"C'est une période durant laquelle bouillonnent les flots. Le vin tourne à l'aigre, les molosses hurlent à la Lune et l'Homme devient fou".

Je sens que vous avez envie de vivre ces moments particuliers que promet ce titre pour le moins tourmenté. Rassurez-vous, on y arrive, mais il vous faudra lire notre roman du jour pour le remettre dans son contexte. Deux ans et demi après nous avoir emmené en Louisiane avec "les fantômes d'Eden", un thriller confinant au fantastique, Patrick Bauwen revient à Paris pour son nouveau roman "le Jour du Chien" (en grand format chez Albin Michel). Un livre annoncé à grand renfort d'affiche dans le métro, car ses tunnels sont un des décors de ce thriller, qui repose sur des contrastes forts dont nous parlerons un peu plus loin. Une intrigue et une mécanique qui réservent bien des surprises au lecteur, pris par le rythme vif et l'ambiance qui ne cesse de devenir plus oppressante. Ce n'est sans doute pas mon roman préféré de l'auteur, mais c'est efficace et cela réussit à être dépaysant alors qu'on n'est, la plupart du temps, dans Paris intra-muros...
Christian Kovak est médecin urgentiste dans un hôpital parisien. Un soir, alors qu'il rentre chez lui après une longue journée à s'occuper des patients, il est témoin dans le métro de l'agression d'une passagère. Deux petits voyous s'en prennent à cette jeune femme assise face à Christian, s'adressant à elle sur un ton fort peu courtois.
Soudain, la rame s'arrête, la lumière s'éteint, la climatisation aussi, alors que nous sommes en juillet et que la chaleur est forte. Les deux mêmes passagers essayent alors de voler le sac de la femme, filmant la scène avec un portable. Quant Christian essaye de s'interposer, l'un des voleurs sort une arme et, avant de fuir, alors que le signal d'alarme a été actionné, il tire sur le médecin...
Blessé à l'épaule, heureusement assez légèrement, Christian est tout de même sous le choc de cette agression. Après son opération, il apprend que les images de l'agression ont été diffusées sur internet, via la fameuse application Megascope. En direct, certains ont pu le voir se faisant tirer dessus, la technologie fait des merveilles de nos jours...
Christian s'attend à ce que cette vidéo le mette mal à l'aise, mais ce qu'il découvre va bien au-delà : soudain, dans le cadre, apparaît une autre passagère du wagon. Une jeune femme que Christian reconnaît immédiatement : c'est Djeen, son épouse... Sauf que c'est impossible qu'elle se soit trouvée là à ce moment-là...
Car Djeen est morte, trois ans plus tôt, tuée dans le métro par un tueur en série...
Christian n'est pas le seul à avoir reconnu Djeen sur cette vidéo. Le commandant Batista, qui avait enquêté sur son meurtre, aussi. Mais, en plus de ces images, lui possède autre chose. Un mail, qu'il a reçu la nuit où ont eu lieu les événements. Quelques mots, simplement : "JE SAIS CE QUE VOUS AVEZ FAIT", et un dessin en guise de signature.
Le logo dont se servait Djeen...
Mais que se passe-t-il ? Une blague de très mauvais goût ? Ou quelque chose d'autre ; car ces quelques mots sonnent comme une accusation. Mais, dans ce cas, qui vise-t-elle ? Les policiers, qui ont pourtant arrêté son assassin ? Christian, qui aurait quelque chose à se reprocher ? Il y a de quoi se montrer perplexe. Inquiet, même.
Alors que Audrey, la jeune femme que Christian a défendue ce triste jour, a pris contact avec lui et que le courant passe bien entre eux, la mystérieuse jeune femme qui ne peut pas être Djeen fait sa réapparition. Cette fois, ce n'est plus ni un hasard ni une blague, on veut dire quelque chose à Christian qui va se lancer dans une étrange enquête pour comprendre la raison de ces apparitions...
