Lors de la dernière édition des Imaginales, à Epinal, un des événements était la présence pour la première fois de Jo Walton, immense romancière britannique, dont les lecteurs français découvrent depuis quelques années l'imaginaire riche et foisonnant. Un imaginaire qui n'oublie pas, comme on va le voir avec notre livre du soir, de s'intéresser au monde tel qu'il est pour interroger le lecteur, le pousser à réfléchir. Son dernier roman en date publié en France s'intitule "Mes vrais enfants" (en grand format aux éditions Denoël dans une traduction de Florence Dolisi) et c'est une histoire bouleversante à plus d'un titre. J'allais écrire l'histoire d'une vie, mais en fait, non, l'histoire de deux vies, les deux vies d'une seule et même personne. Deux parcours sensiblement différents, mais qui ont un point commun : la place de la femme dans la société au XXe siècle et jusqu'au début du XXIe. Deux destins tourmentés au cours desquels Patricia, la principale protagoniste de ce roman, connaîtra des moments très durs, mais aussi de vrais bonheurs. Bouleversant, je vous dis !
Patricia Cowan est née en 1926 et vit désormais en maison de retraite. Comme sa mère avant elle, elle souffre de pertes de mémoire qui n'ont cessé de s'accentuer avec l'âge. Au point d'être de plus en plus confuse, pour employer le mot que le personnel de la maison de retraite inscrit sur son dossier. Une confusion qui ne cesse de s'accroître et l'ennuie, parce qu'elle finit par voire s'effacer ses deux vies.
Ce n'est pas une formule : les souvenirs qui lui restent appartiennent à deux existences distinctes, mais elle est persuadée de les avoir bel et bien vécues. Et pleinement. Encore aujourd'hui, ces deux vies sont présentes, et pas seulement dans sa mémoire : ainsi, la maison de retraite elle-même change selon l'heure de la journée, comme si elle en habitait deux à la fois... Troublant...
Patricia se souvient de son enfance, de sa jeunesse et de sa vie à Oxford où elle a fait des études. Elle se souvient de cet après-guerre où, très tôt, elle a appris à se débrouiller seule : elle ne s'entendait pas vraiment avec sa mère et son père et son frère ont péri pendant la guerre. Elle se souvient de ce garçon avec qui elle a entretenu une correspondance après avoir quitté Oxford pour travailler en Cornouailles.
Et puis, soudain, tout se dédouble, Patricia devient Pat, mais aussi Tricia, elle se souvient d'une vie où elle épouse un homme, Marc, quelques années après la fin de la guerre, et d'une autre vie où elle est également en couple, mais avec une femme, Beatrice. Deux vies bien différentes qui nous sont racontées, en alternance, période par période...
Il ne s'agit pas de comparer ces deux vies, puisque Pat et Tricia ne forment qu'une seule et même personne, elle en est certaine, mais on découvre deux existences au cours desquelles cette femme ordinaire, dont la vocation était l'enseignement, va traverser des moments très durs et d'autres de bonheur complet.
Bref, une vie comme les autres, ni pire ni meilleure que bien d'autres vies à travers le monde, si ce n'est qu'elle ressemble à un brin d'ADN avec ses deux filaments qui s'entrecroisent. Patricia ne se sent complète qu'à travers ces deux destins parallèles et tant pis si ça n'a pas de sens rationnel. Si elle racontait ça, on ne la croirait pas, on ne la jugerait pas simplement confuse, mais folle à lier.
Alors, elle garde ces souvenirs pour elle, comme un jardin secret, les chérit aussi différents soient-ils, conserve pour ceux qu'elle a aimés, ses proches, ses enfants, ses amis, qui changent d'une vie à l'autre, une affection profonde. Elle est encore triste de tout ceux qu'elle a perdus au cours de ces deux vies et souffre de sentir sa mémoire s'enfuir, comme sa mère avant elle...
Ah, j'allais oublier un élément fondamental : non seulement les deux vies de Patricia diffèrent dans les événements personnels qui la composent, mais elles se déroulent dans deux mondes qui sont également différents. Deux mondes où l'Histoire a pris des voies différentes, où la politique, aussi bien en Grande-Bretagne qu'à travers la planète, s'est déroulé différemment, influant différemment sur les vies de Patricia, comme sur celle des autres femmes de son temps.
