Voilà que nous parvient, depuis les États-Unis où écrit et enseigne Sylvie Kandé (poète-traductrice-romancière franco-sénégalaise), son Gestuaire.
Une tentative de « grammaire transitoire », dit-elle, capable de raconter les expériences, belles ou traumatiques, douces ou violentes, nées du métissage et de l’esclavage en Amérique. Gestes que la France métropolitaine n’a pas connus et qu’elle n’a jamais nommés. Il n’est pas jusqu’au « Génocide » (titre d’un poème p. 26) qui n’exige, pour être compris du lectorat métropolitain, sa poétique traduction.
Dans ces pages, les époques et les savoirs sont mêlés, puisés à toutes les sources. Pour écrire sa poésie, S. Kandé s’appuie sur l’histoire : « pensez qu’il m’a fallu étudier les lukasa pour écrire Lagon, lagunes. Tableau de mémoire (Gallimard, 2000) et la méthode de construction d’une pirogue pour La quête infinie de l’autre rive (2011) ! » Nullement asservie à cette histoire cependant, elle s’en libère par des tableaux dont de nombreux poèmes (« Survivre selon Alice », p. 24, dédié à Alice Martinez-Richter ; « Au sujet du retable des neufs esclaves », p. 89, etc.) constituent les ekphraseis, où la parole anime et raconte l’image.
Il reste peu de choses à dire de son recueil après la présentation et l’entretien réalisés par Diacritik ici. Nous tenterons quand même quelques mots. Comme l’épopée de 2011, cette « chanson de gestes » de S. Kandé célèbre et remémore des « records »et exploits nés de la volonté de survie en milieu haineux : « la haine qu’en dire sinon qu’à jamais elle sacre » (p. 48). Le personnel dramatiquea de la tragédie des rejetés : les « mouettes » et les « muettes » (p. 12), les identités en « miettes » (p. 34), les « phalènes » mêmes (p. 64), que calcine la lampe. On trouve aussi des pièces de tonalité plus légère, comme la fable « L’Œuf et la pierre » (p. 88). Sans céder au lyrisme d’un Esprit universel qui traverserait les continents, les espèces et les genres, la poète laisse la porte ouverte à une possibilité : « Toutes les pierres ne sont pas vivantes mais certaines le seront Retiens ton pied » (p. 59).
Alice Martinez-Richter, Survivre, 1974.
Ailleurs :
Une bibliographie de Sylvie Kandé dans Recours au poème ;
Le comparant aux précédents ouvrages de S. Kandé, Lelittéraire salue un recueil métisse « enfin dégagé de la gangue intellectuelle d’un parcours universitaire prestigieux ».
L’avis d’En attendant Nadeau
Sylvie Kandé, Gestuaire, Gallimard, octobre 2016, 112 p., 12,50€.
Classé dans:poésie, recension
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