"Il est dangereux, incontrôlable. Quand il se déchaîne, il ravage tout (...) Pour lui, il n'y a pas de bons ou de mauvais, il n'y a que des proies".

Je sens bien que vous avez très envie de faire connaissance avec celui dont parle le titre de ce billet. Et encore, vous verriez le passage que j'ai coupé, c'est pire que le reste ! Je plaisante, mais c'est bien une créature infernale et particulièrement dangereuse que nous allons découvrir à travers un roman de fantasy destiné à la jeunesse (à partir de 13 ans). Un univers sombre et intéressant, très visuel, des personnages avec lesquels joue l'auteure pour brouiller les pistes et une construction qui fait penser à un thriller. "Zalim" est le premier tome d'une série signée par Carina Rozenfeld (aux éditions Scrineo) et, si je suis un vieux lecteur à l'âme d'enfant bien ankylosée, je me suis bien amusé à suivre cette histoire. J'ai échafaudé des plans, trouvé une partie de l'intrigue, mais j'ai très envie de découvrir la suite des opérations. Et voir comment se comportera ce Zalim...
Les royaumes d'Arensdaal et de Rakenshin ont, depuis des temps immémoriaux, pris la sale habitude de se faire régulièrement la guerre. Après une période de paix qui aura duré quelques années, les hostilités viennent de reprendre et les troupes de Rakenshin, à l'issue de combats d'une grande violence, semblent avoir pris un avantage qui pourrait s'avérer décisif.
Dans les camps du royaume d'Arensdaal, les rescapés font grise mine. Les effectifs ont été décimés par ces assauts et le moral est au plus bas. Les officiers, eux, font remonter les informations et les inquiétudes de leurs hommes jusqu'au château royal. Des renseignements assortis d'une requête particulière qui, espèrent-ils, sera entendue.
Car le royaume d'Arensdaal possède une arme secrète. Enfin, plus vraiment, elle a déjà été utilisée dans le passé, mais avec grande précaution. C'est en effet une arme à double tranchant, si je puis dire. Le titre de ce billet résume bien cette situation : cette arme est dévastatrice et incontrôlable et rien n'assure qu'elle agisse comme on l'entend, elle pourrait parfaitement se retourner contre Arensdaal.
On ne prend donc pas la décision de recourir à cette arme à la légère, mais on sait que son usage marquera forcément la fin du conflit sous un déferlement de violence censé calmer les ardeurs des belligérants... Le problème, c'est que Arensdaal ne peut accepter la domination de son turbulent voisin, en cas de défaite. Voilà le royaume acculé, et son premier ministre embarrassé.
Ederinn Maley n'est pas le roi d'Arensdaal. Mais, dans les faits, c'est lui qui gouverne effectivement le royaume, car le monarque légitime, Yalmar, est un faible, incapable de diriger ce royaume qui lui a échu par hasard, lorsque son épouse, Ellinor, héritière légitime du trône, n'a plus été en mesure de remplir ses fonctions.
Yalmar n'a en fait rien d'un roi, ou alors, c'est un roi fainéant, plus intéressé par le contenu de son assiette que par les affaires du royaume. Alors, Ederinn a pris officieusement les rennes et dirige en sous-main ce royaume. Le hic, c'est que la décision de recourir à l'arme absolue dépasse en principe ses compétences.
Ou plutôt, elle implique des décisions, plus nombreuses qu'on ne l'imagine, que Ederinn se passerait volontiers de prendre... Le premier ministre doit faire des choix terribles, entre le salut de ce royaume à qui il a consacré sa vie, et ses aspirations personnelles. Mais, bientôt, l'état des lieux sur le front le pousse à faire un choix contre son coeur...
Autour d'Ederinn, outre le roi Yalmar, gravite d'autres personnages. Elyana et Kaia, d'abord : elles sont les filles du roi. La première est l'héritière du trône et, bien que Kaia, jeune femme à la peau noire, ait été adoptée, les deux princesses ont toujours considéré qu'elles étaient des soeurs de sang. Elyana a conscience qu'elle gouvernera un jour et s'y prépare déjà activement.
Il faut ajouter une troisième princesse, nommée Agda. Elle est sensiblement du même âge que Elyana et Kaia, mais son sort a été scellée : lorsqu'on entend parler d'elle, c'est pour apprendre qu'elle est en route pour le royaume d'Arensdaal pour y épouser Yalmar et reconstituer un couple royal. Une alliance, vous le comprendrez, qui ne ravit pas tout le monde...
Lucia travaille au front. Pas comme soldat, mais comme infirmière. Elle vient au secours des blessés, peu importe qu'ils appartiennent aux troupes d'Arensdaal, royaume pour lequel elle oeuvre, ou aux troupes ennemies. Ne vous leurrez pas, ce n'est pas par compassion qu'elle se moque de l'uniforme que portent les blessés qu'elle soigne, mais parce qu'une autre mission lui a été confiée...
Et puis, il y a Jad. Un jeune homme qui se verrait plus reprendre l'exploitation agricole familiale que faire la guerre. Pourtant, le voilà enrôlé sous l'uniforme des armées de Rakenshin, alors qu'il est loin d'être le plus courageux des hommes. Un jour, il est blessé, séparé des siens et se retrouve pris en charge par l'ennemi. Autrement dit, prisonnier. A moins qu'on lui réserve un autre sort...
