Sorti en 2008
Editions Zulma Poche ( 2016 )
Contemporain
965 pages
Lecture dans le cadre de la licence
4ème de couverture
Eléazard von Wogau, héros inquiet de cette incroyable forêt d'histoires, est correspondant de presse au fin fond du Nordeste brésilien.
On lui adresse un jour un fascinant manuscrit, biographie inédite d'un célèbre jésuite de l'époque baroque. Commence alors une enquête à travers les savoirs et les fables qui n'est pas sans incidences sur sa vie privée. Comme si l'extraordinaire plongée dans l'univers d'Athanase Kircher se répercutait à travers les aventures croisées d'autres personnages, tels Elaine, archéologue en mission improbable dans la jungle du Mato Grosso, Moéma, étudiante à la dérive, ou bien Nelson, jeune gamin infirme des favelas de Pirambû qui hume le plomb fondu de la vengeance.
Nous sommes au Brésil, dans le pays des démesures. Nous sommes aussi dans la terra incognita d'un roman monstre, dont chaque partie s'ouvre sur un chapitre de la biographie de Kircher, " le maître des cent arts ", ancêtre de l'égyptologie et de la volcanologie, inventeur du microscope ou de la lanterne magique. On songe au réalisme magique des Borges et Cortazar, à Italo Calvino ou Umberto Eco, ou encore à Potocki et son Manuscrit trouvé à Saragosse, sans jamais épuiser la réjouissante singularité de ce roman palimpseste qui joue à merveille des mises en abyme et des vertiges spéculaires.Résumé Livraddict
Là où les tigres sont chez eux peut être qualifié de pavé, de beau pavé je dirais même. Près de 900 pages très enrichissantes qui nous proposent des réflexions et nous font prendre conscience de la réalité qui nous entoure, des personnages haut en couleur et une fin qui me laisse perplexe malgré le recul pris pour écrire cette chronique. Ce livre réserve son lot de surprise.
← Représentation d'Athanase Kircher
Kircher est loin d'être le seul personnage de ce récit, sinon quoi je pense que ma lecture aurait été un peu ennuyeuse. J'ai donc pris plaisir à suivre le parcours des autres personnages, à notre époque, chacun évoluant dans un lieu différent. Tous les changements de personnages et de lieux sont indiqués, le lecteur angoissé n'a pas à s'inquiéter : il ne peut se perdre. Les liens qui unissaient les multiples protagonistes n'étaient pas toujours identifiables de prime abord, ce fut donc une sorte de jeu que de mettre le doigt dessus, puzzle géant dans lequel les pièces ne coïncidaient pas forcément avec l'estampe à reproduire.
Eléazard, Elaine, Moéma, Nelson, Mauro, Loredana, Soledade, Kircher et bien d'autres sont autant de personnages emblématiques du livre, chacun jouant son rôle avec plus ou moins d'efficacité. Indépendamment des autres, la vie de chacun d'entre eux est très riche, elle nous ouvre les yeux sur un pan de la société, sur les contrastes saisissants qui fissurent le Brésil de part en part. Mises bout à bout, toutes ces existences façonnent une gigantesque toile qui semble représenter une certaine réalité, celle d'un monde dans lequel nous déambulons, aveuglés par des sentiments néfastes, à la recherche de la sérénité. À ce titre, un passage m'a particulièrement marqué ; Roetgen ( le professeur de Moéma ) et les pêcheurs d'un petit village à la marge. Roetgen constate avec effroi que la vie que nous menons n'est que faste et poussière, existences décousues dont nous ne sommes même plus les véritables maîtres, dont les rênes nous ont depuis longtemps glissées entre les mains.
Nous avons des trains à grande vitesse, des Airbus et des fusées, João, des ordinateurs qui calculent plus rapidement que nos cerveaux et contiennent des encyclopédies complètes. Nous avons un grandiose passé littéraire et artistique, les plus grands parfumeurs, des stylistes géniaux qui fabriquent de magnifiques déshabillés dont trois de tes vies ne suffiraient pas à payer l’ourlet. Nous avons des centrales nucléaires dont les déchets resteront mortels pendant dix mille ans, peut-être plus, on ne sait pas vraiment…Tu imagines ça, João, dix mille ans ! Comme si les premiers Homo Sapiens nous avaient légué des poubelles assez infectes pour tout empoisonner autour d’elles jusqu'à nos jours. Nous avons aussi des bombes formidables, de petites merveilles capables d’éradiquer pour toujours tes manguiers, tes caïmans, tes jaguars et tes perroquets de la surface du Brésil. Capables d’en finir avec ta race João, avec celle de tous les hommes ! Mais grâce à Dieu nous avons une très haute opinion de nous-mêmes.
