Libres pensées...
Je ne suis habituellement pas une grande fan des "histoires de femmes au foyer", comme les décrit la couverture du roman. Ce n'est donc pas sans défiance que j'ai abordé le roman de Jill Alexander Essbaum.
L'histoire est celle d'Anna, américaine proche de la quarantaine, qui a épousé Bruno, un banquier suisse avec lequel elle vit à Zurich, non loin de sa belle-mère Ursula, laquelle l'aide grandement pour l'éducation de ses trois enfants, ses deux fils Charles et Victor, et la petite dernière, Polly Jean (vous me direz, quel nom moisi, et je vous répondrai, mais oui, tout à fait). Relativement désœuvrée, Anna décide d'apprendre l'allemand et s'inscrit à des cours collectifs, durant lesquels elle fait la rencontre d'Archie, un homme plus âgé qui ne tarde pas à devenir son amant.
Une histoire tristement banale, dont on connaît déjà les grandes lignes quand on a lu La condition pavillonnaire, Dans le jardin de l'ogre, ou même l'obscur L'amour et les forêts, à ceci près que ce dernier roman propose un mari pervers-narcissique et une malheureuse épouse dont l'adultère est bien compréhensible (j'ai dit ici tout le bien que je pensais de ce livre).
Comme dans certains de ces romans, la protagoniste devient rapidement antipathique au lecteur, tant elle agit dans la plus parfaite inconséquence, et se trouve surprise que ses actes aient des répercussions, n'ayant plus que ses yeux pour pleurer et ressentant presque cela comme une injustice. Car Anna semble avant tout chercher à fuir l'ennui, et se donne, croirait-on, à qui flatte le mieux son ego. Une poupée égoïste et immature, en somme.
Ses enfants sont une charge dont elle est trop heureuse de s'éloigner, les confiant à sa belle-mère, et ne craignant qu'une chose, que la paternité douteuse de la petite dernière soit exposée au grand jour. Son jugement à l'emporte-pièce se porte aisément sur son entourage, depuis Mary à Edith, en passant par son époux et ses enfants, envers lesquels elle se montre capable d'adopter un comportement indigne - par exemple, lorsque l'un d'eux découvre sa liaison avec un homme qu'il ne connaît pas -, si bien qu'il est bien malaisé pour le lecteur de ressentir à son endroit la moindre compassion.
Pourtant, il aurait été possible d'en créer : Anna vit isolée, loin de son pays d'origine, dans un pays dont elle ne maîtrise pas la langue après y avoir vécu pendant des années, et sa vie ressemble à un beau gâchis, l'auteur insistant sur les frêles sentiments qui la lient à son mari, et ce depuis leur rencontre, et sur le fait qu'elle ait peu d'appuis - Edith passe son temps à relater ses propres frasques adultérines et n'est pas vraiment une bonne amie, comme le dit Anna elle-même, et Mary semble enchaîner les maladresses, mais il faut dire que l'on marche sur des œufs, quand on couche avec ses compagnons de classe ou avec les collègues de son mari. Dresser la liste d'invités en cas de fête n'est pas une tâche des plus aisées.
Bref, Anna est tarte, garce, égocentrique, on aurait envie de lui mettre des baffes, et il faut parvenir au point où son mari le fait réellement pour se souvenir qu'elle est néanmoins une personne humaine et qu'il n'est pas permis de le faire. Finalement, il faut en arriver là pour qu'Anna gagne figure humaine. Avant cela, elle est surtout une personne inintéressante qui joue avec ce qui se présente, sans bien se soucier des conséquences de ses actes, et qui n'assume jamais rien : incapable de se séparer de son mari pour vivre pleinement l'une des aventures qu'elle a engagées, incapable de se préoccuper de ses enfants, incapable de dire son malaise si ce n'est à sa psy, que l'on plaint énormément.
L'auteur fait donc un excellent travail dans l'optique de mettre en scène une anti-héroïne moderne, en revanche si son ambition était autre, elle est proprement manquée.
Pour vous si...
- Vous admirez les transports urbains suisses pour leur ponctualité.
- Vous soutenez que les parents choisissant des noms débiles pour leur progéniture devraient être châtiés.
Morceaux choisis
"Quand il était en colère, elle avait un tremblement métallique intense et hostile. Il s'arrêta après chaque mot pour reprendre une inspiration. Tu. Me. Mens. Anna. Un corset de peur serra Anna et elle se sentit rétrécir. Elle ne comprenait pas pourquoi le jeu avait tourné. (Mais. Qu'elle. Est. Con.)
"Et voilà ; elle s'était trompée. Une erreur déguisée en amour. Une illusion soigneusement cultivée depuis maintenant presque deux ans. Qui savait marcher et faire des phrases complètes. Il est à moi! hurlait-elle. Le partage n'avait jamais été son fort."
Note finale2/5(pas mal)