Je joue mon rôle dans votre univers
Et vous dans le mien
Ne m’oubliez pas
Ainsi se lamente (p. 122) Aya Cheddadi, poète morte le 6 janvier 2015, à trente-six ans, laissant inédit un recueil de poèmes rassemblés quelques mois avant son décès.
Née de mère japonaise et de père marocain, c’était bien la seule poète française qui puisse ouvrir un recueil sur Tunis avec une section de poèmes intitulée : Ikebana. Les poèmes, de tonalité légère et lyrique, font bien souvent rimer la plainte et l’amour de la Méditerranée, « lamente » et « la menthe ». Les légendes marines s’y mélangent, et le personnage fondateur Elyssa (Didon) croise ici Mélusine la femme-serpent, Tanit la déesse punique, et bien d’autres encore.
Plusieurs sections font de claires références à l’actualité tunisienne passée ou à venir. La révolution du jasmin est pour elle l’occasion de célébrations lyriques de Mohammed Bouazizi. Le titre « Après l’attentat », p. 41, peut-il être lu autrement que comme la prémonition posthume d’une année 2015 où la Tunisie connaîtrait trois attentats sanglants ? À partir de ces realia, Cheddadi parvient toujours à un jeu de langage, comme cet étonnant pantoum intitulé « Brèves » (p. 49), qui fait rimer des titres de journaux entre eux.
Qu’est-ce qui donne à la poète l’insouciant optimisme de faire rimer les tragédies ? Sans doute une grande naïveté voulue, recherchée, sensible dans certaines emphases déclaratives (p. 132) :
Je ne le dirai pas
Jamais n’est pas un mot de la réalité
jamais est un mot-lunette pour ceux comme toi
qui ont besoin de certitudes extérieures
Je n’en ai pas besoin moi
Sans ces certitudes intérieures, poétiques, aujourd’hui, le nom d’Aya Cheddadi aurait peut-être été oublié.
Didon écrivant, manuscrit du XVIe siècle, BnF ms. 873On trouve très peu de ressources en ligne au sujet de ce recueil. Citons quand même :
la lecture d’un poème par une booktubeuse : Zinzoline ;
L’avis-postface de Tahar Ben Jelloun ;
L’avis lapidaire quoiqu’enthousiaste de Carte diem.
Aya Cheddadi, Tunis marine, Gallimard, mars 2016, 168 p., 13,50€.
Classé dans:poésie, recension