Jojo Moyes a été à l'origine de l'une des grandes découvertes livresques de 2015, avec Avant toi, qui ne payait pas de mine (on sentait venir la romance acidulée) et traitait avec sensibilité un sujet plus grave que ne le laissait paraître la frivole première de couverture.Lorsque j'ai vu son dernier petit disponible à la lecture sur la plateforme NetGalley, autant vous dire que je me suis ruée dessus.
Libres pensées...
En 1916, à Saint Péronne, Sophie lutte pour la survie de sa famille, alors que son époux Edouard Lefèvre a été envoyé sur le front, que le village est occupé par les Allemands et que les villageois peinent à trouver de quoi se nourrir, du fait des réquisitions systématiques par l'occupant. Bientôt, l'auberge familiale, Le coq rouge, devient le lieu de prédilection du Kommandant et de ses sbires, qui obligent Sophie et sa sœur Hélène à cuisiner pour eux des repas de fête. A l'occasion d'un de ces dîners, le Kommandant découvre le portrait de Sophie peint par Edouard, qu'il trouve fascinant.
Un siècle plus tard, à Londres, le portrait est entre les mains de Liv, cadeau que lui a offert son mari décédé, David. Lorsqu'elle fait la rencontre de Paul, elle ignore que ce dernier oeuvre pour la restitution des œuvres d'art volées pendant la guerre. Il reconnaît le portrait, et un procès s'engage, opposant la famille Lefèvre, qui souhaite récupérer l'oeuvre, et Liv, qui y est très attachée et clame qu'elle a acquis légalement. Cette bataille judiciaire va permettre de faire la lumière sur le sort de Sophie, demeuré incertain après son envoi dans un camp allemand.
Avec Les yeux de Sophie, Jojo Moyes se confronte à un contexte historique déjà très présent dans la littérature (la Première Guerre Mondiale), et à un sujet qui a été quelquefois évoqué (au cinéma par exemple, dans Monuments men ou La femme au tableau), mais qui présente l'intérêt majeur de ne pas comporter de réponse évidente, la spoliation d’œuvres d'art et de biens durant les périodes de guerre. Car si l'opinion publique est favorable à la restitution du fait du préjudice subi par les familles des propriétaires initiaux, la situation est plus complexe dès lors que l'oeuvre a été revendue et que ses propriétaires actuels l'ont acquise de manière légitime.
L'auteur propose donc une intrigue faite de rebondissements et engageant le lecteur à réfléchir. Comme dans Avant toi, sous des abords légers, on découvre un sujet plus grave, exempt de facilité. Le style fluide, très vivant, est un atout essentiel pour capter la curiosité du lecteur, qui a tôt fait de s'attacher à Sophie en particulier, et est impatient de savoir ce qui a pu lui advenir : une idylle s'est-elle nouée avec le Kommandant? Est-elle restée fidèle à Edouard? Ce dernier est-il rentré de la guerre? L'éloignement temporel rend difficile la récupération de témoignages, et constitue un parti pris de l'auteur : l'amalgame est fait, lors du procès, avec le vol d’œuvres d'art par les nazis, tandis que l'histoire de Sophie date de 1916, et est très différente. Cependant, en contrepartie, les acteurs de l'époque ont tous disparu, ou presque, et le fait d'en convoquer quelques-uns est susceptible de décrédibiliser le réalisme du récit (ces protagonistes ayant alors au moins cent ans).
Un bémol, à mon sens, réside dans l'attitude acharnée de Liv, qui la rend très ambivalente : elle s'acharne à défendre que le portrait lui appartient, et veut croire qu'il est arrivé entre ses mains en toute légitimité, mais le dénouement final montre qu'il n'existait pas de preuve tangible qui aurait pu la porter à croire cela dès le début du procès, la situation contraire aurait tout aussi bien pu avoir lieu. En outre, si l'on pourrait comprendre l'attachement de Liv au tableau en tant que souvenir qui la lie à son époux disparu, il m'a semblé que cette dimension demeurait peu explorée, et aurait méritée de l'être davantage - ce qui, néanmoins, rendait difficile la progression de toute romance entre Liv et Paul.
En conclusion, Les yeux de Sophie est un roman qui se lit d'une traite, avec plaisir et non sans une certaine tension créée par l'intrigue haletante, néanmoins il présente certaines facilités dans l'intrigue qui pourront sembler peu crédibles aux lecteurs les plus soucieux de cohérence. Il conforte cependant le talent de Jojo Moyes et l'aisance avec laquelle elle nous entraîne dans l'illusion romanesque.
Pour vous si...
Morceaux choisis
"_Oh, Sophie! Je pourrais vous peindre tous les jours de ma vie, murmura-t-il contre ma peau.
Je ne savais pas avec certitude s'il avait prononcé "peindre" ou "prendre", mais, à ce stade, il était trop tard pour m'en préoccuper." (uh_uh)
"Il s'exprimait comme un juriste : rapide, intelligent, impatient quand on ne saisissait pas immédiatement où il voulait en venir."
