Il est venu le jour où je perds la moitié de mes amis. Car aujourd'hui, je publie une chronique " Meh " de Vango.
Bon, resituons sur la carte : " Meh ", ça veut dire que j'ai un ressenti mitigé, ni Top, ni Flop.
Zoomons davantage sur la carte : dans la grande ville des " Meh ", Vango se situe les fesses dans le vide, raccroché au rempart par les bras. J'ai aimé cette lecture. MAIS. Elle m'a souvent frustrée, agacée, déçue... en somme, je l'ai " aimeh ".
Pourtant, ça s'annonçait vraiment, vraiment bien. Timothée de Fombelle, je l'avais plutôt à la bonne (je l'ai toujours à la bonne, d'ailleurs) ... puisque j'avais adoré d'amour Le Livre de Perle, qui était mon coup de cœur de 2015 (cf. Mon Top Jeunesse 2015), mais aussi l'un de mes grands chouchous de tous les temps (cf. mon Top Jeunesse 2016), et enfin, dans un genre très différent, le magnifique monologue théâtral (paru en littérature générale, chez Actes Sud) Je danse toujours.
Donc pour l'instant, c'était un sans faute.
Je rédige cette critique non seulement pour la joie sauvage qu'elle me procure (comme tout Français qui se respecte, j'aime me plaindre quand il fait froid, quand il faut chaud, quand j'ai les chaussettes mouillées, des miettes sur mon canapé, etc.) mais aussi et surtout pour comprendre pourquoi ce qui a fonctionné dans Tobie n'a pas fonctionné ici.
On parle ici d'un bon livre. Gardez à l'esprit que malgré toutes les faiblesses que je vais souligner dans la suite de cet article, Vango est un bon roman.
Place, donc.
Quels mystères recèle le passé de Vango pour le mettre ainsi en ligne de mire de dangereux tueurs acharnés ? Et pourquoi la police le poursuit-elle ?
L'auteur, et c'est ce que j'aime sous sa plume, a :
- une grande élégance d'écriture,
- un goût pour donner vie à son environnement, ses décors, à la nature,
- une économie de narration qui nous transmet les émotions (de la scène, des personnages) par juste ce qu'il faut.
Timothée de Fombelle, c'est la poésie de l'instant - il est très fort là-dedans.
Par ailleurs, il est doué pour agencer une constellation de personnages de façon à ce que tout le monde se croise ; chacun a une histoire l'un avec l'autre, un lien inattendu, ce qui crée un microcosme attachant.
Pour le développement de toutes ces qualités, je vous invite à pointer votre museau curieux dans ma critique de Tobie.
Un atout bonus que je n'avais pas formulé ainsi la première fois et qui m'a touchée ici : la délicatesse avec laquelle l'auteur montre la fragilité de ses personnages secondaires, comme Zefiro, le prêtre qui perd ses mots lorsque le fils prodigue réapparaît, et qui, au lieu de le prendre dans ses bras, lui annonce maladroitement, panier à la main : " J'ai des lapins. " Je suis fada de ces scènes-là. Rien n'est plus vrai.
POURQUOI C'EST 'MEH'- #1. Les ficelles sont trop apparentes.
Je vous parlais de constellations : c'est une image utilisée par l'un des personnages (un commissaire) pour mettre en rapport différentes enquêtes. Or : SHOW, DON'T TELL, mec. Le livre a tendance à nous démontrer " comment c'est bien fait, quand même " (ne manque qu'un smiley swag avec lunettes de soleil).
Par ailleurs... J'ai deviné tous les twists avec une avance de 70 pages - or, je me dois de préciser que je suis une enquêtrice dramatiquement nulle (je serais arrivée juste derrière Inspecteur Gadget à l'examen de police et le mec ne saurait pas faire fonctionner une boîte à Meuh avec les instructions écrites dessous). J'aimerais mentionner le cas bien long du méchant Voloï Viktor et son mystérieux " avocat ", purée : on *insiste* pendant des scènes entières sur le fait qu'ils ne sont jamais ensemble au même endroit et qu'ils se " croisent " très tôt le matin et très tard le soir... ? ÇA ME FATIGUE.)
- #2. Certains gimmicks d'écriture sont répétitifs et usants.
Tout serait résolu si tel et tel personnage se croisaient et se parlaient ? Faisons en sorte qu'ils se manquent à un cheveu près ! (Owi !) Les premières fois, c'est frustrant et excitant, exactement comme ça devrait. J'adore. Ça vous donne un petit goût doux-amer de destinée, ça vous faire rire et soupirer de façon tragique : parfait. J'aime les amours impossible, les " Et si ! " restés suspendus entre deux métros.