Ah... Il n'est pas si simple de parler de ce thriller... On a envie de parler de certains éléments sur la narration, la construction, et puis, on se rend compte que non, il ne faut justement rien en dire. Cela referme quelques portes, mine de rien, mais il reste encore beaucoup d'aspects à aborder, à la suite de Christian et des autres personnages qui gravitent autour de lui.
Pour être franc, en attaquant ce roman d'un auteur que j'aime bien (ses autres livres sont à recommander aux amateurs de thrillers, "Monster" et "les fantômes d'Eden" en tête), j'ai été un peu surpris de me retrouver face à une trame qu'on croirait tout droit sortie d'un roman de Harlan Coben : un personne qui disparaît et réapparaît brusquement, plongeant ses proches dans la confusion.
Depuis "Ne le dis à personne", que j'avais dévoré, c'est un sillon que le romancier américain a creusé un peu trop souvent. Alors, j'ai tiqué. Mais, je me suis dit qu'il pouvait s'agir d'un petit clin d'oeil et que ça allait se démarquer. Et c'est le cas, lorsqu'un second fil narratif apparaît, déroutant, flippant : celui qui met en scène le fameux Chien...
De manière assez surprenante, lorsqu'on lit le texte de présentation sur le site des éditions Albin Michel, c'est lui qui parle. Et ce qu'il dit plante bien le décor : "Les ténèbres sont mon domaine. Le métro, ma cité des morts. La souffrance de mes victimes, mon plaisir. Je suis le Chien. Inquisiteur ou Guerrier Saint, comme vous voudrez. Dieu est avec moi."
C'est même un chien de chasse, car à chaque fois qu'on le croise, il est à l'affût, manifestement lui aussi curieux de voir réapparaître Djeen... Au long du roman, on va découvrir non seulement la folie de ce personnage, mais aussi l'univers dans lequel il évolue, fascinant, à la fois si proche et pourtant, totalement inconnu de la plupart d'entre nous.
Ce court message évoque le métro, mais vous vous doutez bien qu'on ne parle pas uniquement des quais et des couloirs dans lesquels circulent habituellement les usagers. A la suite du Chien, on arpente ce réseau souterrain via des itinéraires sortant des sentiers battus, vers des lieux inattendus. Et il y en aura encore bien d'autres, que l'on connaît parfois, sans pour autant avoir pu les visiter...
Ce côté souterrain, c'est une des grandes lignes directrices du roman, car l'intrigue repose en fait sur un certain nombre de contrastes, et même d'oppositions : les souterrains, donc, et le plein air, dont nous reparlerons dans quelques instants pour une précision supplémentaire, le jour et la nuit, le noir et le blanc (la tenue des personnages, par exemple) et le blond et le brun.
Eh oui, il y a quelque chose d'hitchcockien dans "le Jour du Chien", à travers le côté voyeur du Chien, mais aussi à travers les deux personnages féminins que sont la mystérieuse Djeen, appelons-la ainsi faute de certitudes, et Audrey. La première est blonde et pourrait faire penser à la Kim Novak de "Sueurs froides" ; la seconde est brune, comme, peut-être, l'Ingrid Bergman de "la Maison du Dr Edwardes".
On pourrait encore filer la métaphore, James Stewart ferait un beau Christian, à moins qu'on lui préfère le Sean Connery de "Pas de printemps pour Marnie ?", à vous de juger... Enfin, on retrouve une ambiance qui peut rappeler l'adaptation de "Rebecca" : Kovak vit dans un Manderley, qui aurait besoin d'une Mrs Danvers, et l'image de Djeen plane tout au long du livre alors qu'elle est morte...
Je ne peux pas tout détailler concernant ces oppositions entre clarté et noirceur, entre lumière et obscurité, c'est vraiment quelque chose de récurrent tout au long de cette histoire, vous vous en rendrez certainement compte par vous-mêmes. Je préfère parler d'un autre personnage important de ce thriller : Paris.
