Le livre que je ne voulais pas écrire d’Erwan Larher

Le livre que je ne voulais pas écrire d’Erwan LarherLe livre que je ne voulais pas écrire

Erwan Larher

Quidam éditeur

Août 2017

259 pages

Je n'aime pas l'autofiction, je n'aime pas les auteurs (souvent français) qui sous couvert d'écrire un roman se répandent dans un écrit autobiographique. Je n'aime pas parce que je fuis le voyeurisme le plus possible et parce que, souvent, la vie des autres (aussi célèbres soient-ils) ne m'intéresse guère, surtout lorsque l'écriture ne suit pas.

J'apprécie Erwan Larher, parce que c'est un romancier, un vrai, qui invente des histoires mais aussi une langue, la sienne, si riche, si puissante.

Mais, le 13 novembre 2015, il est au mauvais endroit, au mauvais moment. Il ne voulait pas l'écrire, ce livre, mais il l'a fait, sous la pression de ses amis, de ses proches, parce qu'il était capable de le faire, à sa façon.

Lorsque j'ai lu Marguerite n'aime pas ses fesses, je ne savais pas qu'il était un des rescapés du Bataclan, et pourtant je me souviens avoir lu ses remerciements à la fin du roman, je me souviens m'être posée des questions (le lieu n'étant pas nommé), je me souviens vaguement l'avoir oublié aussi vite pour me concentrer uniquement sur la qualité littéraire de son roman. L'avoir enfoui sous des milliers d'autres pages lues depuis. Quelle ne fut pas ma stupéfaction de découvrir, le mois dernier, qu'Erwan Larher sortait un nouveau livre mais que, cette fois, il parlait de lui, et de lui au Bataclan.

Il a décidé d'écrire ce texte à la seconde personne, et quelle bonne idée ! Ce procédé m'agace parfois lorsqu'il est un artifice d'écrivain, mais ici, il prend tout son sens. Il s'adresse à l'homme qui a vécu cette terrible épreuve, à l'homme d'alors, pris dans la tourmente des événements.

C'est un livre qui prend aux tripes, parce qu'il rejette tout pathos, parce qu'il mêle humour, terreur et réalisme, parce qu'il n'y a nulle colère, nul ressentiment. Vous ne vouliez pas écrire ce livre, Erwan (permettez-moi de vous appeler par votre prénom), et nous, nous souffrons à lire certains passages. Heureusement, vous y mettez beaucoup d'autodérision et vous relatez drôlement bien certains épisodes, et notamment (un exemple parmi d'autres) cette morsure de vipère qui m'a amené le sourire aux lèvres et m'a permis de respirer un peu.

" Tu ne sais pas relater. Relater t'ennuie. Tu aimes imaginer "

Certes, et vous imaginez avec talent mais vous relatez aussi merveilleusement bien. Je suis désolée de vous contredire. Et pourtant, comme vous, je suis une lectrice qui a besoin d'une histoire.

Mais tout n'est pas relaté à la seconde personne du singulier, lorsqu'Erwan Larher s'adresse à un terroriste imaginé, il recourt à la première personne.

Cet objet littéraire, n'est pas que la narration de l'événement par l'intéressé lui-même, ce sont aussi des écrits d'amis, de proches qui s'imbriquent très adroitement dans l'ensemble, qui soutiennent et entretiennent les mots d'Erwan Larher, ce sont aussi des digressions sur l'amour du rock, ce sont aussi des passages imaginés (l'arrivée des terroristes, renommés pour l'occasion, sur le lieu). C'est impudique, c'est drôle, c'est terrible. Et surtout, ce n'est jamais larmoyant, même si on lit certains passages, les tripes retournées et la tête explosée.

Pour conclure et au risque de me répéter, cet objet littéraire est loin des fades autofictions françaises que j'abhorre (ça, vous l'aurez compris, je pense), il a un intérêt littéraire indéniable.

Mais ceci dit, Erwan, j'attends avec impatience votre prochain roman.

Les premières lignes :

" Tu écoutes du rock. Du rock barbelé de guitares et de colère. Depuis la préadolescence. Môme, il te fallait une autorisation paternelle avant de te servir de la chaîne stéréo. Inépuisable enchantement : le petit levier à pousser pour faire décoller le bras, qui porte en son extrémité la tête de lecture, tête que tu places, en fermant un œil pour plus de précision, au-dessus du bord du vinyle -le plateau s'est mis à tourner-, puis fais descendre, toujours à l'aide du petit levier, il s'agit de ne pas rater son coup, jusqu'à ce que le saphir se pose en craquotant sur le 33 tours. "