Mais quand ça revient toutes les trente pages... ho, hein, je le vois, que tu te paies ma tête.
- #3. Le traitement des personnages féminins est problématique.
Je l'ai déjà mentionné dans ma critique de Tobie, comme une réflexion " bonus ". Mais ici, wahou. Tous les personnages féminins n'existent que :
- comme satellite à un personnage masculin
- par leur amour pour ce/ces personnages (elles n'ont aucun objectif, arc personnel)
- sont soit des prototypes de " mères " (qui protègent, enseignent, nourrissent), soit des " amantes " (belles, farouches, mystérieuses)
- pour passer leur temps à se sacrifier dans l'ombre, souvent sans que leur personnage masculin (l'astre autour duquel elles gravitent) soit au courant.
Dans plusieurs cas, nous avons une combo des 4. (Mention spéciale à 'Mademoiselle', qui est à la fois la mère, l'amante, et le personnage sacrificiel ultime. D'ailleurs on s'en fout tellement d'elle qu'elle n'a pas de nom.)
Je peux littéralement prendre pour exemple tous les personnages féminins du roman. Ethel, le romantic interest, jeune femme indépendante, s'en sort à peine mieux que les autres. Ses deux premières descriptions, d'abord comme une chatte timide et mouillée (...si si, parce qu'elle est sous la pluie, voyez) ensuite comme un félin sauvage et menaçant (hello, symbolique de la femme fatale) sont très bien écrites, mais m'ont estomaquée par leur énormité.
- #4. Vango, le personnage, m'est assez... antipathique ? Ceci est, encore plus que le reste, un point de vue extrêmement personnel.
C'est la quintessence du nombrilisme, ce garçon. Tout le monde passe son temps à se mettre dans la mouise pour lui, et il disparaît sans jamais donner de nouvelles.
Sérieux : le mec perdu dans la nature depuis des lustres rentre enfin dans son île natale et, plutôt que de donner des nouvelles à sa figure maternelle, qui se fait un sang d'encre depuis des années, parce qu'elle croit cette petite merde en danger de mort, il discute avec les voisins. Je ne parle même pas du fait qu'il laisse sa chérie le croire MORT pendant des siècles au point qu'elle flirte avec le suicide. Des claques qui se perdent, modèle une achetée une offerte.
- #5. Et tout simplement : peu de place pour ce que j'adore chez Timothée de Fombelle.
Comme je vous le disais, j'aime lorsqu'il prend le temps de faire exister ses personnage et ses décors, dans une bulle d'après-midi, dans une pause au creux d'une racine, dans l'arrière-cuisine de la famille. Or, dans Vango, on est toujours en train de courir, et la narration aussi - tout est efficace, presque rien ne traîne : chaque personnage, lieu, dialogue, apparaît pour une raison : résoudre le mystère Vango. (C'est, en outre, la raison pour laquelle on devine les choses trop tôt... tous les éléments sont là sous nos yeux, et uniquement eux : pas d'informations surnuméraires, pas de fausses pistes, pas de goûter à la confiture de mûre qui ne servirait à rien.)
Bref, on m'a souvent dit que Vango et Tobie se ressemblaient beaucoup.Je ne suis pas (si) d'accord : chacun a une personnalité bien distincte. Si on retrouve certains défauts et de nombreuses qualités de l'un à l'autre, et aussi un goût de l'épopée, de la fuite, en revanche, l'économie et le style narratifs ne sont pas les mêmes, et surtout, l'esprit (voire, le propos) est bien différent. Tobie est (constamment !) un appel à la simplicité, à l'amour familial, au confort douillet d'une pile de crêpes aux sucres dans la cuisine. Vango, c'est le goût du drame assumé, où l'on regarde, depuis des hautes herbes, le Hinderburg flamber.
§
Vous recommandé-je ce roman ?
Oui, absolument.
Mais ce n'est définitivement pas mon De Fombelle préféré - et comparé aux autres, je le trouve un peu handicapé du sentiment. Ces si jolies scènes que j'aime tant, que je savoure comme des fruits rouges et doux, j'en ai dénichées tout juste cinq ou six dans tout le roman.
Tout est une question d'équilibre : j'adore le clafoutis, mais je déteste le flan (à commencer par le mot flan, tout flasque, tout flapi), or, s'il y a trop peu de cerises dans le clafoutis, on se rapproche du flan - et je me sens trahie.
Bref. Y avait pas assez de cerises.