Et là encore, dans ce décor qu'on croit connaître parfaitement, Patrick Bauwen joue sur les contrastes, les oppositions frappantes entre le Paris moderne, symbolisé par la Défense, par exemple, et le Paris originel, comme lorsqu'il nous emmène sous la Pyramide du Louvre, où se trouve les vestiges du Louvre médiéval, ses fossés et la base de son donjon...
On découvre les strates historiques qui laissent leurs marques époque après époque, disparaissent, parfois, réapparaissent souvent au gré des fouilles ou des travaux... du métro, tiens, on y revient. A chacun de ces lieux, sont attachés des petites et des grandes histoires. Des connaisseurs et des nostalgiques essayent de les faire revivre ; d'autres les abîment, les profanent, presque...
Un autre élément mériterait qu'on le détaille plus, mais c'est délicat, cela nous emmènerait un peu trop loin, c'est la question de la réussite sociale et des formes qu'elles peuvent prendre. Le passé tient une place importante dans l'histoire, à travers le parcours des uns et des autres. Si on croise Christian, son beau-frère Sam ou encore Audrey, on découvre des notables, des gens installés.
Pourtant, on va découvrir que, pour aucun d'entre eux, rien n'a jamais été acquis. Que ces carrières brillantes n'étaient pas écrites d'avance. D'autres personnages, également, prennent un relief, une dimension particulière, lorsqu'on les remet en perspective à travers leur passé, leur évolution sociale, la construction de l'adulte qu'ils sont devenus.
Je ne peux trop approfondir cette aspect-là, vous le comprendrez aisément, puisque c'est ainsi que va se dessiner l'intrigue. Mais, bien évidemment, là encore, c'est le personnage de Djeen qui va s'avérer particulièrement intéressant. Et, comme pour la Rebecca de Daphné du Maurier, il va falloir apprendre à se méfier des apparences...
Cette dimension sociale, on la retrouve dans le contexte particulièrement tendu qui accompagne le récit principal. L'été caniculaire semble exacerber la colère, on manifeste, on se montre violent... On n'en est pas encore à dire que la révolte gronde dans Paris, mais on ressent une certaine inquiétude monter sur les événements à venir.
Un ras-le-bol qui peut avoir des conséquences politiques, en particulier dans les urnes. Une nouvelle fois, je ne vais pas plus loin, mais le livre est sorti au début du mois d'avril et il faut reconnaître que beaucoup d'éléments présents dans "le Jour du Chien" font écho aux récentes campagnes électorales que nous avons connues. Et c'est carrément flippant, en y repensant...
Indépendamment du récit et de la tension, il y a, dans "le Jour du Chien", de quoi trouver quelques idées de balades originales, insolites et même dépaysante dans ces coins mal connus de la capitale. Cela offre aussi un formidable terrain de jeu au romancier, en lui proposant des décors tout à fait extraordinaire et inattendu, lorsqu'on ne connaît que le Paris touristique.
J'ai quelques petites réserves sur "le Jour du Chien", même si certaines ont été levées à la fin de la lecture, parce que j'ai compris la raison d'être de certains éléments en fonction de l'intrigue. En revanche, rien à redire sur le rythme qui est soutenu tout au long du livre, mais aussi sur les rebondissements, le cinquième roman de Patrick Bauwen est un pur page-turner, très efficace.
Avec une mention particulière pour l'épilogue (surtout, surtout ne le lisez pas avant le reste !), qui m'a fait froid dans le dos. Un peu comme dans "les Yeux", roman évoqué récemment, qui joue avec le concept de ces scènes de film qu'on ne peut voir que si on reste jusqu'au bout du générique, Patrick Bauwen remet sous tension un lecteur qui venait à peine de commencer à se relâcher.
Et, mais je peux me tromper, entrouvre la porte à une possible suite...