"Son sourire est un rictus. Elle se surprend à observer les couples, les fissures domestiques de plus en plus visibles à chaque verre de vin supplémentaire."
Note finale3/5(cool)
Libres pensées...
En 1916, à Saint Péronne, Sophie lutte pour la survie de sa famille, alors que son époux Edouard Lefèvre a été envoyé sur le front, que le village est occupé par les Allemands et que les villageois peinent à trouver de quoi se nourrir, du fait des réquisitions systématiques par l'occupant. Bientôt, l'auberge familiale, Le coq rouge, devient le lieu de prédilection du Kommandant et de ses sbires, qui obligent Sophie et sa sœur Hélène à cuisiner pour eux des repas de fête. A l'occasion d'un de ces dîners, le Kommandant découvre le portrait de Sophie peint par Edouard, qu'il trouve fascinant.
Un siècle plus tard, à Londres, le portrait est entre les mains de Liv, cadeau que lui a offert son mari décédé, David. Lorsqu'elle fait la rencontre de Paul, elle ignore que ce dernier oeuvre pour la restitution des œuvres d'art volées pendant la guerre. Il reconnaît le portrait, et un procès s'engage, opposant la famille Lefèvre, qui souhaite récupérer l'oeuvre, et Liv, qui y est très attachée et clame qu'elle a acquis légalement. Cette bataille judiciaire va permettre de faire la lumière sur le sort de Sophie, demeuré incertain après son envoi dans un camp allemand.
Avec Les yeux de Sophie, Jojo Moyes se confronte à un contexte historique déjà très présent dans la littérature (la Première Guerre Mondiale), et à un sujet qui a été quelquefois évoqué (au cinéma par exemple, dans Monuments men ou La femme au tableau), mais qui présente l'intérêt majeur de ne pas comporter de réponse évidente, la spoliation d’œuvres d'art et de biens durant les périodes de guerre. Car si l'opinion publique est favorable à la restitution du fait du préjudice subi par les familles des propriétaires initiaux, la situation est plus complexe dès lors que l'oeuvre a été revendue et que ses propriétaires actuels l'ont acquise de manière légitime.
L'auteur propose donc une intrigue faite de rebondissements et engageant le lecteur à réfléchir. Comme dans Avant toi, sous des abords légers, on découvre un sujet plus grave, exempt de facilité. Le style fluide, très vivant, est un atout essentiel pour capter la curiosité du lecteur, qui a tôt fait de s'attacher à Sophie en particulier, et est impatient de savoir ce qui a pu lui advenir : une idylle s'est-elle nouée avec le Kommandant? Est-elle restée fidèle à Edouard? Ce dernier est-il rentré de la guerre? L'éloignement temporel rend difficile la récupération de témoignages, et constitue un parti pris de l'auteur : l'amalgame est fait, lors du procès, avec le vol d’œuvres d'art par les nazis, tandis que l'histoire de Sophie date de 1916, et est très différente. Cependant, en contrepartie, les acteurs de l'époque ont tous disparu, ou presque, et le fait d'en convoquer quelques-uns est susceptible de décrédibiliser le réalisme du récit (ces protagonistes ayant alors au moins cent ans).
Un bémol, à mon sens, réside dans l'attitude acharnée de Liv, qui la rend très ambivalente : elle s'acharne à défendre que le portrait lui appartient, et veut croire qu'il est arrivé entre ses mains en toute légitimité, mais le dénouement final montre qu'il n'existait pas de preuve tangible qui aurait pu la porter à croire cela dès le début du procès, la situation contraire aurait tout aussi bien pu avoir lieu. En outre, si l'on pourrait comprendre l'attachement de Liv au tableau en tant que souvenir qui la lie à son époux disparu, il m'a semblé que cette dimension demeurait peu explorée, et aurait méritée de l'être davantage - ce qui, néanmoins, rendait difficile la progression de toute romance entre Liv et Paul.
En conclusion, Les yeux de Sophie est un roman qui se lit d'une traite, avec plaisir et non sans une certaine tension créée par l'intrigue haletante, néanmoins il présente certaines facilités dans l'intrigue qui pourront sembler peu crédibles aux lecteurs les plus soucieux de cohérence. Il conforte cependant le talent de Jojo Moyes et l'aisance avec laquelle elle nous entraîne dans l'illusion romanesque.
Pour vous si...
- Vous raffolez des histoires de trésors perdus...
- ...et d'intrigues juridiques!
Morceaux choisis
"_Oh, Sophie! Je pourrais vous peindre tous les jours de ma vie, murmura-t-il contre ma peau.
Je ne savais pas avec certitude s'il avait prononcé "peindre" ou "prendre", mais, à ce stade, il était trop tard pour m'en préoccuper." (uh_uh)
"Il s'exprimait comme un juriste : rapide, intelligent, impatient quand on ne saisissait pas immédiatement où il voulait en venir."
"Son sourire est un rictus. Elle se surprend à observer les couples, les fissures domestiques de plus en plus visibles à chaque verre de vin supplémentaire."
Note finale3/5(cool)