Avouez que, ainsi présenté, "Mes vrais enfants" a de quoi dérouter. Pourtant, on est dans la droite ligne des précédents romans de Jo Walton que l'on peut lire en français. D'abord, comme dans "Morwenna", un personnage dont la vie est embellie par le merveilleux pouvoir de l'imagination. Entre Morwenna, l'enfant solitaire, et Patricia, la vieille dame confuse, un lien très puissant...
Et puis, il y a eu la trilogie du Subtil changement ("le Cercle de Farthing" [en poche chez Folio], "Hamlet au paradis" [qui sera en poche en septembre, toujours chez Folio] et "Une demi-couronne") qui se déroule dans un cadre uchronique. Une histoire alternative, différente de celle que nous connaissons. Et on retrouve également cela dans "Mes vrais enfants".
Je ne vais pas trop entrer dans le détail de cette partie du livre, car il faut vous laisser découvrir les choses par vous-mêmes. Mais, je peux vous dire qu'il y a une idée absolument géniale, un déclic extrêmement habile qui lance ce processus de double vie. Quelque chose qui rappelle le film d'Alain Resnais, "Smoking / No smoking", du moins pour le principe.
Le romanesque, ici, vient se nicher d'abord dans l'entrelacement de ces deux existences qui, en elles-mêmes, n'ont rien d'extraordinaires. Ce que Jo Walton explore, c'est bien le quotidien de Patricia au cours de ses deux longues vies. Et c'est donc le contexte qui va venir directement influer sur cette existence.
Là encore, pardonnez-moi, ce n'est pas d'une grande clarté pour qui n'a pas lu "Mes vrais enfants", mais la construction de ce roman est magistrale et le fond qui y est développé également. Car, d'une vie à l'autre, sans être tout à fait la même, on retrouve Patricia, qu'on l'appelle Pat, Patty, Patsy, Tricia ou Trish, avec son grand coeur et son courage.
Elle va endurer bien des tourments, particulièrement au début d'une de ses deux vies. Dans la seconde, c'est plus tard que viendront les problèmes. Et puis, elles connaîtra également les soucis d'une fille qui doit gérer une mère déclinant bien trop vite, ceux d'une mère dont les enfants grandissent et font à leur tour des choix aux conséquences pas toujours joyeuses...
Dans les deux vies, on retrouve une femme bien plus solide qu'il n'y paraît de prime abord, militante et rebelle, essayant de faire bouger la société dans laquelle elle vit, et particulièrement, d'obtenir pour les femmes des droits qui se rapprochent de ceux qu'on accorde aux hommes, pour les homosexuels des droits qui se rapprochent des hétérosexuels.
Mais, ce qui est également très fort, c'est de voir comment Jo Walton travaille sur la question du progrès dans son ambivalence : progrès technologique et social qui va dans le sens de l'amélioration de nos vies ; mais un progrès qui, quelquefois, va trop loin, s'emballe et débouche sur des situations terribles, dramatiques.
Pour cela, la période est parfaite : Jo Walton introduit l'uchronie dans la période de la Guerre froide, joue habilement avec le péril nucléaire, évoque les changements sociétaux profonds apparus dans les années 1960, la libération sexuelle, les possibilités nouvelles de devenir parents, l'évolution du regard sur l'homosexualité où l'apparition de nouvelles maladies, telles que le sida...
Tout cela est ciselé, parfaitement intégré dans l'existence de Pat comme dans celle de Tricia, donnant naissance à deux histoires parfaitement équilibrés qui ne tombent pas dans le manichéisme facile : l'une n'est pas le strict contraire de l'autre, l'une ne symbolise pas le bonheur et l'autre le malheur, non, ce sont deux chemins empruntés par la même personne suite à un choix fait en toute conscience.
C'est un magnifique personnage, cette Patricia, mais elle n'est pas la seule que l'on rencontre dans son sillage. Oh, il y en a bien quelques-uns qui paraissent moins sympathiques, des relations plus tendues que d'autres, des atomes plus ou moins crochus, mais dans l'ensemble, elle est le centre de deux familles très différentes qui, pour elle, n'en font qu'une.
La question féminine, féministe, même, est vraiment au coeur de ce roman. Près d'un siècle (et on pourrait d'ailleurs arrondir, car l'évolution n'a pas été si grande entre 1917 et 1926 dans ce domaine) que retrace Jo Walton en montrant avec délicatesse mais fermeté, à petites touches mais avec insistance, ces "petites choses" qui font des femmes des citoyens de second rang.
