J'ai choisi ce livre au hasard lors de mon pèllerinage à Crossword, l'équivalent indien la la FNAC, lors de notre dernier voyage en Inde. C'est le seul livre qui ne parle pas de l'Inde. Le titre et l'illustration m'ont interpellée, car j'aime beaucoup tout ce qui s'intéresse de près ou de loin à l'Asie extrême-orientale. J'ai jeté un coup d'oeil rapide au résumé, et ça m'avait l'air plutôt intéressant.
Jacquettes: La jacquette de mon édition est magnifique. Elle représente une peinture extrême-orientale (coréenne je suppose) à la symétrie parfaite, reprenant des élément de la peinture asiatique classique: grues et lotus, et l'océan tout en bas. Ca me rappelle un peui les robes des Empereurs Jaunes (les empereurs chinois). Le titre et les critiques qui encensent le livre se détachent sur fond rouge, une couleur jugée auspicieuse en Asie extrême-orientale. Le titre et le nom de l'auteure sont en lettres dorées, une autre couleur porte-bonheur. Pas de référence directe à l'histoire, si ce n'est qu'elle se passe dans cette partie du monde, mais une illustration de toute beauté qui m'a tout de suite attirée.
Une autre édition anglaise montre tout simplement un pachinko, le petit billard vertical qui sert de machine de jeu aux japonais, et qui donne son nom au livre. C'est un choix simple et élégant.
Une édition reprennant le titre en coréen et en anglais (je n'arrive pas à savoir, du coup, si c'est l'édition coréenne?) montre une femme coréenne en hanbok, la tenue coréenne féminine traditionelle, vendant des snacks sur un marché. C'est une référence à Sunja, la matriarche de cette saga familiale. Des silouhettes de pivoines se détachent en rouge sur la photo est en noir et blanc.
Résumé et avis en bref: Sunja a 15 ans à Yeongdo, une petite ville de Corée, au début des années 1900. Elle tombe enceinte d'un yakuza. Désespérée, elle accepte l'offre de mariage d'un pasteur de passage, Izak Boek, qui vient de Pyongyang et qui s'en va rejoindre son frère à Osaka, au Japon.
C'est une saga familiale qui commence avec Honnie, le père de Sunja, et qui suit cinq générations; d'abord en Corée à Busan, puis au Japon à Osaka et Tokyo.
Surtout, c'est une leçon d'histoire magistrale. Saviez-vous que la Japon avait annexé la Corée au 20è siècle? Moi non plus. La Corée est donc un genre de colonie japonaise, comme a pu l'être l'Algérie pour la France. Les mêmes problématiques d'intégration se posent. Les coréens sont traités comme des citoyens de seconde zone.
On apprend aussi pas mal de choses à propos de la minorité chrétienne coréenne. Je savais qu'il y avait pas mal de chrétiens en Corée, mais c'était tout.
Le pachinko, un jeu qui ressemble à un billard vertical, et sur lequel on parie, va sauver la famille de Sunja de la misère et de la pauvreté. On réfléchi beaucoup sur ce qui est moral, et ce qui ne l'est pas, dans ce livre. La fierté de Sunja, qui s'est faite avoir par son yakuza alors qu'elle était complètement ignorante des choses de la vie, refusera son aide longtemps... jusqu'à ce qu'elle en ai vraiment besoin.
C'est une saga qui court de 1900 aux années 1990, autant dire qu'il se passe pas mal de choses. Sur la fin on a du mal à s'attacher réellement aux personnages. il aurait peut-être fallut plusieurs tomes pour plus développer les années les plus récentes. C'est quelque chose que je retrouve fréquemment dans les sagas (que ce soit la Trilogie du Siècle ou Le Mont-Brûlé). Je pense que vers la fin, les auteurs en ont marre 😉
Une très bonne découverte, pas sorti en français malheureusement (à ma connaissance). A lire pour tous ceux que l'histoire d'Asie intéresse.
Mon avis: C'est un livre que j'ai beaucoup aimé. Je me suis attachée à quelques personnages - Sunja, l'héroïne et matriarche de la famille, et ses fils Noa et Mozasu (la transcription japonaise de Moïse).
