Raconter des histoires. Les hommes, depuis toujours, racontent des histoires, les transmettent, par oral ou par écrit. Les mythologies comme les littératures sont nées de cette façon et parfois se rejoignent. Alors que la série tirée de son roman "American Gods" est en cours de diffusion, un autre des livres de Neil Gaiman arrive en France : "la Mythologie viking" (en grand format au Diable Vauvert, traduction de Patrick Marcel). Une façon de découvrir une des grandes sources d'inspiration d'un des auteurs cultes de l'imaginaire dans le monde. Et de remettre aussi certaines de ses connaissances à niveaux sur cette mythologie que l'on retrouve dans beaucoup de livres, de films, de séries. Un livre à mi-chemin entre le roman et le recueil de nouvelles, presque la saison d'une série, avec plusieurs épisodes qui forment une histoire, de la création du monde jusqu'à la chute des dieux.
"La Mythologie viking", ce sont quinze histoires qui retracent l'époque où les dieux, mais pas seulement eux, les nains, les géants et quelques autres créatures aujourd'hui disparues, vivaient et dominaient le monde. On va suivre ces personnages de la création de ce monde, qui a la forme d'un disque entouré par d'immenses et profondes mers, et la chute des dieux, lors du fameux Ragnarok.
Une période riche où les dieux, qui sont les personnages centraux, ont connu de nombreuses aventures, parfois épiques, parfois étranges, parfois baroques. Certaines sont plus sombres, plus dramatiques, d'autres, au contraire, vous feront sourire et peut-être même rire, avec quelques chutes qui valent le détour, et des personnages capables de se fourrer dans des situations délicates.
Difficile de vous parler de l'histoire, puisqu'il n'y en a pas une, mais une série d'histoires qui forment une mythologie complète. On lit d'une traite et presque trop vite ce livre. On aimerait bien un petit rab, quelques histoires de plus, dans lesquels Neil Gaiman met son talent d'écrivain, son imaginaire foisonnant et son humour, parfois potache, au service de ces dieux turbulents.
Il y a un petit côté "village d'Astérix", à Asgard, le royaume des dieux. On se chamaille volontiers, on va chercher noise aux voisins et aux ennemis désignés, on se réconcilie autour d'une table bien garnie et de verres bien remplis. Ces dieux-là ne sont pas des personnages omnipotents, omniscients, invincibles et invulnérables, bien au contraire.
Ils ont pourtant des pouvoirs très importants, la puissance, la magie, la métamorphose, la capacité à ressusciter (enfin, avec un coup de main des copains). Mais aussi un orgueil gigantesque, des émotions qu'on retrouve souvent chez les humains, avec des côtés très sombres, une sacrée tendance à la vengeance et à régler certains problèmes par une grosse baston, voire un gros massacre.
Neil Gaiman ne nous présente pas le panthéon viking dans son ensemble et en détails. Ce qui l'intéresse, ce sont les histoires les plus marquantes, pour diverses raisons, celle dont on se souvient, celle qui font la renommée de ces dieux auprès des humains. Celles dans lesquelles ils impriment leur marque indélébile...
Parmi les dieux, trois ressortent, et ils sont d'ailleurs présentés dès les premières pages. Un court prologue rien qu'à eux, sous le titre "les Acteurs". Trois dieux aux personnalités bien différentes, bien contrastées, dont les agissements rythment les aventures qui composent cette mythologie. Un père et deux gamins hyperactifs et pas très bien élevés, il faut bien le dire...
Odin, c'est le plus grand et le plus ancien des dieux. Par son ancienneté, et aussi par le choix de perdre un de ses yeux, il a obtenu la sagesse. Voilà pourquoi on ne peut rien lui cacher... Mais il a aussi été capable d'un courage fou, il a pris des risques insensés jusqu'à presque perdre la vie pour obtenir le pouvoir des runes.
Il sait tout et son courroux peut être terrible. Il est également un dieu guerrier, capable de ruse, voire de sournoiserie pour arriver à ses fins. C'est un dieu sévère, pouvant se montrer impitoyable, mais qui se veut juste. Des trois dieux que nous allons d'évoquer, il est certainement le plus équilibré, le moins fantasque. Mais pas le moins dangereux.
A côté de lui, Thor est un vrai gamin. Bon, c'est le fils d'Odin, remarquez... Mais, loin du héros sans peur et sans reproche que l'on a tendance à dépeindre, c'est un dieu pas toujours très malin, capable de se retrouver dans les situations les plus improbables, inconfortables. Il fonce tête baissée, agi avant de réfléchir, quand il réfléchit, ce qui n'est pas sa qualité première.
C'est un dieu à l'appétit insatiable et à la dalle sérieusement en pente, capable d'impressionner son monde dès qu'il s'agit de faire bombance. Un être impulsif et bagarreur, mais c'est un gentil garçon, dans le fond, un enfant dans un corps d'hercule. Sa force est légendaire et s'incarne dans son fameux marteau, Mjollnir, dont l'origine est le sujet d'une des histoires racontées par Neil Gaiman.
Thor, c'est malgré lui l'un des ressorts comiques de ce livre, par son côté entier et nature, ses manières pas toujours très raffinées et sa candeur. Qu'il aille à la pêche, alors qu'il n'y connaît rien, ou qu'il joue les mariées (oui, vous avez bien lu, mariée au féminin), qu'il recherche un chaudron ou défie des géants, on s'amuse bien en sa compagnie, même s'il reste un combattant hors pair.
