Trois amis, trois citoyens du monde, passent la soirée dans un petit appartement mal rangé. Ils dialoguent autour d’un thé, d’un verre de vin, plus tard d’un whisky. Ils préparent une « expédition », prévue de longue date, mais surtout ils évoquent l’origine et la finalité de toutes les actions humaines.
C’est comme si le théâtre philosophique de Sartre était devenu convivial, comme si Épicure avait écrit Le Banquet. Dans cet « appartement-bateau » (p. 55), où l’on se croirait seuls au monde, les conversations ne connaissent aucune limite, aucun ordre. Une théière, un puzzle, la Lune à la fenêtre : tout a quelque chose à nous apprendre, tout est prêt à nous offrir une leçon sur l’écriture et la vie.
Quelle philosophie émerge des vapeurs d’alcool et des rayons de la Lune ? Comme les plantes du « jardin en mouvement » de Gilles Clément, les « pensées-gazon » de Lucie Desaubliaux (p. 103), si terre-à-terre qu’elles semblent insignifiantes, esquissent et indiquent une éthique de la non-intervention, où l’on savoure l’incertain et le potentiel, plus encore que l’accompli. En cela résolument moderne, le roman promet et admire d’avance, à la manière du narrateur de Tristram Shandy, des quêtes jamais réalisées et des pages jamais écrites.
Dans les derniers chapitres pourtant, le terrible principe de réalité vient frapper à la porte, sous la forme de la propriétaire de l’appartement, madame L. (pour Lucie?). Elle est venue réclamer son loyer. Il est alors temps d’une dernière leçon : à personne d’autre qu’à nous n’appartiennent notre temps et notre espace.
Le roman est donc à l’image de son autrice, Lucie Desaubliaux, débordante elle aussi : poète, dessinatrice, géomètre, photographe, parolière, rédactrice de post-its… On comprend vite, à parcourir son site internet, que La nuit sera belle est un grain de sable dans la plage immense de ses productions et performances. Ce premier roman, très humble et sensible, n’a déjà plus la tonitruance d’un écrit de jeunesse qu’il est pourtant : c’est donc sa discrétion même qui le rend remarquable, un peu à la manière d’un roman de Claire Huynen. Trois mois après sa sortie, on ne trouve guère en ligne, sur ce roman, qu’une chronique, très juste au demeurant, de Philomag. A l’inverse de son personnage tapageur Todd C Douglass, « qui aime faire retentir ses ouvertures » (p. 124), L. Desaubliaux signe avec La nuit sera belle un éminent murmure.
Lucie Desaubliaux, La nuit sera belle, Actes Sud, 2017, 192 p., 18,50€.
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