ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE DEUXIEME TOME D'UNE SERIE.
J'ai mis du temps à trouver un titre qui me satisfasse pour évoquer notre roman du jour, mais il faut savoir se montrer patient, c'est à la toute fin du livre qu'est apparue cette phrase juste parfaite. Je l'avoue, elle reflète mon avis sur le personnage de Léon Sadorski, alias Sado, mais c'est aussi l'impression tenace qui se dégage de lui depuis les premières pages de "l'Affaire Léon Sadorski" (désormais disponible en poche aux éditions Points) et jusqu'aux dernières pages de ce second volet, "L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski", sorti ces dernières semaines dans la collection La Bête Noire (chez Robert Laffont), sous la plume de Romain Slocombe. Dans ce deuxième volet (le dernier ? Je n'en suis pas certain...), on retrouve des événements que j'imaginais voir dans le premier. On retrouve aussi la dimension policière, mais un peu en retrait, et on découvre quelques aspects passionnants de cette époque. Passionnants et troublants, révélateurs d'une des facettes les moins flatteuses de l'âme humaine...
L'inspecteur principal adjoint Sadorski est toujours en congé, après avoir été blessé en service (voir "l'Affaire Léon Sadorski"), alors il en profite. A sa façon... Obsédé par sa voisine adolescente, Julie Odwak, dont les parents sont en rétention parce qu'ils sont juifs... Lui, l'antisémite, "le bouffeur de juifs", comme il se surnomme, le voilà qui désire cette fille à en devenir cinglé.
Bien sûr, il est toujours amoureux d'Yvette, son épouse, et entre eux, ça roule. Enfin, sexuellement, je veux dire. Mais, Sadorski n'a jamais été contre un petit coup de canif dans le contrat, quand l'occasion se présente. Seulement, là, il ressent des choses qu'il n'avait jamais ressenties jusque-là, cette gamine dont il pourrait être le père, le met dans tous ses états.
Lorsqu'il la voit sans l'étoile jaune que doivent désormais porter tous les juifs par ordre du gouvernement de Vichy, il lui fait gentiment la leçon, alors qu'il aurait embarqué n'importe quelle autre personne transgressant cette loi. Il va plus loin, lui offre un cadeau, lui permet de voir sa mère, détenue aux Tourelles, une sinistre caserne du XXe arrondissement, l'emmène au cinéma...
Julie comprend-elle ce qu'elle inspire à ce policier qu'elle trouve bienveillant, alors qu'elle ignore tant de choses à son sujet ? Sans doute pas, mais, lors de leur séance de cinéma, elle s'enfuit, écoeurée par la propagande antisémite et les réactions du public. Sadorski ne lui en veut pas, elle continue de l'obséder, quoi qu'elle fasse...
Alors, pour se changer les idées, il part en pique-nique avec Yvette, du côté de Sucy-en-Brie. Un moment hors du temps, loin des problèmes, de la guerre, des restrictions, des ordres, de l'occupation (Sadorski n'est pas un germanophile)... Mais, alors qu'il se promène dans les sous-bois, il tombe sur un corps, celui d'une jeune femme qui, vu son état, doit être là depuis un moment...
Une macabre découverte qui rappelle à Sadorski que le moment de reprendre du service est venu. Et comme il y a bien peu d'indices du côté de Sucy, l'IPA s'intéresse à un autre dossier, bien plus brûlant, un événement intervenu pendant qu'il était absent : une explosion dans un café, situé à deux pas du palais de justice, un établissement fréquenté par bon nombre de policiers.
Deux personnes ont été tuées, d'autres blessées, et l'on suspecte la résistance, certainement les communistes, des êtres qu'exècre Sadorski autant que les juifs et qu'il traque volontiers. Et même si ce n'est pas lui qui est officiellement en charge de l'enquête, il remarque dans le dossier deux éléments qui l'intriguent au sujet de deux des blessés. Deux femmes...
Et pendant qu'il essaye de démêler ces deux histoires, il doit aussi gérer les affaires courantes. Nous sommes au mois de juin 1942 et la pression ne cesse de croître concernant les juifs vivant en France. L'étau fasciste se resserre sur eux un peu plus chaque jour et le bruit disant que se prépare de grandes manoeuvres est de plus en plus présent. Que va faire Sadorski pour Julie ?