L'histoire avec un " Grand H ": Le Japon engage une politique expansioniste et colonialiste, à l'image des pays coccidentaux, dès la fin du 19è siècle. Suite à une bataille entre la Russie et le Japon en 1905, la Corée devient un protectorat japonais. Une résistance coréenne se met en place et une tentative d'assassinat du représentant du Japon en Corée a lieu en 1909. En représailles, le Japon annexe officiellement la Corée en 1910. Le Japon annexe ensuite la Mandchourie et une partie de la Chine.
La colonisation de la Corée signifie que tout ce que les coréens possédaient leur est peu à peu enlevé. La Corée sert de réservoir à soldats pendant les différentes guerres que mène le japon, et les femmes sont prostituées pour le bon plaisir des soldats japonais. Les propriétaires perdent leurs terres et leurs maisons. Ayant tout perdu, beaucoup de coréens fuient leur pays pour tenter leur chance en Mandchourie ou au Japon.
En 1945, la Seconde Guerre Mondiale prend fin, en Asie, avec les bombardement d'Hiroshima et Nagasaki. La Corée est divisée entre le nord, sous influence soviétique et communiste, et le sud, sous influence américaine. Le Japon est du côté des perdants, et est occupé par les américains de 1945 à 1952, qui imposent la démocratisation du pays.
La Guerre de Corée a lieu de 1950 à 1953, et se solde par un armistice. Le status quo entre les deux Corées est de mise depuis. Quant au Japon, il connait un essort économique impressionant, malgré quelques chocs financiers.
Colonisation et discrimination: j'ai été frappée par les paralèles évident que l'on peut faire entrela colonisation de la Corée par le Japon, et celle que notre douce France a menée en Afrique du nord notament. Les problématiques sont identiques: on pille un pays de ses ressources, et on traite ses ressortissants comme des citoyens de seconde zone.
Les coréens qui viennent vivre au Japon, qui est donc " leur " pays aussi, vu que la Corée est désormais le Japon, n'ont de facto pas le droit de louer ou acheter des logements en dehors du ghetto crasseux dans lequel ils doivent s'entasser. Personne ne leur louera ou vendra quoi que ce soit en dehors du ghetto. Ils vivent à plusieurs dans un espace restraint avec poules et cochons.
Discrimination à l'emploi aussi: Personne ne veut engager des coréens, même s'ils sont qualifiés. Les coréens travaillent de manière diligente et sans faire de vagues... ou se tournent vers l'empire du jeu -le pachinko- et de la mafia - les yakuza. Ce sont les seules secteurs dans lesquels un coréen établi au Japon peut faire fortune. Sunja est obligée de vendre du kimchi et des confiseries qu'elle fabrique dans sa cuisine au marché local pour subvenir aux besoins de sa famille.
Discrimination à l'école: on est traité de " sale coréen " par ses camarades, comme d'autres pourraient traiter un enfant d'origine maghrébine de " sale arabe ". d'ailleurs, un gosse n'y survit pas: il se jette par la fenêtre.
L'identité culturelle coréenne est effacée autant que faire se peut: le hanbok, le costume traditionel coréen, une robe très bouffante, est vite abandoné au profit de vêtements européens, afin de pouvoir se fondre dans la masse. Le prénom et le nom des coréens sont japonisés, ce qui fait que les coréens ont souvent plusieurs " identités ".
Et même après des générations, les coréens nés de parents eux-mêmes nés au Japon ne peuvent demander la nationalité japonaise. Ils doivent ad vitam eternam s'enregistrer au poste de police à partir de le 16è anniversaire. Happy birthday!
Les yakuza: les yakuza sont la mafia japonaise. On rencontre cette organisation tentaculaire par le biais de Koh Hansu, un coréen qui a rejoint la mafia et qui s'est marié avec la fille de son boss.
On n'en sait pas trop sur Koh Hansu lui-même, mais ses actions montrent qu'il a une vie privilégiée: une villa qui ressemble plutôt à un chateau, des serviteurs en veux-tu en voilà, il est toujours impecablement habillé, offre une montre suisse en or à Sunja... alors que la moitié du pays, Corée comme Japon, crève de faim.
