C'est une première pour 4decouv : une chronique rédigée par une invitée. Ce n'était pas prévu mais ça m'a semblait impossible de passer à côté. J'aime beaucoup la manière dont Clémence évoque le roman d'Elena Piacentini. Je pense toujours que parler d'un livre, c'est parler de soi et de ses émotions. Et je trouve que cette chronique en est la parfaite preuve.
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Dès les premières pages, le ton est donné. Elena Piacentini place la barre haute et la suite va le confirmer. Avec beaucoup de talent, l'auteur metmomentanément de côté Léoni pour donner corps au Capitaine Mathilde Sénéchal. Cette dernière va évoluer dans un univers sombre et malgré tout assez familier des lecteurs d'Elena Piacentini (les légistes de ses romans se font des clins d'yeux, rien que ça ! ).
Mathilde Sénéchal n'est pas exactement la copine idéale et pourtant on sent entre ses fêlures quelque chose d'éclatant, de tout proche, prêt à fleurir pour peu qu'on trouve le bon dosage dans l'arrosage.
Les pages de ce roman exhalent des parfums cachés, des histoires cryptées et de la matière à explorer - pour plus tard. On rencontre au fil des pages des personnages délicieux tant dans leur être que dans leurs relations, à Mathilde, à la vie, à l'amour.
La frêle et attachante Adèle mérite un paragraphe à elle seule tant ce qu'elle vit et ce qu'elle laisse montrer d'elle la rend splendide. Elle donne de la rondeur à l'apparente rigidité de Mathilde, et son lien au chien me donne à penser que tout comme aux gourmands, on ne peut que faire confiance aux humains qui aiment les animaux.
Dans la galerie des personnages, je suis restée toute chose face à ce Pierre chercheur d'Ours, "vivant pilier de la Nature" (Charles Baudelaire), empli d'une douce pudeur qui encore aujourd'hui trois semaines après avoir fermé les pages me rend frissonnante : un tempérament tenace, des interstices pour les sentiments, la carcasse soumise à rude épreuve...
Et puis, la poésie du titre ! Ciel ! Je trouve d'une extrême délicatesse les titres qui font honneur au lecteur, j'en vois plusieurs dans ce que j'ai pu lire jusqu'à présent (Grossir le ciel, La nuit n'est jamais complète, Un long moment de silence) et ce roman Comme de longs échos mérite une place sur le podium.
"Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent."
J'ai exhumé ce poème de Baudelaire dont le vers est extrait pour réaliser que c'est lui qui trouve finalement les mots les plus approchants de ma sensation pour commenter le dernier né d'Elena Piacentini. J'ai une affection folle pour les romans qui font la part belle aux sens... et ce roman est parfumé, c'est magique.
Bien sûr la menthe de Mathilde (il me tarde d'en savoir plus dans le prochain roman), les descriptions olfactives des lieux, et ce passage plus que divin sur les arômes du cognac est d'une justesse folle, d'une sensualité terrible dans le contexte entre Mathilde et Albert, d'une beauté à couper le souffle, j'ai du le relire au moins dix fois.
On le trouve au chapitre 62, page 263 : « C'est l'hiver. Le chêne brûle dans la cheminée. Tu es bien peinard sur un canapé en cuir. Il y a un havane dans le cendrier mais tu ne vas pas le fumer de suite. Tu croques un carré de chocolat. Quelqu'un est en train de peler une orange dans la pièce. Sur les claies du grenier, des pruneaux finissent de sécher. Un essaim d'abeilles s'est tapé l'incruste dans la soupente. Tu sens maintenant ? »
Un passage d'Elena Piacentini qui fait une nouvelle fois écho à la suite du poème des Correspondances de Baudelaire : "Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens."
J'ai vraiment été charmée par l'écriture travaillée, fine, et ciselée, la clarté et pureté dans le vocabulaire, l'emploi du mot exact pour un rendu cristallin, la concordance temporelle et le style incisif et lumineux, mordant.
Je pourrais également parler de l'intrigue qui se dévore avec appétit, viles turpitudes de l'âme humaine incluses et méandres intelligents à souhait. En terminant ma lecture, je suis restée sous le charme du roman, fond et forme, pleine d'empathie pour une auteure qui se renouvelle avec brio et qui marque un coup de maître pour son entrée chez Fleuve.
Clémence