Précisons tout de suite avant d'aller plus loin que "L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski" débute exactement là où se termine "L'Affaire Léon Sadorski". On est dans l'exacte continuité et, si vous avez lu le premier volet, vous savez qu'on avait laissé le policier dans une situation très particulière. Il est donc dans un état d'esprit très spécial... qui s'évapore aussitôt lorsque Julie apparaît...
Je suis franc avec vous, Sadorski est une ordure, un sale type. Un policier certes compétent, mais qui met ses qualités au service de causes et d'idéologies à vomir. Je ne me suis pas replongé dans "l'Affaire Léon Sadorski", alors, c'est peut-être ma mémoire qui me joue des tours, mais j'ai trouvé que le policier était encore pire dans ce second volet.
Voilà un moment que Romain Slocombe explore les côtés les plus sordides de l'âme humaine, les plus bas instincts et nous offre des personnages de salauds spectaculaires. On aime les détester, et ils méritent cent fois ce que l'on pense d'eux. Et dans ce domaine, on ne peut pas vraiment dire que Léon Sadorski oeuvre à sa rédemption...
Dans "Monsieur le Commandant", le personnage de l'écrivain délateur était une belle ordure aussi, mais c'était un lâche, un trouillard. Ce n'est pas du tout le cas de Léon Sadorski. Je le redis, parce que c'est sans doute le seul trait de caractère qu'on puisse place à son crédit, et encore, Léon Sadorski est un flic d'une grande compétence. On peut discuter ses méthodes, en revanche...
Mais, c'est un homme d'action, qui n'hésite pas à affronter les situations les plus dangereuses. Il est courageux, efficace, plein d'intuition... Un bon flic, oui, je ne vois pas comment dire les choses autrement... En d'autres circonstances, il pourrait parfaitement être un héros de polar, avec ses failles et ses défauts, sans doute, mais dans ce contexte, il sert l'arbitraire et l'horreur.
Pourtant, comme on le constatait déjà dans la première partie, on découvre un homme déchiré entre sa loyauté à ses chefs, autrement dit, à la France, et son mépris pour l'envahisseur allemand. Le hic, c'est qu'il n'a toujours pas pigé que le boulot qu'il accomplit en traquant les juifs, les communistes, les terroristes (souvent les mêmes dans son esprit) sert les intérêts des nazis...
C'est aussi un des enjeux de ce deuxième volet : il a beau être persuadé de servir la justice et le bon droit, d'être un patriote, il va devoir affronter un certain nombre de cas de conscience dans ce roman (ou un point d'honneur ?) au cours de ces semaines de juin et de juillet 1942. Ses certitudes vont se retrouver ébranlées, lui qui se pensait infaillible...
Lorsque j'ai commencé "L'Affaire Léon Sadorski", en découvrant ce personnage, son poste, sa mission qui est de traquer les juifs, son antisémitisme féroce, j'avais imaginé que le livre déboucherait sur la rafle du Vel d'Hiv. En fait, j'avais un peu anticipé les choses, c'est dans "l'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski" que le lecteur assiste à l'innommable.
Il y a deux choses pour le lecteur que je suis : les personnages de fiction, comme Sadorski, qui peuvent commettre les pires horreurs, mais restent, d'une certaine manière, des abstractions. Un jeu de rôles, une caractérisation qui a été imaginée par un écrivain dans un but précis, celui de servir son histoire. Certains aspirent à la rédemption, d'autres n'y songeront même pas...
Sadorski, c'est un peu des deux... C'est important, même si ses propos, ses actes, ses idées nous dégoûtent, de son point de vue à lui, il agit selon un code moral irréprochable. Et puis, voilà qu'il se met à en pincer pour Julie (oui, je manie bien l'euphémisme). Et voilà que la politique au sujet des juifs se renforce... Jusqu'à la rafle...
Des journées terribles, qui sont au coeur du roman, que Sadorski vit en première ligne. Et là, dans cette effervescence, dans l'application de cette effarante décision, dans ce déferlement de haine que l'on essaye, bizarrement, de garder le plus possible secret, il se retrouve face à des situations qui mettent à mal ses belles certitudes et son antisémitisme farouche...