Et puis, le dernier personnage qui va nous intéresser, c'est peut-être le plus intéressant des trois : Loki. Fils de Laufey, son père est sans doute un géant, même si on n'en a pas la certitude. Une filiation qui en fait d'emblée un dieu à part à Asgard. La cause, sans doute, aussi de son caractère torturé, nous y reviendrons.
Loki, c'est le plus charmeur des dieux, le plus beau parleur, le plus éloquent. Le dieu capable de convaincre n'importe qui de n'importe quoi, parfois lors d'une simple discussion ou, quand la situation l'exige, en se transformant. Tout est bon pour parvenir à ses fins, obtenir ce qu'il veut, y compris la ruse et la tromperie.
Car, si Loki pourrait être le don juan patenté d'Asgard, le séducteur invétéré du panthéon, ou le petit comique de la bande, toujours en quête d'une bonne blague à faire à un confrère, c'est en fait un personnage bien plus sombre, dont les manigances laissent transparaître une certaine fourberie, pour ne pas dire une vraie méchanceté, qu'il ne manque jamais de mettre en oeuvre.
Loki est un jaloux, un envieux, un coléreux qui cache ses sentiments très violents derrière un côté fantasque qui lui vaut souvent les circonstances atténuantes. Son intelligence est remarquable, peut-être la plus aiguisée d'Asgard, mais il préfère l'utiliser pour piéger les gens, manigancer dans l'ombre, faire souffrir et même carrément trahir les siens...
Un personnage indigne de toute confiance, qu'on blâme puis qu'on absout, qu'on tolère plus qu'on ne l'apprécie. Odin n'est pas dupe : il l'appelle le fauteur de trouble. Mais, Loki a aussi un instinct de survie très développé. Quand il sent qu'il est allé trop loin, il n'hésite pas à réparer les dégâts qu'il a commis. Il n'a certainement pas le courage de Thor, mais son pouvoir de nuisance est réel.
Je n'ai pas eu envie, dans ce billet, de passer en revue les quinze histoire qui compose "la Mythologie viking", de Neil Gaiman. Mais j'ai quand même mes petites préférées. Par exemple, "les trésors des dieux", chapitre à la fois très drôle et très instructif, car on y voit apparaître les personnalités des trois dieux dont je viens de parler, mais on y apprend également l'origine de Mjollnir.
Une histoire de pari stupide à l'enjeu particulièrement important. Il va falloir à Loki déployer tous ses talents pour se sortir sans trop de mal du mauvais pas dans lequel il s'est mis tout seul. Et, comme il arrive que les mauvaises intentions soient punies, tout aboutira à la réalisation d'un véritable trésor, l'un des plus extraordinaires jamais vus.
"Le Maître d'oeuvre" est aussi un récit très amusant, dans lequel un étranger va défier les dieux, en misant sur leur arrogance et leur vanité. La déconfiture divine est un vrai nectar pour le lecteur. Ils comprennent, mais un peu tard, qu'ils ont été joués et sont bien embarrassés. Pour une fois, Loki sera le sauveur, avec une idée fort originale qui aura quelques conséquences...
Enfin, deux histoires qui m'ont bien fait rire, une déjà évoquée, "Les noces insolites de Freya", avec un Thor embarqué dans une situation qui, pour tout autre que lui, gentil géant pas toujours très malin, aurait pu être fort embarrassante, et "l'hydromel des poètes", où l'on nous explique l'origine de la poésie et des autres arts, y compris celui des conteurs.
Et l'on y découvre que la poésie, c'est comme les chasseurs, si vous voyez ce que je veux dire. Il y a la bonne et la mauvaise... Mais, à la différence des chasseurs croqués par les Inconnus, on découvrira ce qui distingue la bonne poésie de la mauvaise, et croyez-moi, rien que pour la chute de ce chapitre, cela vaut le coup de lire "la Mythologie viking".
Un dernier mot, en conclusion : je ne suis pas un grand connaisseur de ces mythes nordiques. Quelques bases, diverses et variées, des bribes... J'ai énormément appris à la lecture du livre de Neil Gaiman et j'ai été charmé par son écriture, parfois sombre, parfois très drôle, dressant des portraits très intéressants des dieux et des autres créatures, en particulier les nains et les géants.
Cela m'incitera certainement à approfondir le sujet, car je suis sorti presque frustré de cette lecture, avalée d'une traite (une expression qui s'impose, puisque, à l'origine de tout, il y a une vache, Audhumla, et le lait sortant de ses pis). J'ai eu envie de prolonger l'aventure en compagnie de cette bande turbulente et finalement, pas si différente des humains qui leur ont succédé sur terre...
Le plus troublant, et ce n'est pas la première fois que je me fais cette remarque en lisant des livres qui ont trait aux mythes et aux légendes, ce sont les points communs qui apparaissent entre les grandes mythologies du monde. Certes, les mythes vikings s'adaptent à leur environnement très froid, mais on pourrait quasiment trouver des équivalents à chacun des membres du panthéon dans la mythologie gréco-romaine, par exemple.
Ces histoires, comme le souligne Gaiman lui-même dans son texte introductif, on a envie de les raconter, d'y mettre son grain de sel, de les jouer, le soir, au coin du feu, lorsque d'une longue soirée d'hiver ou d'une fête estivale. Une envie de partager autour de quelques victuailles et d'hydromel (ou autre boisson à consommer avec modération), pour rire et se faire peur. Passer un bon moment.
Et vivre, tout simplement.