Même indépendante, et dans chacune de ses deux vies, Patricia le sera, à un moment ou à un autre, elle est entravé, contrariée. On lui complique la tâche quand elle ne se trouve pas carrément face à des situations insolubles, parfaitement absurde, l'obligeant à mentir, dissimuler. Et quand ce n'est pas la loi qui pose problème, c'est le regard des autres et la nature humaine qui font obstacle.
Cette double existence permettra ainsi à une grande majorité de lectrices de se retrouver dans les destins de Patricia. C'est également l'une des grandes forces de ce livre, qui attrape le lecteur, le surprend sans cesse et finit par le bouleverser profondément. Car, doublement, on approche de la fin inexorable, de ce moment où l'on va retrouver Patricia dans cette maison de retraite...
Et l'on sait que non seulement, on aura laissé derrière nous nombre des personnages dont on a fait la connaissance grâce à elle, mais que, bientôt, il faudra la laisser, elle aussi, confuse, de plus en plus confuse, perdue au milieu des souvenirs de sa double vie en train de s'effacer. Et il est bien difficile de ne pas terminer cette lecture avec la gorge bien serrée et les yeux humides...
En lisant "Mes vrais enfants" (qui est, je le précise, la traduction littérale du titre anglais), j'ai repensé à un autre livre qui m'avait profondément ému lorsque je l'avais lu : "Korsakov", d'Eric Fottorino. Des sujets assez proches, des traitements et des points de vue très différents, des problématiques également éloignées, mais le même mal à l'oeuvre.
Il y a surtout une réflexion pleine de tendresse sur l'existence et sur la perpétuelle quête du bonheur. Et si, pour y parvenir, il fallait plus d'une vie ? Et si, par essence, nos existences étaient vouées à l'incomplétude faute de pouvoir expérimenter différents modes de vie ? On se retourne sur sa propre vie en se demandant : et moi, de quoi me souviendrai-je quand ma mémoire commencera à me fuir ?
Un dernier mot, pour parler des décors : l'Angleterre, bien sûr, pas celle des grandes villes, mais Oxford, Cambridge ou Lancaster. Et puis, une ville qui finit par être bien plus qu'un simple cadre. Pas une ville anglaise, celle-là, mais Florence, l'une des perles de l'Italie, avec toutes ses richesses héritées de la Renaissance.
On pourrait d'ailleurs y voir un symbole fort : la Renaissance... Exactement ce que représente le récit au coeur de "Mes vrais enfants", puisque c'est bien la renaissance de Patricia à laquelle nous assistons. Une renaissance qu'incarnent ces deux existences parallèles dont, aucune, peut-être, mais qu'en sais-je, après tout, n'a été la véritable existence de cette femme merveilleuse...
Patricia Cowan est née en 1926 et vit désormais en maison de retraite. Comme sa mère avant elle, elle souffre de pertes de mémoire qui n'ont cessé de s'accentuer avec l'âge. Au point d'être de plus en plus confuse, pour employer le mot que le personnel de la maison de retraite inscrit sur son dossier. Une confusion qui ne cesse de s'accroître et l'ennuie, parce qu'elle finit par voire s'effacer ses deux vies.
Ce n'est pas une formule : les souvenirs qui lui restent appartiennent à deux existences distinctes, mais elle est persuadée de les avoir bel et bien vécues. Et pleinement. Encore aujourd'hui, ces deux vies sont présentes, et pas seulement dans sa mémoire : ainsi, la maison de retraite elle-même change selon l'heure de la journée, comme si elle en habitait deux à la fois... Troublant...
Patricia se souvient de son enfance, de sa jeunesse et de sa vie à Oxford où elle a fait des études. Elle se souvient de cet après-guerre où, très tôt, elle a appris à se débrouiller seule : elle ne s'entendait pas vraiment avec sa mère et son père et son frère ont péri pendant la guerre. Elle se souvient de ce garçon avec qui elle a entretenu une correspondance après avoir quitté Oxford pour travailler en Cornouailles.
Et puis, soudain, tout se dédouble, Patricia devient Pat, mais aussi Tricia, elle se souvient d'une vie où elle épouse un homme, Marc, quelques années après la fin de la guerre, et d'une autre vie où elle est également en couple, mais avec une femme, Beatrice. Deux vies bien différentes qui nous sont racontées, en alternance, période par période...
