Qui ne dit mot consent, Alma Brami
Editeur : Mercure de FranceCollection : BleueNombre de pages : 165
Résumé : Émilie a suivi son mari à la campagne quand les enfants étaient encore petits, depuis ils ont grandi et quitté la maison. Dehors, il y a une vigne qui donne des raisins, il y a aussi une table en bois, des chaises, un banc, pour les petits déjeuners copieux, il y a des tommettes rouges dans le salon, un grand escalier qui mène à l'étage, et à l'étage, une chambre d'amis. Chaque famille a ses secrets. Que se passe-t-il dans cette maison au bout de la route du grand chêne?
Ce roman a été lu dans le cadre de l’opération « Exploration de la rentrée littéraire 2017 » organisée par lecteurs.com.
- Un petit extrait -
« Ça avait commencé quand les enfants étaient petits. Il avait besoin d’air, la ville l’angoissait. Le travail chérie, tu sais ce que c’est le travail ? J’ai besoin de rentrer chez moi, et de me ressourcer tu comprends ? Il avait bien fallu que je comprenne quand il avait mis en vente notre appartement pour acheter cette maison. On sera bien, il répétait, tu veux avoir un mari détendu, heureux, disponible ? Bien sûr que je voulais. Il ferait des allers-retours et on profiterait en famille le plus possible, ce serait merveilleux. Il m’avait dit chérie, j’attends de toi que tu me soutiennes, c’est pas facile pour moi non plus, tu sais. J’avais répondu je sais. On s’était installés ici début novembre. Dieu que la ville m’avait manqué. Notre petit appartement à côté de l’école des enfants, le bruit des voisins, les odeurs de nourriture dans la cage d’escalier. On s’habituera, je me persuadai, on construira des cabanes, on dormira à la belle étoile, on aura un potager. »
- Mon avis sur le livre -
Cela commence toujours à la gare. Invariablement le même sourire charmeur, la même prévenance délicate. L’éternel bouquet de fleurs, l’invariable visite guidée du village, le sempiternel trajet musical jusqu’à la maison. Commence alors l’installation de l’« invitée », officiellement conviée pour tenir compagnie à Emilie. Trois rôles à jouer. Deux acteurs immuables. Des comédiennes intérimaires qui ignorent la mise en scène. Emilie n’a pas envie d’apprendre à connaitre ces « amies sur mesure » qui accaparent toute l’attention de son mari durant le temps, plus ou moins long, que dure leur passage. Emilie ne souhaite qu’une seule chose : ne plus avoir à partager son homme avec d’autres, ne plus avoir à être polie et agréable avec ces convives indésirables. Mais Emilie accepte tout, supporte tout, attendant le jour où il comprendra enfin qu’elle suffit seule à son bonheur …
Qui ne dit mot consent est un roman terriblement bouleversant. Dès les premières pages, mon petit cœur s’est serré de peine à l’unisson avec celui d’Emilie, narratrice de ce douloureux récit : impossible de rester impassible face à cette souffrance intérieure, à ces larmes sans cesse retenues, à cet espoir maladif et pernicieux. Emilie raconte sans rien omettre ce quotidien malsain, explique sans détour les raisons qui la pousse à accepter cette situation sans rien dire, relate son enfance au milieu de parents refusant de la laisser grandir et décider par elle-même. L’auteur nous offre ici un roman très psychologique à la thématique intéressante : tout comme les femmes battues s’accrochent à leur couple en dépit de tout, Emilie, femme trompée cohabitant avec ses rivales, s’obstine à considérer que tout est normal.
Mais ce roman est surtout particulièrement révoltant, presque insupportable. On s’attache très rapidement à Emilie, très probablement du fait de la narration à la première personne. Une narration qui semble légère au premier abord, à cause d’une certaine dose d’humour grinçant et d’ironie, mais qui cache finalement le mal-être profond d’Emilie : si cette dernière ne cesse de dénigrer ses « rivales », de traquer le moindre défaut physique ou caractériel, le moindre faux pas de leur part, c’est tout simplement pour se rassurer, s’assurer à elle-même qu’elle vaut mieux qu’elles et qu’elle n’a rien à craindre d’elle. A partir du moment où cette constatation s’est imposée à moi, je dois avouer avoir été très proche des larmes quasiment en permanence. Parfois, je n’osais même plus continuer, de crainte que la situation se détériore … j’ai rapidement abandonné l’espoir de la voir s’améliorer !
Car il ne faut pas se voiler la face : ce roman est loin d’être facile à lire. Bien au contraire. C’est un roman déstabilisant, perturbant, troublant, dont on ne sort pas véritablement indemne. Il m’a beaucoup secouée, d’autant plus que je ne lis que très rarement ce genre de récits : connaissant les limites de ma sensibilité, j’ai généralement tendance à m’auto-materner et à éviter tout ce qui pourrait potentiellement me troubler. Cependant, je ne regrette absolument pas cette découverte littéraire : je suis tombée sous le charme de la plume d’Alma Brami, qui m’a fait ressentir avec énormément de force des tas d’émotions, qui m’a émue aux larmes et qui m’a véritablement captivée. Un très beau livre sur le plan de la narration, mais un récit particulièrement dramatique qui bouleverse et qui indigne. Un récit très court, mais très dense : j’ai du mal à croire qu’il ne fait que 165 pages !
Ce livre a été lu dans le cadre du Challenge de l’été 2017(plus d’explications sur cet article)