Pourquoi, une fois de temps en temps, et surtout un mois d’août à la plage, ne pas lire un best-seller international ?
Elena Ferrante est le pseudonyme d’une romancière à succès, née à Naples en 1943, et qui n’a été formellement identifiée que très récemment : il s’agirait d’Anita Raja, éditrice et traductrice italienne d’écrivaines féministes du monde entier (et de Christa Wolf en particulier).
Pour parler de L’amie prodigieuse, il faut commencer par la fin : son immense succès éditorial. La tétralogie entière a tenu en haleine des millions d’hommes et de femmes de tous les pays, de tous les âges, à la ville et à la campagne, diplômés ou pas, depuis la parution du premier tome en 2011 (mais en 2014 en France, grâce à la traduction d’Elsa Damien). Autour de moi, où que j’aille, on lisait Elena Ferrante : au travail, à l’université, dans ma famille, à mes loisirs. Une « Ferrante fever« , disent les journaux.
On ne comprend pas encore très bien le phénomène d’addiction à des fictions (littéraires ou télévisuelles) ; les textes théoriques abondent sur le sujet, et ce n’est pas moi qui vais résoudre cette épineuse quadrature. Sur L’Amie prodigieuse, le premier tome, j’ai cependant quelques mots à dire.
Il raconte l’enfance et l’adolescence d’Elena (la narratrice) et de sa meilleure amie Lila, dans une banlieue pauvre de Naples. Tout au long de cette initiation, le roman suit des rails très stricts : il s’agit sans cesse de l’émulation, de la rivalité entre les deux personnages. À l’école, dans leurs familles, plus tard avec les garçons ou bien au travail, sans cesse Elena et Lila se comparent, se mesurent à l’aune de l’autre. Même lorsque Lila n’est pas présente, elle « agit comme un fantôme exigeant » (p. 120) sur sa comparse.
Or Lila est une fille en effet « prodigieuse », fascinante, qui prend sans cesse des décisions extrêmes et n’hésite pas à user de la violence ou de la méchanceté les plus frontales pour arriver à ses fins. Elle ne souhaite rien d’autre que le bonheur de son quartier et la paix entre les familles (ce qui la rend sympathique), mais elle use pour cela de moyens bien à elle, qui étonnent sans cesse.
Toute la vie de ce quartier de Naples est dépeinte en série de courts épisodes, de petites aventures où, immanquablement, Lila fait montre de son extravagance. Il y a quelque chose de systématique, de mécanique même, dans cette écriture ; la romancière ne s’en cache pas, puisqu’elle révèle sa recette elle-même (p. 186) : elle écrit « non pas tant les événements en soi que la cristallisation autour de Lila de tensions d’origines diverses ».
Ainsi rien d’étonnant à ce que L’Amie prodigieuse finisse adaptée en série TV par HBO. Le procédé est celui même qui a fait le succès de tant de séries TV (Friends, How I met your mother…) : des personnages aux caractères dépeints à très gros traits, exagérés dans leurs choix et dans leurs émotions, procurent toujours un même type d’émotions chez le spectateur quels que soient les événements (potentiellement infinis, là-dessus les scénaristes ont les coudées franches) auxquels ils sont confrontés.
Le style est agréable, et les détails de la vie quotidienne de l’Italie des années 60 sont touchants. Voilà pourquoi on ne se rend pas compte tout de suite à quel point la structure narrative est, au fond, répétitive. En réalité l’écrivaine fait preuve de technicité bien plus que de sensibilité. On s’en apercevra avec évidence à la dernière page, où le premier tome se conclut sur un cliffhanger digne d’un mauvais polar, qui nous incite plutôt à sortir la carte bleue pour acheter le deuxième qu’à méditer sur le sens profond (manifestement absent) des aventures advenues.
Ailleurs : LeParisien s’attarde sur les chiffres du succès ; Bibliobs soutient que le succès d’Elena Ferrante s’explique par la description précise et féministe de la vie et du corps des héroïnes ; LeTemps y voit la preuve d’une grande fluidité du style de l’écrivaine.
Elena Ferrante, L’amie prodigieuse, Gallimard, coll. « Du monde entier », 2014, 400 p., 26,50€.
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