"Ce petit chimpanzé, promis à une mort certaine il y a moins de trois ans, a gravi, un à un, les échelons du rêve américain".

Par Christophe
Une dernière lecture dédiée à la jeunesse (pour cette fois, bien sûr) avec un roman qui n'est pas un roman de SFFF, même si son thème a de quoi stimuler l'imagination et le rêve. Levons la tête, regardons le ciel et pensons à tous ceux qui, depuis une soixantaine d'années, ont voyagé au-delà de l'atmosphère, dans l'espace. Avant eux, les héros de la conquête spatiale furent des animaux et c'est justement à l'un d'entre eux que notre livre du jour rend hommage. Certains d'entre vous connaissent peut-être Fabienne Blanchut comme scénariste d'albums pour la jeunesse (citons les collections "Zoé, princesse parfaite" et "les Coquinettes"), mais, depuis cette année, elle se lance dans l'écriture de romans jeunesse. "1749 miles" (publié aux éditions De plaines en vallées) est le premier à paraître. Que vous soyez un jeune lecteur de 12 ou 77 ans, pour parodier une célèbre formule, je n'ai aucun doute : les histoires de Ham et de Joshua devraient vous émouvoir...

Joshua Shapiro est primatologue et il se prépare, en ce début d'année 2013, à donner une conférence comme il en a donné tant d'autres au long de sa carrière. Pourtant, alors qu'il approche des 70 ans, ce moment-là s'annonce très particulier et l'émotion l'étreint déjà. Un long voyage l'attend, mais celui qu'il entreprend d'abord est un voyage dans le passé, dans son passé.
A l'été 1957, alors qu'il s'apprête à fêter ses 13 ans, Joshua apprend qu'il va devoir quitter la ville de San Francisco, où il est né. En effet, son père, général de l'US Air Force, vient d'apprendre qu'il est muté au Nouveau-Mexique. Les Shapiro, les parents, Lucy, la soeur aînée de Joshua, Joshua lui-même et le chien de la famille auront déménagé là-bas d'ici cinq semaines...
Le choc est grand pour ce jeune garçon si timide, qui bégaye et s'évanouit quand les émotions sont trop fortes. Il va devoir quitter tout ce qui constituait son existence jusque-là et partir à l'inconnu. En plus, le Nouveau-Mexique, à côté de la côte californienne, ça fait moyennement envie... Mais Joshua suit le mouvement sans trop savoir à quoi ressemblera sa nouvelle vie.
Elle va d'abord ressembler à une base militaire, une base aérienne, pour être précis. Le père de Joshua va travailler au Holloman Aerospace Medical Center pour travailler sur le projet ultra-secret que les Américains mettent en place dans l'urgence pour conquérir l'espace. Un enjeu fondamental en cette période de Guerre froide...
En effet, les deux superpuissances sont au coude-à-coude dans cette course à l'espace, mais l'avantage est bien aux Soviétiques. A la fin de cette année 1957, le programme Spoutnik est lancé avec succès et le monde découvre la chienne Laïka, premier être vivant mis en orbite autour de la Terre. La réponse américaine doit être forte pour compenser ce retard, synonyme d'échec.
Joshua, lui, est outré qu'on ait ainsi sacrifiée la pauvre chienne pour ces expériences. Et sa colère grandit encore quand il apprend que son père va travailler sur le même genre de projet. Mais pas avec des chiens. La NASA a acquis des chimpanzés, qu'elle entend former au voyage dans l'espace, sous la houlette du général Shapiro...
Parmi eux, un tout jeune singe, sans doute retiré trop tôt à sa mère, paraît si mal en point que personne ne sait s'il pourra survive. Pourtant, il va s'accrocher et rejoindre la base d'Holloman sous le nom de "Numéro 65". Mais, pour Joshua, il va bientôt devenir Ham. Entre eux, quelque chose qui ressemble à une formidable amitié.
Et bientôt, Ham va entrer dans l'histoire en allant dans l'espace...
Je n'en dis pas plus, car l'histoire de Ham vous est racontée dans le livre. C'est une histoire vraie, que Fabienne Blanchut relate en y mêlant la partie fictionnelle que représente les Shapiro. Mais, le parcours du chimpanzé, lui, est tout ce qu'il y a de plus réel et absolument fascinant, tant il en dit long sur la proximité de ces animaux avec l'être humain.
D'ailleurs, on plonge brièvement dans les pensées de Ham, lors de certains passages, on découvre ses pensées, on ressent ses impressions, on découvre ce qu'il faut bien appeler des sentiments. A la fois personnage central de "1749 miles" et présence fugace, il marque le lecteur dès sa première apparition et l'on est ensuite pas près de l'oublier.
Alors, oui, évacuons tout de suite le sujet qui fâche, on peut aussi s'offusquer du traitement qui fut infligé à ces animaux pour faire avancer la science humaine. Laïka a payé le prix fort, sans doute empoisonnée alors qu'elle était encore en orbite pour lui éviter un retour trop incertain. Ce ne sera pas le cas de Ham, et c'est la suite de l'histoire. L'après voyage dans l'espace.