Je n'en dis pas plus, mais ses réactions sont évidemment un des éléments importants de cette histoire. Et, si suite il y a, cela pourrait avoir une influence indéniable sur les événement à venir. Quelques lézardes dans cette personnalité odieuse qui, même lorsqu'il fait un truc bien, ne le fait jamais sans arrière-pensée, sans qu'il y trouve son intérêt...
A ce point du billet, c'est l'occasion de vous prévenir : c'est un roman d'une très grande violence. Dans le fond, comme dans la forme. L'écriture de Slocombe se met au diapason et elle cingle, elle malmène le lecteur, le bouscule en le plaçant face à des situations et des personnages qu'on a envie de fuir au plus vite.
C'est une écriture très dure pour raconter des choses très dures. Sadorski est d'abord celui qui focalise ces impressions négatives. Avant que l'Histoire ne se rappelle à nous de la pire des façons... A ceux qui, parfois, ont la nostalgie de cette époque, estime que la vie n'était pas si dure (suivez-mon regard), Romain Slocombe répond par cette chronique de la vie parisienne en 1942, sombre et violente.
On est encore dans le triomphe fasciste, et ses séides pavoisent, s'en donnent à coeur joie, s'affichent et ne se gênent pas pour profiter de leur position de force. On est loin du brillant, du tout Paris qui chante et qui pétille. Ici, on est dans le quotidien du commun des mortels et l'on voit bien que la vie est difficile. Et que la haine, la rancoeur suintent partout...
C'est aussi ce qui est troublant dans cette lecture : on plonge dans une atmosphère oppressante, vénéneuse, dangereuse. On croise beaucoup de salauds, même si, encore une fois, la rafle du Vel d'Hiv ne va pas rester sans conséquence. Je pense à une scène en particulier, où les policiers se retrouvent autour d'une table à la fin de la première journée de cette épouvantable semaine...
L'Histoire est au coeur de ce roman, et pas seulement à travers l'arrestation de milliers de juifs, confinés dans des conditions inhumaines dans un vélodrome avant d'être emmenés vers des camps de rétention, dernière étape avant un voyage plus abominable encore vers d'autres camps, à Auschwitz et ailleurs en Europe de l'est...
Mais surtout, elle se marie avec les deux trames de polar qui ouvrent le récit : l'attentat du 5, boulevard du Palais, le 29 mai 1942, et le corps retrouvé par Sadorski dans les forêts proches de Sucy-en-Brie. Evidemment, je ne vais pas en dire plus, vous le découvrirez au fil des rebondissements. Mais, il est important, je pense, de dire que Slocombe s'inspire de faits réels.
Au passage, ce sera l'occasion de découvrir des épisodes qu'on ne connaît pas forcément, comme l'histoire du détachement Valmy. Ce qu'il y a de bien avec Romain Slocombe, c'est qu'il n'est pas sectaire : la noirceur et les comportements écoeurants sont partagés équitablement et la Résistance n'y échappe pas.
Partout, l'idéalisme (je ne connote pas ce terme, c'est une question de point de vue) et l'opportunisme s'affrontent et cette histoire nous en donne un terrible exemple. Décidément, lorsqu'on lit les romans de Romain Slocombe, on peine à trouver foi en l'humanité. Ou, au contraire, on essaye de prendre du recul et de tirer des enseignements de ce qu'il nous montre...
Mais, il va y avoir du boulot...
Un dernier mot, là encore, c'est assez subjectif, mais il me semble que la partie polar tient une place moindre que dans le premier volet. Il faut dire que les événements liés à la rafle du Vel d'Hiv occupe une place importante et qu'on sent qu'on est aussi à un tournant personnel pour l'irréprochable IPA Léon Sadorski, prêt à déroger à ses immuables règles de conduite.
Pour autant, cela reste une lecture passionnante, éprouvante, jusqu'aux dernières lignes, un épilogue hélas attendu, redouté. Je ne peux croire que ce deuxième volet va marquer la fin du cycle Sadorski. Je vais donc sagement attendre le troisième tome et je serai particulièrement attentif à ce qu'il va advenir de Léon Sadorski. Et curieux de découvrir ce que Romain Slocombe va mettre en scène.
Et découvrir si ce deuxième tome aura été une sorte de bascule dans cette série...
