Jolis oiseaux…
Moi (observant un nid d’oiseau avec des jumelles): Nadia, tu te rappelles le petit couple d’oiseaux qui a fait son nid dans l’arbre face à notre librairie ? Je pense que la maman couve ses petits bébés maintenant.
Nadia (prenant les jumelles que je lui tends et observant à son tour): Hum… Voyons, voyons… Oh ! Ah oui ! Quel beau spécimen!
Moi (la regardant étonnée): Beau spécimen ? C’est qu’un couple de moineaux. Et pourquoi souris-tu comme ça ?
(lui prenant les jumelles des mains): Qu’est-ce que… Oh! Je vois… C’est vrai qu’il sort du lot. Oh, my godness ! Il enlève son t-shirt !
Nadia (essayant de reprendre les jumelles): Laisse-moi voir !
La Reine de Glace, alias notre patronne (d’un ton sec): Mesdames, je ne vous paie pas pour reluquer les ouvriers de l’immeuble en face. Des clients vous attendent dans la boutique.
Moi et Nadia (d’une même voix en fuyant le bureau): Nous sommes désolées.
La Reine de Glace (s’approche de la fenêtre. Puis en prenant les jumelles): Voyons ce « joli oiseau »…
AUTEUR: Ross Armstrong
TITRE: SOUS SES YEUX
EDITEUR, ANNEE: Cherche-Midi, 2017
NOMBRE DE PAGE: 426 pages
Si vous voulez des nouvelles de la famille moineau, tout va bien pour eux. Les petits ont pris leurs envols et ils sont tous partis vers d’autres cieux… Voilà… Quoi ? Le beau spécimen ? Je dirais juste qu’il a été un joli souvenir d’été pour Nadia et Moi… Et la Reine de Glace. Bref !
Autre aveu, il m’est déjà arrivé d’apercevoir mes voisins lorsque j’ouvre la fenêtre de mon salon ou quand je lise assise près d’elle. Juste le temps d’un coup d’œil et je retourne à mes occupations. Pourtant, certaines personnes ne se gênent pas à espionner leur voisinage, devenant même une obsession. Un peu comme Lily dans « Sous ses yeux » de Ross Armstrong.
Résumé:
Passionnée d’ornithologie depuis son enfance, Lily Gullick ne s’éloigne jamais de sa paire de jumelles. Depuis l’appartement qu’elle occupe avec son mari, elle ne se contente toutefois pas d’observer les oiseaux. Elle ne peut en effet s’empêcher d’espionner ses voisins, en particulier les derniers habitants d’une vieille résidence, un vestige dans ce quartier qui s’embourgeoise à vue d’œil. Alors qu’elle vient de faire connaissance d’une de ses occupantes, Jean, cette dernière est retrouvée morte dans des conditions étranges. Lily, qui croit connaître presque intimement tous ses voisins pour les avoir longuement observés, décide de mener son enquête. Celle-ci, commencée par désœuvrement, pour fuir un mari de plus en plus lointain, une vie un peu trop déprimante, tourne vite à l’obsession.
Une bande d’amis jouant à la console… Une famille qui s’apprête à se mettre à table… Un jeune couple qui aménage leur nouvel appartement… Tant de scènes à apercevoir à travers une fenêtre… Différentes vies pour oublier la sienne… Un amusement qui devient une obsession… Pour une héroïne déstabilisante.
Voilà un roman qui a eu droit à mon fameux « jeu de sourcils ». Qu’est-ce donc me diriez-vous ? Eh bien, lorsque au cours de ma lecture, si un passage me surprend ou me laisse dubitative, comme me dit Chéri, j’ai les sourcils qui s’agitent. Et pour l’occasion ce fut assez souvent.
Cela a commencé par une immersion quelque peu difficile dans le récit. Le style d’écriture a eu le mérite de me surprendre et me faire perdre tous repères durant plusieurs pages: phrases courtes, dialogues ayant peu de sens, un décompte inhabituel et une héroïne atypique.
L’autrice a pris le choix de centrer toute l’attention du lecteur sur la jeune femme. Nous n’avons que son point de vue sur les divers événements, ses seuls ressenties et une idée du profil des autres personnages que par le regard de celle-ci.
Et afin de bien accentuer cet effet, Lily qui rédige tout ce qu’il passe dans un journal, utilise le pronom « tu » nous mettant obligatoirement à la place de l’interlocuteur. Un seul son cloche pour toute cette histoire… Faut-il se fier à son seul jugement ?
Un style vraiment inhabituel mais appréciable, car il incarne parfaitement l’état d’esprit de l’héroïne aux frontières de la folie et le décompte, en préambule de chaque chapitre, en est un signe précurseur…
C’est en arrivant à la seconde partie que ma lecture devînt plus fluide et dynamique. Je me suis laissée entraîner jusqu’à la dernière page du roman. Non pas pour avoir la clé de tout ce mystère, mais pour voir comment l’autrice allait conclure l’histoire de Lily.
Et là, je vais venir au cœur du problème, celui qui m’a valu ma belle danse de sourcils.
L’histoire est malheureusement prévisible. Pour les habitués des thrillers (romans et/ou films), il y’a de fortes chances que vous deviniez les fils de l’intrigue et que vous ne soyez guère surpris lors des rebondissements. Prévisible aussi du côté de son héroïne qui n’innove pas le genre de la jeune femme que l’on pense paranoïaque et qui fait pourtant preuve de raisonnements sensés. Lily n’arrive pas à être marquante.
Et dernier point, mais pas le moindre, c’est le manque d’un antagoniste de taille. Je m’attendais à trouver un ennemi redoutable pour Lily, un manipulateur d’une grande intelligence qui aurait porté l’esprit de l’héroïne au bord de la rupture. Mais ce n’est pas le cas. On devine facilement le responsable et la cause de ses méfaits semble, désolée du terme, banale.
Conclusion:
« Sous mes yeux » fut une bonne lecture dans l’ensemble, malgré son côté prévisible, le manque d’un grand antagoniste et quelques détails qui auraient peut-être mérité plus d’approfondissements.
Ce que je vais surtout retenir, c’est le style de l’autrice qui a su rendre palpable, à travers une narration quelquefois décousue portant à confusion, la folie qui émane de Lily. C’est la grande force de ce roman: avoir su imposer une telle ambiance jusqu’au dernier mot.
J’aurais tendance à le conseiller pour ceux qui se lancent dans le genre thriller/psychologie, bien que la structure narrative puisse surprendre plus d’un.
Alors que je mets un point final sur cette chronique, je glisse un regard vers ma fenêtre et je vois mon voisin le plus proche qui arrose son parterre de roses. Je lève ma main droite et le salue. Il fait de même pour moi avec un sourire.
(Image à la une de FRANK STOCKTON, via Juxtapoz )