Grâce à son réseau, il a les moyens de cacher Sunja et sa famille lors de la guerre et des bombardements, assurant leur survie. Il aide aussi indirectement Sunja lorsqu'elle a besoin d'un travail pour subvenir aux besoins de sa famille, mais qu'elle refuse son aide financière.
Mais l'argent n'achète pas tout, et ce qu'il désire le plus au monde, il ne l'obtiendra jamais: l'amour de Sunja et de son fils naturel, Noa.
Le pachinko: la deuxième carière de coréen au Japon. Le pachinko est une sorte de billard vertical sur lequel on parie. Ca se joue en arcade, comme les machines à sous. Tremper dans l'univers du pachinko, c'est comme tremper dans l'univers des casinos: c'est louche, c'est sale, y'a anguille sous roche. Les japonais jouent, mais ne s'abaisseraient certainement pas à trravailler dans une arcade de Pachinko.
Finalement, c'est le pachinko qui sauve la famille de Sunja. Après des années, que dis-je, des décénies de galère, son plus jeune fils Mozasu commence à travailler au pachinko, et devient rapidement gérant, puis propriétaire. Enfin, on peut respirer, financièrement parlant. Ouf! Même Noa, le fils ainé, éduqué et universitaire de Sunja, se tournera finalement vers le pachinko pour vivre.
Solomon, le fils de Mozasu, s'essaiera à une carière de banquier, mais le pachinko le rattrapera. Bref, le pachinko, ils ont ça dans le sang, mamgré eux.
Le pachinko étant un jeu de hasard, on voit bien comment la petit famille de Sunja est baladée comme une bille de pachinko, au gré des évènements historiques et du bon vouloir de ceux qui croisent leur route.
La religion: alors alors, il ya des chrétiens en Corée! Et même qu'ils allaient prêcher la bonne parole au Japon! Et je ne parle pas de missionaires étrangers, mais bien de coréens convertis. Le mari de Sunja, Izak Baek, est l'un d'entre eux. Complètement exhalté par sa foi, il sauve Sunja du déshoneur en épousant la jeune fille enceinte.
Sous l'empire japonais, les citoyens se doivent de se rendre au temple (bouddhiste? shinto?) du coin pour faire allégence à l'Empereur du Japon, sachant que l'empereur est une incarnation divine. Même les chrétiens. Il est intéressant de noter que l'autorité chrétienne du coin a décrété qu'il n'y avait aucune contradiction là dedans: les chrétiens du Japon doivent remplir leur devoir civique en faisant allégence à l'Empereur, cela n'quivaut pas du tout à s'incliner devant des idoles ou que sais-je d'autre. un bon comprmis pour sauver la peau des peu de fidèles de l'Eglise.
Sunja ne comprend pas vraiment la religion de son mari, mais elle suit ce qu'on lui enseigne, et finit par devenir chrétienne dans son coeur. Enfin je crois. La Bible guide les actions d'Izak et de son frère ainé Yakob. Elle guide aussi les pas de Noa.
Etre chrétien en plus d'être coréen, c'est vraiment cumuler les handicaps.
L'identité coréenne et la diaspora: Quand un pays traverse autant de merdes que la Corée au siècle dernier, il ne faut pas s'étonner que beaucoup de ses citoyens parent tenter leur chance ailleurs. Chez les Baek, tous nés au Japon depuis que Sunja et Izak y ont immigré, on se sent coréen parce qu'on n'est pas intégré à la société d'accueil.
Les vieux parlent avec nostalgie de Yeongdo (le village d'origine de Sunja) ou de Pyongyang, où les parents d'Izak et Yakob étaient de riches propriétaires terriens. Mais lorsque Mozasu et son fils Solomon, tous deux nés au Japon, s'y rendent, ils sont considérés comme des japonais par les locaux. Et ils ne se sentent aucune attache particulière avec le pays.
Parlons un peu de la chérie américano-coréenne de Solomon: née aux USA de parents d'origine coréenne, elle est un pur produit de la société dans laquelle elle a grandit. Elle ne sait pas cuisiner coréen parce que sa mère travaillait trop pour cuisiner. Ils mangeaient des pizzas et allaient de temps en temps au resto coréen, pour les occasions.
