Eh bien, petit blog, que t'est-il arrivé ? Te voilà tout ramolli, tout endormi, tout rabougri... L'exposition Topor à la Bibliothèque nationale de France est finie depuis un moment, on sait de source sûre que ce livre a été terminé à la plage il y a plusieurs semaines et toi, tu te réveilles et tu n'en parles que maintenant ?
Je ne sais pas si l'adage Mieux vaut tard que jamais fonctionne réellement sur le Web. Une chronique d'un livre lu il y a fort longtemps perd de sa fraîcheur, et si elle n'a plus les quelques échos qu'elle entretenait avec l'actualité culturelle, que devient-elle sinon un caillou dans l'eau ?
Pourtant, j'avais envie de vous parler du Locataire chimérique, qui a été assurément la lecture qui a marqué mon été. C'était un choix bizarre, au fond, d'emmener un tel livre en vacances. Fuir Paris en courant pour lire, durant ma seule semaine au grand air, un livre sur son aliénation, cela relevait du paradoxe. Et pourtant ! Le Locataire, c'est l'histoire de Trelkovsky, un jeune homme bien sous tous rapports qui, comme tout parisien qui se respecte, est en galère de logement. Cela tombe bien, un appartement qui l'intéresse s'est libéré, du fait de la tentative de suicide de l'ancienne locataire. Non sans quelques scrupules, le héros se précipite auprès du propriétaire, multiplie les garanties et les génuflexions, jusqu'à obtenir, tant bien que mal, le logement. C'est bien sûr là que les ennuis commencent. Dans Le Procès de Kafka, Joseph K. est réveillé un matin accusé d'un crime dont il ignore la teneur, et nous avec lui. Dans l'attente de son procès, il remue ciel et terre, se casse les dents sur la machinerie administrative et pénitentiaire, en vain. Le Locataire chimérique relève pour une part de la même aliénation, sauf que cette aliénation est le fait de la malveillance et de l'égoïsme de l'autre. Trelkovsky est aussi plus passif que Joseph K., et il ne cesse de plier face à ses interlocuteurs, qui s'imposent, l'écrasent de leur individualité. C'est cruel, mais c'est pour ça que c'est drôle.
L'humour de Topor grince d'un peu partout, et les sourires qu'il place sur les visages de ses personnages vous donnent froid dans le dos. J'ai été séduite par les dessins qui ont été exposés à la Bibliothèque nationale de France, et les marionnettes géantes de Téléchat faisaient ressurgir des souvenirs vagues : je crois que j'avais regardé cette émission, mais je ne saurais dire si à l'époque, j'en avais compris quelque chose. S'il s'agissait de juger si j'ai retrouvé cet esprit provocateur et bizarroïde dans ce livre, je dirais que oui, mais revêtu d'un ton peut-être plus accessible et plus humain, plus ancré aussi dans la vague d'une littérature existentielle.
Pour notre héros, la seule porte de sortie est kafkaïenne, elle aussi : il s'agit d'une métamorphose. Hallucination ou complot, Trelkovsky est bientôt persuadé que l'ensemble de ses voisins cherche à le transformer en l'ancienne locataire, Simone Choule, celle-là même qui s'est défenestrée. Il oscille alors entre opposition totale, et transformation revendiquée. Simone Choule est à la fois un modèle et un repoussoir, dans tous les cas un double en face duquel il faut apprendre à exister.
Le plus absurde dans tout ça, c'est qu'on ne peut même pas dire que Trelkovsky existait trop fort pour mériter toute la kabbale des voisins. Il a simplement osé exister tout court. Un livre terrible et pourtant bizarrement plaisant à lire ; en un mot, une excellent surprise.
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Quelques nouvelles moins aliénantes, en passant :- Pour ceux que ça intéresse, j'ai créé un profil Sens critique sur lequel je n'ai pas (encore ?) mis grand chose.
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