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L'auteur nous offre donc un large éventail de personnage, des sauts dans le passé avec Kircher et un retour à la réalité avec les autres. Chaque point de vue nous apporte quelques choses, réflexion et prise de conscience, découvertes et révélations, je ne me suis pas ennuyée même si l'action n'est pas vraiment présente. Je dirai qu'il s'agit d'une histoire progressive dans laquelle chaque engrenage avance doucement, laissant aux autres le temps de s'installer afin que la machine fonctionne correctement. Il me semble nécessaire de prendre son temps pour savourer cette œuvre, pour tenter de comprendre les mécanismes du récit.
Certaines situations peuvent vous sembler communes voire stéréotypées, je vous l'accorde, elles n'en demeurent pas moins cohérentes et vivantes. Moéma a beau représenter l'image somme toute banale et caricaturale de la fille homosexuelle qui fume, qui boit, qui baise à droite à gauche, son personnage nous offre bien plus que cela, il nous livre la pensée d'une jeune femme qui vit en marge de la société, qui s'éveille et ouvre progressivement les yeux sur un autre moyen de vivre et de profiter, une prise de conscience progressive qui la rend presque attachante.
Une série de coïncidentes et d'imprévues vont contraindre les personnages à changer de parcours et/ou d'orientation, c'est dans un sens ce qui fait le charme de ce récit : son caractère imprévisible et la richesse de ses explications. On se demande quels enseignements doit-on retenir de tout cela. Morale et valeurs se fraient un chemin dans l'aveuglément dont sont victimes certaines personnes. Il n'est jamais trop tard pour ouvrir les yeux et son esprit. Il y a énormément de chose à dire sur un livre de cette envergure, pas seulement parce que ce livre est un pavé mais parce qu'il recèle de nombreux passages éclairants.
Ce ne sont pas les idées qui tuent : ce sont les hommes, certains hommes qui en manipulent d'autres au nom d'un idéal qu'ils trahissent avec conscience, et parfois même sans le savoir. Toutes les idées sont criminelles dès lors qu'on se persuade de leur vérité absolue et qu'on se mêle de les faire partager par tous.
Icons made by Pixel perfect from www.flaticon.com is licensed by CC 3.0 BY La lecture est addictive, je n'ai pas vu les 900 pages défiler même si j'avoue avoir mis du temps à lire ce livre. Le style très vraiment très prenant. Tout au long de la lecture j'ai eu l'impression de cotoyer quelque chose d'indéfinissable, une impression qui tantôt se fracassait, tantôt se renforçait. Je pense que la lecture des Carnets d'Eléazard n'est pas étrangère à ce phénomène, j'ai trouvé ces carnets particulièrement intéressants voire croustillants – sorte de réflexion sur tout et n'importe quoi, moyen de laisser s'exprimer une facette de notre personnalité. Le personnage d'Eléazard se permet de passer quelques coups de gueule qui m'ont bien fait rire, j'ai vraiment adoré cet homme.
Je n'aurai qu'un seul gros bémol pour ce livre, il s'agit de sa fin beaucoup trop ouverte pour moi. Tout au long de la lecture l'auteur nous propose un livre riche et complet, la fin est presque brutale, trop nette pour coller avec l'ambiance du livre, en ce sens je pense qu'un petit épilogue aurait permis aux lecteurs de ressortir de la lecture avec l'esprit un peu moins confus. Je me pose encore des questions avec cette fin, sans doute est-ce le but recherché mais je ne comprends pas la démarche. 900 pages très complètes pour une fin trop rapide et soudaine.
Je tiens toutefois à soulever ce qui me semble être un gros point positif, il s'agit des nombreuses annotations d'Eléazard sur la biographie de Kircher, annotations que vous retrouvez à la fin du livre. Elles ne sont pas indispensables pour comprendre le récit mais cela le rendra plus riche. Je n'ai pas toujours lu ces notes afin de ne pas casser mon rythme de lecture. La fin du livre est également doté d'un glossaire qui répertorie l'ensemble des termes brésiliens utilisés par l'auteur. Vous trouverez aussi une table des matières.
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Je pourrai vous parler encore et encore de ce livre, aborder avec vous les autres personnages mais la chronique perdrait sans doute en intensité et votre attention diminuerait. Là où les tigres sont chez eux est un roman-fleuve, un roman-monde, un roman-monstre ( Prix médicis ), un roman-jungle ( Valérie Marin La Meslée ). Ce livre nous offre une plongée au cœur d'une réalité inaccessible, une jungle de sensations. J'ai apprécié ma lecture mais je déplore une fin trop brutale qui rompt avec l'harmonie qui s'était installée.PRIX MEDICIS : Le prix Médicis est un prix littéraire français fondé par Gala Barbisan et Jean-Pierre Giraudoux le 1er avril 1958 afin de couronner un roman, un récit, un recueil de nouvelles dont l'auteur débute ou n'a pas encore une notoriété correspondant à son talent. ( Wikipédia )