Je tenais à lire Underground Railroad. Non pas à cause de l’engouement qu’il suscite – quoiqu’amplement mérité. J’ai voulu lire ce roman parce que j’aime ce qu’écrit Colson Whitehead. J’aime sa diversité et son audace. Avant de créer le blogue, j’ai lu Sag Harbor et je suis tombée en amour avec Benji. J’ai aussi lu Zone 1 et c’est la première fois qu’un roman post-apocalyptique peuplé de zombies m’a plu (alors que j’ai habituellement horreur de ça). Pas question, donc, que je passe à côté de Underground Railroad. Il débarque en français auréolé du Pulitzer 2017 et du National Book Award 2016. Ce roman, on le voit partout, ce n’est par fini, et c'est tant mieux.
Ça se passe aux États-Unis,
avant la guerre de Sécession. Les frères Randall dirigent une plantation de coton en Georgie. Cora a seize ans, ou peut-être dix-sept; elle n'en est pas tout à fait sûr. Elle est née dans la plantation, tout comme sa mère Mabel. Lorsque Cora avait dix-onze ans, sa mère s'est enfuie – elle est la seule esclave à s’être échappée de la plantation. On ne l’a jamais revue. Cora a toujours eu des émotions embrouillées envers sa mère, déchirée entre le ressentiment d'avoir été abandonnée et l’admiration devant son courage et sa détermination. Quand Caesar, un esclave arrivé de Virginie, propose à Cora de s’enfuir, la jeune femme hésite. Caesar l’a choisie, elle, parce qu'il est persuadé qu'elle lui apportera de la chance (sa mère n'a-t-elle pas réussi son évasion?). Cora pèse le pour et le contre: la liberté ou la mort. Les propriétaires d'esclaves sont impitoyables devant des esclaves capturés... Lorsqu’un changement de garde survient à la plantation, Cora et Cesar prennent la fuite.S’ensuit un fascinant périple à travers les États-Unis. Le parcours de Cora est parsemé de rencontres: tant des âmes secourables que des monstres barbares et sanguinaires. Elle devient nounou, puis mannequin au musée des Merveilles de la Nature en Caroline du Sud, elle vivra un temps cachée dans un grenier et sera témoin de séances de lynchage publiques en Caroline du Nord («En Caroline du Nord, la race noire n’existait pas, sinon au bout d’une corde.»), elle traversera le Tennessee et sera prise dans un guet-apens en Indiana. Une vie à courir, encore et toujours.
L'Underground Railroad était un réseau de routes et de lieux clandestins mis en place par les abolitionnistes et utilisé par les esclaves afro-américains qui fuyaient vers le Nord. L’ingéniosité de Colson Whitehead est d’avoir imaginer un vrai réseau souterrain, avec ses tunnels, ses locomotives et ses wagons, ses chefs de gare et ses conducteurs. Par la fiction, il donne une idée de la manière dont un vrai système de voies ferrées souterraines aurait pu exister.La construction du roman avait tout pour me transporter. Chaque chapitre marque une nouvelle étape dans le parcours de Cora
– les deux Carolines, le Tennessee et l'Indiana –, entrecoupé de courts chapitres qui présente un personnage lié, de près ou de loin, à la jeune femme: Ajarry, sa grand-mère; Ridgeway, le chasseur d’esclaves qu'elle aura constamment sur les talons; Stevens, un étudiant en médecine pilleur de tombes; Ethel, une «abolitionniste forcée»; Caesar, son compagnon de misère pour un temps; Mabel, sa mère. La brochette de personnages est pittoresque, malgré le fait qu'il y ait des bons, des méchants, et entre les deux, presque personne.Dans un style limpide d'une justesse implacable, Colson Whitehead parvient à capter l'essence même d'un système esclavagiste. Il décrit la vie d'esclave – le rêve de liberté, la peur constante, la faim, la violence –, ouvre une porte sur ceux qui les ont aidés, asservis ou chassés. L'entraide, la foi en l'égalité et la générosité font contrepoids à la barbarie et au racisme systémique. N’empêche, vu ce qu'il en ressort, l’humanité est plus que désespérante. Et les Noirs ne sont-ils pas toujours et encore victimes de racisme et de discrimination?
Colson Whitehead entremêle la fiction, dans ce qu'elle a de plus vibrant, avec la réalité historique, dans ce qu'elle a de plus effroyable. Ce que j’ai appris m’a sidérée – le prix moyen d’un esclave (250 $), les études de Tuskegee sur la syphilis, le contrôle des naissances et la stérilisation stratégique de femmes noires. Derrière un rideau d'apparences, les États-Unis camoufle une histoire teintée de sauvagerie barbare et sanglante.
J'ai eu un immense coup de cœur pour cet Underground Railroad. Je l'ai lu la bouche ouverte et les poings crispés. Et que dire de la fin... Je me suis prise une de ces claques, j'vous raconte pas! Si ce n'est déjà fait, précipitez-vous sans attendre.À lire, le passionnant billet d'Electra, ainsi que ceux de Nelfe et de Raccoon.
Underground Railroad, Colson Whitehead, trad. Serge Chauvin, 416 pages, Albin Michel, 2017.
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