«La nouvelle coupe le souffle. Le roman l’entretient à petit feu.» Marcel Schneider
Les amoureux de nouvelles sont rares. Vous êtes plusieurs à ne pas en lire, à bouder ce genre mal aimé. J’ai déjà fait partie de ce gang, mais c’était avant… Avant de lire
Un membre permanent de la famille de Russell Banks. Avant de lire Incandescencesde Ron Rash. Ces deux recueils m’ont donné la piqure. Depuis,il me faut mon recueil quasi mensuellement. Je me suis lâchée lousse cet été. J’en ai enfilé trois, dont deux publiés dans la collection «Terres d’Amérique», gage de qualité incontestable.Electra, Mr K et Jérôme sont aussi tombés sous le charme.
Le cœur sauvage, Robin Macarthur, trad. France Camus-Pichon, Albin Michel, 220 pages, 2017.★★★★★Ils sont seuls, tentent d’agripper le vent, de s’oublier. Ils quêtent un peu d’amour, comme cette femme tombée amoureuse d’un ambulancier, qui passe son temps à appeler les secours dans l’espoir de le revoir (Numéro d’urgence). La solitude les pousse à agir, tel ce grand-père qui, après avoir reconnu son petit-fils sans-abri dans un documentaire, décide de partir à sa recherche (Rebut); tel cet homme qui, en adoptant un berger andalou, espère faire de nouvelles rencontres (Un compagnon idéal). Ils sont à un tournant de leur vie, doivent choisir quel chemin ils emprunteront. Un homme dépressif, abandonné par sa femme et sa fille, déménage dans le cabanon de son jardin et se lie d’amitié avec un sans-abri (Le jardin du mendiant).J’ai eu un coup de cœur pour cette ramasseuse compulsive, collectionneuse de petites cuillères, qui vient en aide aux pauvres de son quartier, quartier qui ne cesse de s’appauvrir au fil des ans (La reine des bocaux et des boîtes).
Au fil des ans, par la vitrine de sa boutique, elle avait vu défiler ouvriers estropiés des scieries, vagabonds et poivrots – vestiges cabossés de l’héritage industriel de la ville –, auxquels étaient bientôt venus se joindre les héroïnomanes, puis les fumeurs de crack et autres représentants de toutes les formes de misère. Le quartier était de ceux que les automobilistes traversaient désormais bouche bée comme en safari. Face à une vie sans grande perspective, les personnages sont englués dans une solitude étouffante. Le style est empreint d’images saisissantes de désespoir, mais également de tendresse, de ces images qui fendent le coeur. Michael Christieaime ses personnages, les comprend. Son regard lucide dévoile leurs fêlures et cicatrices sans voyeurisme. Son empathie est contagieuse. J'ai juste un petit bémol pour le manque d'unité et de liant entre les nouvelles.Le jardin du mendiant, Michael Christie, trad. Nathalie Bru, Albin Michel, 320 pages, 2012.★★★★★
Elle est toute jeune. Elle est Argentine. Et son univers est… étrange. Les douze nouvelles qui
composent ce recueil sont à la fois effrayantes et addictives.Dans un climat glaçant, le malaise est omniprésent et la folie jamais loin. L’étrangeté surgit du quotidien le plus banal.Pour chacune de ces nouvelles, j’étais à l’affût de ce moment où le banal glisserait dans l’étrange.L’étrangeté est à l’honneur dans
Un enfant sale,
où une jeune femme s’inquiète pour un enfant de la rue délaissé par sa mère junkie. Toute aussi étrange, cette nouvelle où une gamine et son amie décident de glisser des chorizos dans les matelas de l’hôtel où son père travaillait, pour se venger de son licenciement (L’hôtel).Sans parler de cette jeune anorexique obsédée par un crâne trouvé dans la rue (Pas de chair sur nous). L’horreur monte d’un cran avec Patio du voisin. Une femme est convaincue que son voisin garde un enfant enchaîné dans son appartement. L’enfant se révèle une créature sauvage sanguinaire et affamée de chat. Réalité ou hallucination?Deux nouvelles m’ont particulièrement chamboulée. La maison d’Adela, dans laquelle une gamine amputée d’un bras partage sa fascination pour les films d’horreur et est avalée par le mur d’une maison abandonnée. Et Fin des classes, dans laquelle une adolescente s’arrache les ongles et les cheveux devant ses camarades de classe. Le Buenos Aires de Mariana Enriquez est un labyrinthe terrifiant: des quartiers sombres, des rues tortueuses peuplées de toxicomanes, d’enfants des rues, d’adolescentes en quête d’aventures fortes. Les fantômes de la dictature rôdent, la pauvreté se fait sentir. Ici, les femmes occupent le premier-plan. Des adolescentes torturées aux femmes de carrière, les personnages féminins de Mariana Enriquez sont complexes et… troublants. Les enfants passent un mauvais quart d’heure. Les hommes ont tous le mauvais rôle: violents, contrôlants, fainéants. Ils ne font pas long feu et sont rapidement expulsés. Les mots de Mariana Enriquez sont pesés, adroitement enfilés les uns à la suite des autres pour emprisonner son lecteur.Un univers singulier, glauque, puissant. Un recueil déroutant et hautement original.Electra en parle mieux que moi!Ce que nous avons perdu dans le feu,
Mariana Enriquez, trad. Anne Plantagenet, Éditions du Sous-Sol, 240 pages, 2017.★★★★★