J'ai mis du temps à trouver un titre qui me satisfasse pour évoquer notre roman du jour, mais il faut savoir se montrer patient, c'est à la toute fin du livre qu'est apparue cette phrase juste parfaite. Je l'avoue, elle reflète mon avis sur le personnage de Léon Sadorski, alias Sado, mais c'est aussi l'impression tenace qui se dégage de lui depuis les premières pages de "l'Affaire Léon Sadorski" (désormais disponible en poche aux éditions Points) et jusqu'aux dernières pages de ce second volet, "L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski", sorti ces dernières semaines dans la collection La Bête Noire (chez Robert Laffont), sous la plume de Romain Slocombe. Dans ce deuxième volet (le dernier ? Je n'en suis pas certain...), on retrouve des événements que j'imaginais voir dans le premier. On retrouve aussi la dimension policière, mais un peu en retrait, et on découvre quelques aspects passionnants de cette époque. Passionnants et troublants, révélateurs d'une des facettes les moins flatteuses de l'âme humaine...
L'inspecteur principal adjoint Sadorski est toujours en congé, après avoir été blessé en service (voir "l'Affaire Léon Sadorski"), alors il en profite. A sa façon... Obsédé par sa voisine adolescente, Julie Odwak, dont les parents sont en rétention parce qu'ils sont juifs... Lui, l'antisémite, "le bouffeur de juifs", comme il se surnomme, le voilà qui désire cette fille à en devenir cinglé.
Bien sûr, il est toujours amoureux d'Yvette, son épouse, et entre eux, ça roule. Enfin, sexuellement, je veux dire. Mais, Sadorski n'a jamais été contre un petit coup de canif dans le contrat, quand l'occasion se présente. Seulement, là, il ressent des choses qu'il n'avait jamais ressenties jusque-là, cette gamine dont il pourrait être le père, le met dans tous ses états.
Lorsqu'il la voit sans l'étoile jaune que doivent désormais porter tous les juifs par ordre du gouvernement de Vichy, il lui fait gentiment la leçon, alors qu'il aurait embarqué n'importe quelle autre personne transgressant cette loi. Il va plus loin, lui offre un cadeau, lui permet de voir sa mère, détenue aux Tourelles, une sinistre caserne du XXe arrondissement, l'emmène au cinéma...
Julie comprend-elle ce qu'elle inspire à ce policier qu'elle trouve bienveillant, alors qu'elle ignore tant de choses à son sujet ? Sans doute pas, mais, lors de leur séance de cinéma, elle s'enfuit, écoeurée par la propagande antisémite et les réactions du public. Sadorski ne lui en veut pas, elle continue de l'obséder, quoi qu'elle fasse...
Alors, pour se changer les idées, il part en pique-nique avec Yvette, du côté de Sucy-en-Brie. Un moment hors du temps, loin des problèmes, de la guerre, des restrictions, des ordres, de l'occupation (Sadorski n'est pas un germanophile)... Mais, alors qu'il se promène dans les sous-bois, il tombe sur un corps, celui d'une jeune femme qui, vu son état, doit être là depuis un moment...
Une macabre découverte qui rappelle à Sadorski que le moment de reprendre du service est venu. Et comme il y a bien peu d'indices du côté de Sucy, l'IPA s'intéresse à un autre dossier, bien plus brûlant, un événement intervenu pendant qu'il était absent : une explosion dans un café, situé à deux pas du palais de justice, un établissement fréquenté par bon nombre de policiers.
Deux personnes ont été tuées, d'autres blessées, et l'on suspecte la résistance, certainement les communistes, des êtres qu'exècre Sadorski autant que les juifs et qu'il traque volontiers. Et même si ce n'est pas lui qui est officiellement en charge de l'enquête, il remarque dans le dossier deux éléments qui l'intriguent au sujet de deux des blessés. Deux femmes...
Et pendant qu'il essaye de démêler ces deux histoires, il doit aussi gérer les affaires courantes. Nous sommes au mois de juin 1942 et la pression ne cesse de croître concernant les juifs vivant en France. L'étau fasciste se resserre sur eux un peu plus chaque jour et le bruit disant que se prépare de grandes manoeuvres est de plus en plus présent. Que va faire Sadorski pour Julie ?