Il ne manque qu'un dernier personnage, celui qui donne son nom à ce roman : Zalim. Qu'en dire ? C'est un démon qui, lorsqu'il se déchaîne, provoque donc des ravages. Mais, pour cela, il faut plusieurs conditions, la plus embarrassante étant son besoin de s'incarner pour agir. Zalim ne peut pas vivre sans ensorceler un être humain.
Et, comme on ne contrôle pas la violence phénoménale de Zalim lorsqu'on le libère, on ne maîtrise pas le choix de celui ou celle qui l'accueillera, bien malgré lui. Une véritable malédiction qui peut tomber sur n'importe qui, puissant comme manant, mais qui est une véritable sentence de mort, car Zalim ne quitte pas l'enveloppe corporelle où il s'incruste...
Vous l'avez certainement compris, l'enjeu de ce premier volet, c'est de réveiller Zalim. En cela, je ne spoile pas, mais je ne vais pas en dire beaucoup plus, car ce qu'il serait dommage de dévoiler, ce sont les conditions particulières de ce réveil. En outre, ce réveil est au coeur d'une véritable intrigue qui se lit comme un thriller.
Chacun s'amusera à échafauder ses théories, à imaginer ce qui va se passer, à comprendre les conséquences d'une telle décision de la part des dirigeants du royaume d'Arensdaal... Bien sûr, on peut deviner certains aspects, qui paraissent les plus logiques, pour que l'intrigue soit forte et offre, pour la suite du cycle, des rebondissements et des perspectives intéressants.
Pour autant, on prend un réel plaisir au petit jeu que concocte Carina Rozenfeld (et puis, je suis un vieux briscard, on ne me piège pas comme ça, ah, ah ! Hum... Enfin, presque jamais...), avec une trame centrale que j'ai trouvée plutôt bien construite et efficace. Sans oublier un dénouement au sujet duquel, pour le coup, je me suis interrogé jusqu'au bout : où tout cela allait-il nous mener ?
Ce n'est jamais simple de proposer un dénouement à ce genre de livre, car il faut apporter une réponse tout en ménageant l'ouverture pour la suite du cycle. Cela présage d'un deuxième tome sensiblement différent, mais chut, n'en disons pas plus ! Même si je suis assez curieux de voir quel tour prendra cette histoire, dont on voit poindre certains éléments, mais certainement pas tous !
Cela fait quelques années, désormais, que je croise Carina Rozenfeld aux Imaginales, elle fait partie des plus prolifiques et créative auteures jeunesse dans le domaine de l'imaginaire, mais ses histoires s'installent plus souvent dans des univers de science-fiction. Or, Zalim prend place dans un monde de fantasy qui est tout à fait intéressant.
On se trouve dans un décor qui rappelle le nord de l'Europe et même la Scandinavie. Le climat tient d'ailleurs une place non-négligeable dans ce premier tome, car l'hiver y est rude. On retrouve aussi un décor qui pourrait être bucolique, s'il ne faisait pas l'objet de féroces batailles, avec ses forêts et ses fjords. Des paysages de carte postale.
On est dans un univers de fantasy médiévale, mais elle y insuffle une touche de steampunk, avec des régiments de soldats mécaniques qu'on envoie en première ligne lors des combats. Pour la petite histoire, lorsqu'on rencontre Jad, on vient de le charger de remonter ces soldats pour les préparer au prochain assaut. La technologie est là, mais assez rudimentaire, encore.
L'autre aspect qui frappe, c'est que Arensdaal pourrait faire penser à un royaume made in Disney. Il y a presque tout pour cela, en effet. Sauf que les princesses qu'on y rencontre n'ont rien à voir avec les princesses que présente le producteur dans ses films d'animation. Oserais-je dire que ce sont des princesses "badass", qu'on a dans "Zalim" ?
Elles ont du caractère, ces demoiselles, elles ne se laissent pas faire, n'ont pas froid aux yeux et affronte les événements avec détermination. Même lorsque, dans le cas d'Agda, on l'imagine soumise aux choix qui ont été faits pour elle, on découvre que, sous les apparences, il y a un caractère inflexible qui sera, quoi qu'il arrive, tout sauf malléable.
Parler plus avant des personnages est délicat, car cela nous emmènerait trop près des questions clés qui se pose dans ce roman. Alors, restons-en là, mais, comme souvent, c'est la manière dont se révèlent à nous ces personnages et la façon dont ils évoluent au fil du récit qui portent le roman. Avec ce mystérieux Zalim, dont la présence plane avec dans son sillage, une menace explicite.
Bien sûr, je ne suis pas le coeur de cible de ce genre de livres, j'suis trop vieux, trop blasé, trop plein de choses... Mais, je me suis pris au jeu, mine de rien, et je crois que les jeunes lecteurs qui se lanceront sur les traces de Zalim devraient, à leur tour, y prendre un grand plaisir. On le lit d'une traite, avec l'envie de savoir ce que vont vivre les personnages centraux...
Un dernier mot, très personnel, là. J'ai aimé cet univers assez sombre, qui va même en s'assombrissant au fil des chapitres. Cela va de paire avec une violence qui connaît quelques pics, il faut le préciser, particulièrement lorsqu'on parle de littérature jeunesse. Rien d'insoutenable, mais on n'est vraiment, vraiment pas dans une histoire à la Disney.