Claire Castillon, Les Messieurs (2016)

Une partie de la critique est complètement passée à côté. C’est un recueil de nouvelles dérangeantes sur les amours de jeunes femmes envers de vieux, voire très vieux « messieurs » qu’elles ont « terriblement envie d’aimer », sans jamais bien y arriver. Or, on a pris ces textes pour des nouvelles érotiques (Elle), ou bien au contraire pour une « vengeance » de l’autrice envers les hommes (On n’est pas couchés).

Reprenons. Comme l’a expliqué Claire Castillon à The Socialite Family, dans ce livre, elle n’a « pas voulu parler des hommes » (ce que les critiques masculins ont peut-être du mal à entendre, habitués qu’ils sont à ce qu’on parle d’eux). Les nouvelles sont toutes (à une exception près) racontées du point de vue de la femme. C’est ce point de vue que Castillon propose de faire entendre. D’une nouvelle à l’autre, on voit une amante pleine d’illusions et prise de mille peurs étonnantes : comment embrasser un homme né en 1927 ? De quoi a l’air, au lit, la calvitie d’un vieux monsieur ? Vont-ils mourir en jouissant ? Et surtout : « si je ne le fais pas, qui le fera ? » (p. 120).

Claire Castillon, Les Messieurs (2016)

« Je sentais que Joseph est ce que le tarot de Marseille appelle un diable, une sorte d’être magnétique doué d’un pouvoir sur les autres. Autrement dit,un trajet droit dans le mur », écrit l’amante d’un « patriarche effondré » (p. 99). De manière générale, les amours gérontophiles sont marquées au coin d’une inquiétude, d’une catastrophe imminente : la mort de l’amant, qui pourtant n’intervient effectivement que dans la dernière nouvelle du recueil, « Pique-nique au cimetière ». Ces femmes tentent, mais en vain, de (se) donner l’illusion coupable que le temps ne passera pas.

L’avis de Frédéric Beigbeder : « Claire Castillon fait aux hommes ce que Henri de Montherlant faisait avec une immense misogynie dans Les Jeunes filles« , n’est ainsi pas vraiment à propos. J’y verrais plutôt une relecture proustienne des illusions de l’âge et des illusions romanesques, de la passion humaine de se mentir incorrigiblement à soi-même. Passion dont seule la mort peut nous débarrasser.

Claire Castillon, Les Messieurs (2016)

D’autres avis sur : Les Petits Livres, Cactus Presse, Toute la culture. Une interview de Claire Castillon ici.

Claire Castillon, Les Messieurs, éditions de l’Olivier, 2016, 176 p., 16,50 €.


Classé dans:recension, recueil de nouvelles