Précisons tout de suite avant d'aller plus loin que "L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski" débute exactement là où se termine "L'Affaire Léon Sadorski". On est dans l'exacte continuité et, si vous avez lu le premier volet, vous savez qu'on avait laissé le policier dans une situation très particulière. Il est donc dans un état d'esprit très spécial... qui s'évapore aussitôt lorsque Julie apparaît...
Je suis franc avec vous, Sadorski est une ordure, un sale type. Un policier certes compétent, mais qui met ses qualités au service de causes et d'idéologies à vomir. Je ne me suis pas replongé dans "l'Affaire Léon Sadorski", alors, c'est peut-être ma mémoire qui me joue des tours, mais j'ai trouvé que le policier était encore pire dans ce second volet.
Voilà un moment que Romain Slocombe explore les côtés les plus sordides de l'âme humaine, les plus bas instincts et nous offre des personnages de salauds spectaculaires. On aime les détester, et ils méritent cent fois ce que l'on pense d'eux. Et dans ce domaine, on ne peut pas vraiment dire que Léon Sadorski oeuvre à sa rédemption...
Dans "Monsieur le Commandant", le personnage de l'écrivain délateur était une belle ordure aussi, mais c'était un lâche, un trouillard. Ce n'est pas du tout le cas de Léon Sadorski. Je le redis, parce que c'est sans doute le seul trait de caractère qu'on puisse place à son crédit, et encore, Léon Sadorski est un flic d'une grande compétence. On peut discuter ses méthodes, en revanche...
Mais, c'est un homme d'action, qui n'hésite pas à affronter les situations les plus dangereuses. Il est courageux, efficace, plein d'intuition... Un bon flic, oui, je ne vois pas comment dire les choses autrement... En d'autres circonstances, il pourrait parfaitement être un héros de polar, avec ses failles et ses défauts, sans doute, mais dans ce contexte, il sert l'arbitraire et l'horreur.
Pourtant, comme on le constatait déjà dans la première partie, on découvre un homme déchiré entre sa loyauté à ses chefs, autrement dit, à la France, et son mépris pour l'envahisseur allemand. Le hic, c'est qu'il n'a toujours pas pigé que le boulot qu'il accomplit en traquant les juifs, les communistes, les terroristes (souvent les mêmes dans son esprit) sert les intérêts des nazis...
C'est aussi un des enjeux de ce deuxième volet : il a beau être persuadé de servir la justice et le bon droit, d'être un patriote, il va devoir affronter un certain nombre de cas de conscience dans ce roman (ou un point d'honneur ?) au cours de ces semaines de juin et de juillet 1942. Ses certitudes vont se retrouver ébranlées, lui qui se pensait infaillible...
Lorsque j'ai commencé "L'Affaire Léon Sadorski", en découvrant ce personnage, son poste, sa mission qui est de traquer les juifs, son antisémitisme féroce, j'avais imaginé que le livre déboucherait sur la rafle du Vel d'Hiv. En fait, j'avais un peu anticipé les choses, c'est dans "l'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski" que le lecteur assiste à l'innommable.
Il y a deux choses pour le lecteur que je suis : les personnages de fiction, comme Sadorski, qui peuvent commettre les pires horreurs, mais restent, d'une certaine manière, des abstractions. Un jeu de rôles, une caractérisation qui a été imaginée par un écrivain dans un but précis, celui de servir son histoire. Certains aspirent à la rédemption, d'autres n'y songeront même pas...
Sadorski, c'est un peu des deux... C'est important, même si ses propos, ses actes, ses idées nous dégoûtent, de son point de vue à lui, il agit selon un code moral irréprochable. Et puis, voilà qu'il se met à en pincer pour Julie (oui, je manie bien l'euphémisme). Et voilà que la politique au sujet des juifs se renforce... Jusqu'à la rafle...
Des journées terribles, qui sont au coeur du roman, que Sadorski vit en première ligne. Et là, dans cette effervescence, dans l'application de cette effarante décision, dans ce déferlement de haine que l'on essaye, bizarrement, de garder le plus possible secret, il se retrouve face à des situations qui mettent à mal ses belles certitudes et son antisémitisme farouche...
