magie ex libris" et signée Jim C. Hines. Le premier tome, "le Bibliomancien", est paru en grand format aux éditions de l'Atalante (traduction signée Lionel Davoust, encore lui !!) et c'est un pur divertissement, plein de trouvailles et de rebondissements et porté par un personnage central, Isaac Vainio, parfait antihéros aux aptitudes extraordinaires, banni en quête d'une hypothétique rédemption, ado attardé qui pourrait bien devenir une espèce de super-héros s'il sort de son cocon. Accrochez-vous, ça dépote ! Et ne sortez plus sans vos livres !

Isaac est un jeune homme ordinaire, qui occupe le poste de bibliothécaire à Copper River, dans le Michigan. Un passionné de science-fiction et de littératures de l'imaginaire en général. Enfin, si vous le croisiez, vous penseriez certainement avoir en face de vous un jeune geek, carrément un nerd, si vous connaissez le mot, et rien de plus.
Bon, forcément, si vous repérez, à sa ceinture, la petite cage dans laquelle il garde son animal de compagnie, en fait sa meilleure amie, votre regard changera forcément. En effet, Titache, qui accompagne Isaac partout, est une araignée. Ne frissonnez pas, je n'ai pas encore tout dit : Titache est un animal un peu spécial, une araignée-flamme : lorsqu'un danger menace, elle prend feu...
Ah, vous voyez qu'Isaac vous semble déjà plus intéressant (ou plus cinglé) qu'il y a cinq minutes ! Bon, lorsqu'on fait ça connaissance, il n'a pourtant l'air que d'un simple bibliothécaire en train d'entrer dans la base de données de son établissement les derniers livres acquis avant de les mettre à disposition du public.
Un journée ordinaire, somme toute... Jusqu'à ce que Titache, véritable signal d'alarme ambulant (à déconseiller, toutefois, en milieu inflammable), prend feu. Mieux qu'une enseigne clignotante affichant le mot "DANGER". Aussitôt, les sens d'Isaac sont en alerte, si l'araignée réagit ainsi, c'est qu'un problème approche.
Comme ce petit groupe de personnes qui se dirige vers la bibliothèque d'un pas un peu trop décidé. Isaac essaye bien de fermer illico la bibliothèque, mais il n'est pas assez prompt et ces visiteurs impromptus ont le temps d'entrer. C'est lui qu'ils veulent voir. Et pas pour faire ami-ami. Oh, non, direct, les gros mots et les menaces...
Et comme le jeune homme n'est pas décidé à répondre poliment aux questions qui lui sont posées, en peu de temps, la paisible bibliothèque se transforme en champ de bataille. Un soudain déferlement de violence très inhabituel dans une bourgade calme et sans histoire comme Copper River. Et, croyez-le si vous voulez, mais le geek sympa qui tient la maison se défend carrément bien !
A ce point du récit, deux précisions : les assaillants sont des vampires, le même genre que ceux qu'on croise dans "Twilight", mais en moins câlin ; et Isaac n'est pas un simple bibliothécaire passionné de SFFF. Non, il est membre d'une organisation secrète, les Douze Gardiens des Portes, fondée par Gutenberg en personne, je sais, dit comme ça, ça claque grave.
Enfin, il était membre... Depuis deux ans et une affaire qui a failli bien mal tourner, Isaac a été mis sur la touche. Désormais, il doit se contenter du rôle de catalogueur, c'est-à-dire recenser tous les livres qui sont publiés dans le monde, avec leurs caractéristiques. L'équivalent d'un emploi de bureau pour un magicien comme Isaac.
Car, oui, Isaac, ce gentil bibliothécaire un peu geek, dégingandé et parfois un peu à l'ouest, est un magicien. Enfin, un bilbiomancien. Son pouvoir fera rêver nombre d'entre vous : il peut, juste en y plongeant la main, sortir n'importe quel objet décrit dans le livre qu'il tient. A condition, tout de même, qu'il passe par le livre comme par une fenêtre, donc qu'il ne soit pas trop volumineux.
Mais, la plupart des armes, ça passe. D'où la brillante riposte qu'il a opposée à ses désagréables visiteurs du jour. Et ce, en dépit de l'interdiction qui le frappe depuis sa suspension de recourir à la magie. Eh oui, le grand dadais s'emporte vite quand il peut faire joujou avec les livres, et parfois, ça dérape. Mais, là, c'est un cas de force majeure, non ?
Car l'heure est grave. De la brève discussion qu'il a eue avec les vampires qui l'ont attaqué, Isaac a compris quelque chose : il semblerait que les Gardiens et les morts-vivants soient à couteaux tirés. Pour dire même les choses encore plus clairement, la guerre est déclaré entre les Gardiens des Douze Portes et les vampires.
Il est temps pour Isaac de reprendre du service afin de comprendre ce qui a pu mettre le feu aux poudres. Et empêcher que cette affaire ne dégénère carrément et devienne incontrôlable... Si ce n'est déjà trop tard... Flanqué de sa fidèle Titache, mais aussi de sa meilleure amie, Lena, une demoiselle pas très grande, mais très habile dans le maniement de bokken, des sabres martiaux en bois.
Et comme un bon guerrier ne part jamais les mains vides, Isaac a endossé son manteau, le genre cache-poussière, comme dans les films de Sergio Leone. Mais le sien est un peu particulier : il comprend un tas de poches dans lequel Isaac a glissé les livres dans lesquels il est susceptible de trouver des objets utiles au cours de son enquête. A commencer par des armes...