Et ce lien si fort avec Joshua. En fait, plus que les personnages pris individuellement, c'est bien cette amitié hors norme, d'une solidité qui ne disparaîtra jamais qui est le véritable thème de ce roman. Une relation qui dépasse ce qu'on va appeler la barrière des espèces, quelque chose qui relève de l'instinct autant que de l'intelligence. Et du coeur...
Il y a en fait plusieurs histoires dans ce roman, celle de Joshua, sa jeunesse, son déménagement et sa rencontre avec Ham ; le parcours de Ham lui-même, avec ses propres interventions ; les préparatifs, en 2013, de la conférence que doit donner Joshua ; le voyage, qui, vous le verrez, ne sera pas une sinécure ; enfin, la conférence proprement dite.
Sans qu'on puisse parler de suspense, il me semble important de ne pas trop en dire sur les autres fils du récit. En effet, Fabienne Blanchut met en place, entre fiction et réalité, des situations qui sont tour à tout très touchantes et amusantes, et qui constituent l'architecture du livre. Lisez "1749 miles" et la simple vue d'une pomme devrait vous plonger dans la mélancolie ou vous donner un franc sourire.
C'est aussi pour cela que je ne vais pas vous expliquer le sens du titre de ce livre. On a beau toujours se mélanger les pinceaux dans les conversions, il est évident que cette distance est bien trop faible pour évoquer un voyage dans l'espace. Non, l'explication est différente, mais elle a aussi un sens à la fois symbolique, mais tout à fait tangible.
De la même manière, cette conférence à laquelle doit participer Joshua est organisée dans un contexte particulier, là encore extrêmement touchant lorsque l'on en comprend les tenants et les aboutissants. Et tout au long du livre, à part les premières pages, avant l'apparition du chimpanzé, on peut dire qu'on ne pense plus jamais à Joshua sans penser à Ham et réciproquement.
J'ai lu ce livre d'une traite, une fin d'après-midi, regrettant que cela passe si vite. Je ne sais pas si on aurait pu développer plus largement la partie consacrée à Ham et à son extraordinaire expérience. Peut-être aurait-on aussi pu aller plus loin dans la partie qui suit le voyage, je pense en particulier au fait de lui redonner la parole... Je chipote !
Fabienne Blanchut saisit avec justesse ce lien qui unit Ham et Joshua, par des gestes simples, des expressions... Sans tomber dans un anthropomorphisme de mauvais aloi, elle présente tout de même l'animal comme un être sensible, doté d'émotions et d'une forme d'intelligence. De mémoire, aussi, et ce n'est pas anodin. Bref, il y a un message fort aussi sur la place des animaux dans la société.
"1749 miles", je le disais en introduction, n'est pas du tout un roman de science-fiction, comme on pourrait le penser en voyant la couverture. Non, les "Astrochimps", les chimpanzés de l'espace, ainsi qu'on surnomma Ham et ses congénères, ont contribué aux progrès de la science. Une étape très brève, puisque le vol de Youri Gagarine fera entrer les recherches dans une nouvelle phase.
Pour autant, si l'on doit le classer en littérature blanche, il se dégage de tout cela une nostalgie, mais aussi un rêve qui demeure, malgré les années, le progrès, les objectifs martiens désormais en vogue... Nous sommes tous, et les lecteurs à qui se destine ce roman plus encore, des Joshua. C'est un livre qui parle à notre âme d'enfant, et je vous assure que ce n'est pas un cliché.
A la fois, on se retrouve le nez dans les étoiles, sans peut-être mesurer tout à fait ce que ces informations devaient représenter à l'époque, et à la fois, on fond devant ce lien si particulier qui ne semble pouvoir exister qu'entre un enfant et un animal. Je suis un vieux lecteur, désormais, mais je crois que, si j'avais lu ce livre à 12 ou 13 ans, je l'aurais dévoré de la même façon.
Un dernier mot, sur quelque chose d'important : la transmission. Il y a celle qui passe par Fabienne Blanchut vers ses lecteurs. Mais, il y en a une lancée à l'instigation de Joshua dans l'histoire. Nous vivons dans un monde blasé, trop gâté. Mais aussi rempli d'incertitudes, de doutes. Nous sommes bien souvent, des plus jeunes aux plus âgés, trop terre-à-terre...
Or, Joshua insuffle du rêve dans les existences des personnes qui l'écoutent raconter son extraordinaire histoire. Sans jeu de mots, il met des étoiles dans les yeux des spectateurs, et particulièrement des plus jeunes d'entre eux. Et, j'en suis certain, cela dépasse le récit pour toucher également les lecteurs, eux aussi spectateurs des événements, mais plus distants.
Merci à toutes celles et tous ceux, écrivains et artistes qui, dans tous les domaines, permettent ainsi de réenchanter nos vies qui tombent trop vite dans la grisaille. Les scientifiques eux aussi, par leurs recherches, leurs découvertes, contribuent à cela. Et à créer des vocations, également. Ou à nourrir nos rêves...
Je ne voulais pas finir sans vous montrer Ham. Je n'ai pas trouvé la photo de lui aux côtés de JFK, évoquée dans le livre. Mais, si vous tapez son nom dans un moteur de recherche, on en trouve beaucoup. Je les trouve bouleversantes, même celles qui pourraient prêter le plus à polémique. J'en ai choisi une. Simplement parce qu'on y voit le Ham du livre. Et qu'on aimerait que ce soit Joshua avec lui...