Je n'en dis pas plus, mais ses réactions sont évidemment un des éléments importants de cette histoire. Et, si suite il y a, cela pourrait avoir une influence indéniable sur les événement à venir. Quelques lézardes dans cette personnalité odieuse qui, même lorsqu'il fait un truc bien, ne le fait jamais sans arrière-pensée, sans qu'il y trouve son intérêt...
A ce point du billet, c'est l'occasion de vous prévenir : c'est un roman d'une très grande violence. Dans le fond, comme dans la forme. L'écriture de Slocombe se met au diapason et elle cingle, elle malmène le lecteur, le bouscule en le plaçant face à des situations et des personnages qu'on a envie de fuir au plus vite.
C'est une écriture très dure pour raconter des choses très dures. Sadorski est d'abord celui qui focalise ces impressions négatives. Avant que l'Histoire ne se rappelle à nous de la pire des façons... A ceux qui, parfois, ont la nostalgie de cette époque, estime que la vie n'était pas si dure (suivez-mon regard), Romain Slocombe répond par cette chronique de la vie parisienne en 1942, sombre et violente.
On est encore dans le triomphe fasciste, et ses séides pavoisent, s'en donnent à coeur joie, s'affichent et ne se gênent pas pour profiter de leur position de force. On est loin du brillant, du tout Paris qui chante et qui pétille. Ici, on est dans le quotidien du commun des mortels et l'on voit bien que la vie est difficile. Et que la haine, la rancoeur suintent partout...
C'est aussi ce qui est troublant dans cette lecture : on plonge dans une atmosphère oppressante, vénéneuse, dangereuse. On croise beaucoup de salauds, même si, encore une fois, la rafle du Vel d'Hiv ne va pas rester sans conséquence. Je pense à une scène en particulier, où les policiers se retrouvent autour d'une table à la fin de la première journée de cette épouvantable semaine...
L'Histoire est au coeur de ce roman, et pas seulement à travers l'arrestation de milliers de juifs, confinés dans des conditions inhumaines dans un vélodrome avant d'être emmenés vers des camps de rétention, dernière étape avant un voyage plus abominable encore vers d'autres camps, à Auschwitz et ailleurs en Europe de l'est...
Mais surtout, elle se marie avec les deux trames de polar qui ouvrent le récit : l'attentat du 5, boulevard du Palais, le 29 mai 1942, et le corps retrouvé par Sadorski dans les forêts proches de Sucy-en-Brie. Evidemment, je ne vais pas en dire plus, vous le découvrirez au fil des rebondissements. Mais, il est important, je pense, de dire que Slocombe s'inspire de faits réels.
Au passage, ce sera l'occasion de découvrir des épisodes qu'on ne connaît pas forcément, comme l'histoire du détachement Valmy. Ce qu'il y a de bien avec Romain Slocombe, c'est qu'il n'est pas sectaire : la noirceur et les comportements écoeurants sont partagés équitablement et la Résistance n'y échappe pas.
Partout, l'idéalisme (je ne connote pas ce terme, c'est une question de point de vue) et l'opportunisme s'affrontent et cette histoire nous en donne un terrible exemple. Décidément, lorsqu'on lit les romans de Romain Slocombe, on peine à trouver foi en l'humanité. Ou, au contraire, on essaye de prendre du recul et de tirer des enseignements de ce qu'il nous montre...
Mais, il va y avoir du boulot...
Un dernier mot, là encore, c'est assez subjectif, mais il me semble que la partie polar tient une place moindre que dans le premier volet. Il faut dire que les événements liés à la rafle du Vel d'Hiv occupe une place importante et qu'on sent qu'on est aussi à un tournant personnel pour l'irréprochable IPA Léon Sadorski, prêt à déroger à ses immuables règles de conduite.
Pour autant, cela reste une lecture passionnante, éprouvante, jusqu'aux dernières lignes, un épilogue hélas attendu, redouté. Je ne peux croire que ce deuxième volet va marquer la fin du cycle Sadorski. Je vais donc sagement attendre le troisième tome et je serai particulièrement attentif à ce qu'il va advenir de Léon Sadorski. Et curieux de découvrir ce que Romain Slocombe va mettre en scène.
Et découvrir si ce deuxième tome aura été une sorte de bascule dans cette série...