Là où naît la brume (Christian Perrissin – Christophe Gaultier – Editions Rue de Sèvres)
Balloté par les vagues au milieu de la mer, le petit Josh supplie son père de le laisser monter à bord de sa barque. « J’en peux plus, P’pa, j’veux rentrer à la maison! », lui dit l’enfant, exténué. « Quelle maison? Y a plus de maison! », lui répond son paternel, totalement insensible à la détresse de son fils. Pas question de le consoler. Pire même: au moment où l’enfant tente lui-même de monter dans la barque, son père le frappe violemment avec sa rame… Des années plus tard, on retrouve Josh, devenu adulte, à bord d’un ferry qui fait route vers Terre-Neuve. L’air désespérément triste, il demeure des heures immobile sous la pluie, en ruminant sur le vide de sa vie. Arrivé sur l’île de Terre-Neuve, il loue une voiture pour s’enfoncer plus loin encore dans la campagne canadienne, bien décidé à mettre un maximum d’espace entre la civilisation et lui. Après avoir refusé de prendre un vagabond en stop, de peur de se reconnaître dans les yeux de ce paumé, Josh le ténébreux arrive dans la petite ville de Corner Brook. Mais il n’est toujours pas arrivé à destination: lui, c’est à Meadows qu’il doit se rendre, un coin encore plus perdu que Corner Brook. Heureusement pour lui, une séduisante infirmière du nom de Ruthie-Jane lui indique le chemin, mais Josh se dit que si elle lui sourit, c’est forcément parce qu’elle a pitié. Décidément, ce gars-là n’est pas doué pour le bonheur… Que diable vient donc faire Josh dans cette région au climat aussi rugueux que ses habitants? S’il a traversé la moitié du globe pour venir jusque-là, c’est pour retrouver son père, qui s’y est installé dans un bungalow. Mais son père a disparu et le bungalow est vide depuis un certain temps, comme en atteste le cadavre de chien qu’il y retrouve. C’est dans ce décor effrayant que Josh se décide enfin à affronter les fantômes de son passé.
Dépressifs s’abstenir. « Là où naît la brume » n’est clairement pas un livre qui respire la joie de vivre. Dans ce road movie intimiste, Christian Perrisson et Christophe Gaultier nous emmènent à travers les paysages envoûtants mais aussi un peu effrayants de Terre-Neuve. Josh, leur héros, a tellement souffert au cours de son enfance qu’il est forcément devenu un adulte fragile et asocial, avec un total manque de confiance en lui. Et pourtant, après s’être engagé dans la marine et avoir traversé les mers du monde entier, c’est bel et bien ce père tant haï qu’il vient rechercher au fin fond du Canada. « Là où naît la brume » est en quelque sorte une quête psychanalytique, dans la mesure où cette quête du père est la dernière bouée de sauvetage de Josh avant de sombrer corps et âme. A côté de cette dimension psychologique très forte, le récit imaginé par Christian Perrissin est bâti comme une sorte d’enquête puisqu’en réalité, ce fameux père a disparu. C’est ce qui amène Josh à se mettre plus ou moins à sa recherche, sans pour autant y mettre beaucoup d’entrain. Faisant penser par moments à la série « Twin Peaks » par son côté lent et énigmatique et par ses personnages tous à la dérive, « Là où naît la brume » est une BD qui vaut surtout pour ses ambiances, même si on reste un peu sur sa faim au moment de refermer le livre. Mention particulière aux dessins sombres et expressifs de Christophe Gaultier, magnifiquement mis en valeur par la coloriste Marie Galopin. Un album crépusculaire, idéal pour les jours de pluie.