Il ne s'agit pas de comparer ces deux vies, puisque Pat et Tricia ne forment qu'une seule et même personne, elle en est certaine, mais on découvre deux existences au cours desquelles cette femme ordinaire, dont la vocation était l'enseignement, va traverser des moments très durs et d'autres de bonheur complet.
Bref, une vie comme les autres, ni pire ni meilleure que bien d'autres vies à travers le monde, si ce n'est qu'elle ressemble à un brin d'ADN avec ses deux filaments qui s'entrecroisent. Patricia ne se sent complète qu'à travers ces deux destins parallèles et tant pis si ça n'a pas de sens rationnel. Si elle racontait ça, on ne la croirait pas, on ne la jugerait pas simplement confuse, mais folle à lier.
Alors, elle garde ces souvenirs pour elle, comme un jardin secret, les chérit aussi différents soient-ils, conserve pour ceux qu'elle a aimés, ses proches, ses enfants, ses amis, qui changent d'une vie à l'autre, une affection profonde. Elle est encore triste de tout ceux qu'elle a perdus au cours de ces deux vies et souffre de sentir sa mémoire s'enfuir, comme sa mère avant elle...
Ah, j'allais oublier un élément fondamental : non seulement les deux vies de Patricia diffèrent dans les événements personnels qui la composent, mais elles se déroulent dans deux mondes qui sont également différents. Deux mondes où l'Histoire a pris des voies différentes, où la politique, aussi bien en Grande-Bretagne qu'à travers la planète, s'est déroulé différemment, influant différemment sur les vies de Patricia, comme sur celle des autres femmes de son temps.
Avouez que, ainsi présenté, "Mes vrais enfants" a de quoi dérouter. Pourtant, on est dans la droite ligne des précédents romans de Jo Walton que l'on peut lire en français. D'abord, comme dans "Morwenna", un personnage dont la vie est embellie par le merveilleux pouvoir de l'imagination. Entre Morwenna, l'enfant solitaire, et Patricia, la vieille dame confuse, un lien très puissant...
Et puis, il y a eu la trilogie du Subtil changement ("le Cercle de Farthing" [en poche chez Folio], "Hamlet au paradis" [qui sera en poche en septembre, toujours chez Folio] et "Une demi-couronne") qui se déroule dans un cadre uchronique. Une histoire alternative, différente de celle que nous connaissons. Et on retrouve également cela dans "Mes vrais enfants".
Je ne vais pas trop entrer dans le détail de cette partie du livre, car il faut vous laisser découvrir les choses par vous-mêmes. Mais, je peux vous dire qu'il y a une idée absolument géniale, un déclic extrêmement habile qui lance ce processus de double vie. Quelque chose qui rappelle le film d'Alain Resnais, "Smoking / No smoking", du moins pour le principe.
Le romanesque, ici, vient se nicher d'abord dans l'entrelacement de ces deux existences qui, en elles-mêmes, n'ont rien d'extraordinaires. Ce que Jo Walton explore, c'est bien le quotidien de Patricia au cours de ses deux longues vies. Et c'est donc le contexte qui va venir directement influer sur cette existence.
Là encore, pardonnez-moi, ce n'est pas d'une grande clarté pour qui n'a pas lu "Mes vrais enfants", mais la construction de ce roman est magistrale et le fond qui y est développé également. Car, d'une vie à l'autre, sans être tout à fait la même, on retrouve Patricia, qu'on l'appelle Pat, Patty, Patsy, Tricia ou Trish, avec son grand coeur et son courage.
Elle va endurer bien des tourments, particulièrement au début d'une de ses deux vies. Dans la seconde, c'est plus tard que viendront les problèmes. Et puis, elles connaîtra également les soucis d'une fille qui doit gérer une mère déclinant bien trop vite, ceux d'une mère dont les enfants grandissent et font à leur tour des choix aux conséquences pas toujours joyeuses...
Dans les deux vies, on retrouve une femme bien plus solide qu'il n'y paraît de prime abord, militante et rebelle, essayant de faire bouger la société dans laquelle elle vit, et particulièrement, d'obtenir pour les femmes des droits qui se rapprochent de ceux qu'on accorde aux hommes, pour les homosexuels des droits qui se rapprochent des hétérosexuels.
Mais, ce qui est également très fort, c'est de voir comment Jo Walton travaille sur la question du progrès dans son ambivalence : progrès technologique et social qui va dans le sens de l'amélioration de nos vies ; mais un progrès qui, quelquefois, va trop loin, s'emballe et débouche sur des situations terribles, dramatiques.