Elle s'offusque lorsque des japonais lui demande si elle est coréenne du sud ou du nord. Ses parents ont quitté la Corée avant la partition, donc cette question n'a aucun sens. Elle est américaine d'origine coréenne. Elle n'arrive pas à se faire à la discrimination que subissent les coréens au Japon, et fera ses valises lorsque son chéri lui explique qu'il va prendre la relève du paternel au pachinko.
Les coréens du Japon essaient autant que faire se peut de cacher leur identité coréenne. Yumi, la femme de Mozasu, se fait appeler par son prénom japonais. Il en est de même pour Noa, qui préfère être Nobuko, et qui vivra sa vie japonaise en toute tranquilité jusqu'à ce que son passé et sa famille refassent surface.
La partition de la Corée: avec la partition de la Corée, il devient presque impossible pour ceux qui sont partis de rentrer chez eux. Le pays qu'ils ont laissé derrière eux n'existe plus. Les propriétaires terriens ont été expropriés et/ou tués, le pays est ravagé... auncun retour en arrière n'est possible. Ceux qui veulent tenter leur chance dans la nouvelle République démocratique populaire de Corée (autrement dit, la Corée du Nord), on n'en n'entend plus jamais parler... Les coréens du Japon sont donc coincés, le cul en tre deux chaises: plus vraiment coréens, mais jamais vraiment japonais.
La société japonaise en crise: la famille de Sunja se retrouve coincée au Japon, alors que celui-ci subuit une défaite en se retrouvant du côté des perdants après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les bombardements atomiques laissent leur emprunte sur la famille, avec le beau-frère de Sunja qui est brûlé - mais pas mort. Ce sont les femmes qui devront assurer la survie de la famille, renversant les rôles traditionels.
Après la guerre viennent les crises économiques successives, mais la famille arrivera à s'en sortir grâce au soutient discret de Koh Hansu.
Et l'amour dans tout ça? Les histoires d'amour sont en général très belles dans ce roman. Il s'agit d'amour véritable. Le seul mariage arrangé dont il est question a lieu entre deux jeunes gens qui se connaissent et s'aiment depuis l'enfance. Ok, Il y a aussi le mariage d'intérêt de Koh hansu avec la fille de son patron, mais il vit un amour véritable pour Sunja, sa petite coréenne.
Sunja et Koh Hansu sont amoureux, c'est indéniable, mais dans les mauvaises circonstances. Pourtant il ne renoncera jamais à elle, et encore moins à Noa, leur fils. Surtout qu'il n'a eu que des filles avec son épouse officielle (et les filles c'est nul, vive la patriarchie). Sunja, quant à elle, a des sentiments contradictoires envers son amant: des fois elle aimerait être sa maitresse pour toujours, d'autres fois elle sait qu'elle a eu raison de sauver son honneur.
Sunja aimera d'un amour dévoué son époux, Izak Baek, qui la sauve du déshonneur.
L'amour filial a aussi une grande place dans ce livre. L'amour que Koh Hansu porte à son fils Noa est ambigu: amour paternel véritable, ou intéressé? Sunja aimera à vie ses deux fils, Noa et Mozasu. Les parents de Sunja, dont elle est la fille unique, l'aiment d'un amour inconditionel.
L'écriture: j'ai été portée par l'écriture de Min Jin Lee. Vers la fin on sent un peu de lassitude de la part de l'auteure, ça va un peu plus vite et on s'attache moins aux personnages, mais c'est tout de même un super bouquin.
L'auteure: Min Jin Lee est née à Séoul en 1968. Ses parents immigrèrent aux USA en 1976, alors qu'elle était âgée de sept ans. Elle a grandit dans le Queens à New York, où ses parents possédaient un magasin de gros pour la bijouterie.
Elle a étudié l'histoire avant de se tourner vers le droit. Min Jin Lee a été avocate pendant plusieurs années avant de se tourner vers l'écriture. Elle écrit beaucoup à propos des liens entre la Corée et les USA.
Elle vit maintenant à New York avec son fils et son mari Christofer Duffy, qui est lui-même moitié japonais. Elle a vécu quatre ans à Tokyo, au Japon, où elle a pu mener à bien ses recherches pour son roman Pachinko.
Vous pouvez en apprendre plus sur Min Jin lee en consultant son site web.
pour aller plus loin:
Et une petite vidéo pour finir sur l'occupation japonaise en Corée: