Libres pensées...
Sophie a dix ans lorsque ses parents lui annoncent qu'ils se séparent. Elle se réjouit d'abord d'éviter un divorce, avant de comprendre que c'est bien de cela qu'il s'agit. Dans un roman aux accents mélancoliques, elle revient sur cette période qui a marqué sa vie, revisitant les lieux de son enfance, collectant les souvenirs de sa vie à trois avec ses deux parents, avant que tout ne change irrémédiablement.
Le roman de Sophie Lemp tisse des passerelles entre une époque marquée par une rupture franche entre un avant heureux et un après éparpillé, et l'époque actuelle, où, devenue adulte, elle se replonge dans la séparation de ses parents et exhume ses sentiments d'antan, les effets de cet événement sur sa vie et sa vision d'enfant.
Le sujet abordé par l'auteur est délicat : alors que le divorce est aujourd'hui monnaie courante et que près de la moitié des mariages se soldent par un divorce (sans même prendre en compte les couples vivant en concubinage qui se séparent), il reste assez rare de voir, dans la littérature, évoqué le point de vue de l'enfant (notamment lorsqu'il se décline dans le temps), souvent ramené à une question d'égoïsme puéril, là où le divorce est habituellement traité comme une question d'adultes, et l'expression de la liberté individuelle de chacun.
Sophie Lemp ne part pas à l'assaut de ce discours général, mais décrit avec douceur et parfois ce qui ressemblerait à une douleur silencieuse, le deuil du cocon familial, de la famille à trois dont elle a construit rétrospectivement un mythe, et qui a été dissoute le jour où le couple de ses parents n'a plus existé. Il n'y a pas de virulence ou de sentiment revanchard dans son récit; alors que le divorce est le moment des déchirements, de l'abjection, de la colère, elle ne prend pas parti, ne s'engage pas dans la défense de l'un ou l'autre de ses parents, se rappelle tout au plus la menace qu'elle avait faite à ses parents de se montrer odieuse s'ils venaient à se séparer, mais son ton n'est pas accusateur.
Cette pudeur et ce recul apportent au récit une noblesse de sentiments, et beaucoup de sensibilité, face à une situation banalisée dont il est rarement question de dire la souffrance qu'elle peut engendrer en particulier pour les enfants du couple.
En invoquant ses souvenirs, les petits bonheurs pour elle associés pour toujours à une paix révolue, les lieux, les odeurs, les couleurs, les objets, les habitudes, les goûts, la narratrice sort de la position d'impuissance dans laquelle elle s'est retrouvée contre son gré, subissant une douleur contre laquelle elle n'avait pas d'armes. Elle tâche de prendre possession de son histoire, de l'histoire dont elle était exclue - celle du couple - et qui pourtant a eu des répercussions importantes sur sa propre vie. En nommant, comme elle le dit elle-même avec intelligence, elle fait exister ce dont elle est la seule trace restante : l'amour que se sont portés ses parents, la famille qu'ils ont jadis formé ensemble.
La lecture de Leur séparation laisse un froissement au cœur, une mélancolie qui reste, alors même que l'histoire racontée est tristement ordinaire.
Pour vous si...
- Vous êtes aussi un enfant de divorcés/séparés, et n'avez jamais réellement pu mettre les mots sur le deuil que la séparation a signifié pour vous.
Morceaux choisis
"Mon enfance m'apparaît comme scindée en deux. Pourtant, une séparation n'est pas une mort brutale. J'avais depuis longtemps conscience des difficultés que rencontraient mes parents et cela faisait quelques semaines qu'ils m'avaient fait part de leur décision. Mais jusqu'à la dernière minute, j'avais espéré. J'étais leur petite fille chérie, leur amour, leur bichette. En sortant de l'école ce jour-là, j'ai compris que cela ne suffisait pas."
"Mais c'est ce qui les [mes parents] rapproche qui m'importe. J'aime qu'ils aient lu le même livre, qu'ils envisagent de faire le même voyage, qu'ils aient la même réaction face à un événement, qu'ils utilisent la même expression. Des années après, quand ils m'envoient pour mon anniversaire deux messages presque identiques ou quand, une veille de départ en vacances, ils me glissent l'un et l'autre Je t'ai fait un petit virement, je ressens une joie profonde." (je comprends, je suis moi aussi toujours très touchée et enthousiasmée par les petits virements)
"Dans ma mémoire, la séparation est ma première douleur, comme si tout ce qui s'était passé avant avait été joyeux."
"Mon père évoquait souvent son enfance. Il me racontait son grand-père, les petites voitures Dinky Toys dont il faisait collection, la maison des Mousseaux, une ancienne ferme où il passait ses étés. Parfois, sa nostalgie m'ennuyait et je ne l'écoutais que d'une oreille."
Note finale3/5(un douce lecture)