Pour cela, la période est parfaite : Jo Walton introduit l'uchronie dans la période de la Guerre froide, joue habilement avec le péril nucléaire, évoque les changements sociétaux profonds apparus dans les années 1960, la libération sexuelle, les possibilités nouvelles de devenir parents, l'évolution du regard sur l'homosexualité où l'apparition de nouvelles maladies, telles que le sida...
Tout cela est ciselé, parfaitement intégré dans l'existence de Pat comme dans celle de Tricia, donnant naissance à deux histoires parfaitement équilibrés qui ne tombent pas dans le manichéisme facile : l'une n'est pas le strict contraire de l'autre, l'une ne symbolise pas le bonheur et l'autre le malheur, non, ce sont deux chemins empruntés par la même personne suite à un choix fait en toute conscience.
C'est un magnifique personnage, cette Patricia, mais elle n'est pas la seule que l'on rencontre dans son sillage. Oh, il y en a bien quelques-uns qui paraissent moins sympathiques, des relations plus tendues que d'autres, des atomes plus ou moins crochus, mais dans l'ensemble, elle est le centre de deux familles très différentes qui, pour elle, n'en font qu'une.
La question féminine, féministe, même, est vraiment au coeur de ce roman. Près d'un siècle (et on pourrait d'ailleurs arrondir, car l'évolution n'a pas été si grande entre 1917 et 1926 dans ce domaine) que retrace Jo Walton en montrant avec délicatesse mais fermeté, à petites touches mais avec insistance, ces "petites choses" qui font des femmes des citoyens de second rang.
Même indépendante, et dans chacune de ses deux vies, Patricia le sera, à un moment ou à un autre, elle est entravé, contrariée. On lui complique la tâche quand elle ne se trouve pas carrément face à des situations insolubles, parfaitement absurde, l'obligeant à mentir, dissimuler. Et quand ce n'est pas la loi qui pose problème, c'est le regard des autres et la nature humaine qui font obstacle.
Cette double existence permettra ainsi à une grande majorité de lectrices de se retrouver dans les destins de Patricia. C'est également l'une des grandes forces de ce livre, qui attrape le lecteur, le surprend sans cesse et finit par le bouleverser profondément. Car, doublement, on approche de la fin inexorable, de ce moment où l'on va retrouver Patricia dans cette maison de retraite...
Et l'on sait que non seulement, on aura laissé derrière nous nombre des personnages dont on a fait la connaissance grâce à elle, mais que, bientôt, il faudra la laisser, elle aussi, confuse, de plus en plus confuse, perdue au milieu des souvenirs de sa double vie en train de s'effacer. Et il est bien difficile de ne pas terminer cette lecture avec la gorge bien serrée et les yeux humides...
En lisant "Mes vrais enfants" (qui est, je le précise, la traduction littérale du titre anglais), j'ai repensé à un autre livre qui m'avait profondément ému lorsque je l'avais lu : "Korsakov", d'Eric Fottorino. Des sujets assez proches, des traitements et des points de vue très différents, des problématiques également éloignées, mais le même mal à l'oeuvre.
Il y a surtout une réflexion pleine de tendresse sur l'existence et sur la perpétuelle quête du bonheur. Et si, pour y parvenir, il fallait plus d'une vie ? Et si, par essence, nos existences étaient vouées à l'incomplétude faute de pouvoir expérimenter différents modes de vie ? On se retourne sur sa propre vie en se demandant : et moi, de quoi me souviendrai-je quand ma mémoire commencera à me fuir ?
Un dernier mot, pour parler des décors : l'Angleterre, bien sûr, pas celle des grandes villes, mais Oxford, Cambridge ou Lancaster. Et puis, une ville qui finit par être bien plus qu'un simple cadre. Pas une ville anglaise, celle-là, mais Florence, l'une des perles de l'Italie, avec toutes ses richesses héritées de la Renaissance.
On pourrait d'ailleurs y voir un symbole fort : la Renaissance... Exactement ce que représente le récit au coeur de "Mes vrais enfants", puisque c'est bien la renaissance de Patricia à laquelle nous assistons. Une renaissance qu'incarnent ces deux existences parallèles dont, aucune, peut-être, mais qu'en sais-je, après tout, n'a été la véritable existence de cette femme merveilleuse...