Cette enquête ou cette quête, après tout, on est dans un roman de fantasy urbaine, vous la découvrirez en vous lançant dans cette lecture très divertissante, rythmée et pleine de rebondissements, dans laquelle Isaac va pulvériser l'image d'Epinal du geek pour devenir une espèce de super-héros, entre Matrix et Thursday Next.
La référence à la série de Jasper Fforde vient naturellement à l'esprit quand on commence à trifouiller dans les bouquins. Isaac n'y entre pas aussi aisément que Thursday Next, son univers n'est pas uchronique mais plutôt fantastique, puisqu'on y croise une large gamme de vampires. Jim C. Hines s'amuse d'ailleurs beaucoup avec cet archétype qui a vu son nombre d'espèces récemment enfler.
En fait, Jim C. Hines ne s'amuse pas qu'avec les littératures vampiriques qu'il brocarde gentiment, mais avec les littératures de l'imaginaire en général et même au-delà des limites de ces stricts genres. Il joue avec les livres, avec la lecture et avec nos habitudes de lecture. Et avec ce pouvoir immense que cette activité, cette passion nous confère tous.
Il est moqueur, ce romancier, parce que tout cela est raconté avec plein de recul, une grande ironie et un sens très intéressant des situations qui retiennent l'attention. Evidemment, au premier chef, les scènes de baston, qui jalonnent le roman, mais aussi un suspense qui monte. Au fil des pages, l'atmosphère s'alourdit nettement, pour devenir bien plus sombre et moins amusante...
Il est moqueur, oui, mais on ressent aussi la grande tendresse qu'il voue à son personnage central, Isaac Vainio, qu'il n'a pas dû créer complètement par hasard... Par exemple, Jim C. Hines a fait une grande partie de ses études à la Michigan State University, pas très loin de Copper River, où vit et travaille Isaac. Et, si j'en crois notre roman, il en garde un souvenir... ému... Hum...
A n'en pas douter, Jim C. Hines a puisé dans son propre côté nerd passionné de science-fiction et de lectures d'imaginaire, pour façonner Isaac. On pourrait presque parler de mise en abyme, Isaac ayant le pouvoir de faire ce que, très certainement, Jim C. Hines, et tant d'autres lecteurs, ont rêvé de faire : pouvoir interagir avec les livres qui nous passionnent, nous marquent. Nous construisent.
Rassurez-vous, si comme moi, votre culture SFFF a quelques lacunes, vous trouverez en fin d'ouvrage toutes les références des livres qui apparaissent au cours du "Bibliomancien". De quoi s'y retrouver, mais aussi, de quoi justement combler les manques en se plongeant dans ces livres... Qu'on ne lira plus tout à fait de la même manière, maintenant qu'on s'imagine y puisant tel ou tel objet...
A ce propos, à travers cette série, on a la confirmation, si on en doutait encore, que, dans la science-fiction et la fantasy, tout n'est pas qu'amour et paix... Dans la bibliographie très restreinte que transporte Isaac dans son ample manteau, il y a, prêt à l'emploi, enfin quand on a le pouvoir d'entrer dans les livres, un sacré arsenal.
Sans oublier quelques autres bricoles bien utiles, jusqu'ici réservé plutôt aux amateurs de jeux de rôles, comme diverses potions pouvant permettre de rapidement se remettre lorsqu'on a durement bataillé... Eh oui, Isaac et Lena donnent de leur personne durant toute cette histoire. Ils ne se ménagent pas et doivent faire face à des adversaires particulièrement coriaces...
Ce livre, c'est un bain de jouvence, on se retrouve soudain adolescent, recherchant des lectures sans prise de tête, garanties 100% plaisir. On se projette alors facilement dans ce personnage de Bibliomancien qu'on voit revenir à la vie, pour ne pas dire se métamorphoser. Lui a grandi, il a gagné en sagesse, même s'il reste parfois d'une touchante naïveté et d'une timidité tenace.
C'est ludique, créatif, drôle mais aussi assez sombre, en particulier dans la dernière partie du livre, bien plus tendue. Le lecteur, lui, en prend plein les mirettes et on est captivé par ce héros aux apparences ordinaires qui, revêtant son manteau, chaussant ses lunettes de soleil et se mettant au volant de son cabriolet Triumph de 1973 (une bien belle année...).
Bien sûr, il y a une intrigue, une enquête, du suspense, de la baston, mais il y a aussi de très intéressant personnages, Isaac en tête, celui dont on peut parler le plus facilement, mais aussi Lena, qui a quelques secrets à nous révéler (et à Isaac par la même occasion). Sans oublier ces mystérieux Gardiens des Douze Portes, dont la mission doit être clairement clarifiée...
Derrière le côté résolument fun de tout cela, il y a en effet pas mal d'interrogations et d'ombres à dissiper. Pour le lecteur, mais aussi pour Isaac qui, après deux ans sur une voie de garage, revient de manière éclatante sur le devant de la scène, pour découvrir que tout son petit monde magique n'est peut-être pas exactement ce qu'il croyait...
Vous l'aurez compris, je me suis bien amusé avec ce livre et la rencontre avec Jim C. Hines, personnage tout à fait passionnant et original, lors des récentes Imaginales, n'a pas terni cette impression, bien au contraire. Si vous cherchez une idée de lecture pour les vacances qui arrivent, penchez-vous sur cette série. Une série dont le second tome, "Lecteurs nés", est paru au printemps.