La première fois que j’ai eu vent de Callan Wink, c’était dans le recueil de nouvelles 20+1 shorts stories. Sa nouvelle, «Montée des eaux», qui clôturait le recueil, m’avait fortement marquée. J’attendais impatiemment la parution de Courir au clair de lune avec un chien volé. Le Bison, ayant senti mon impatience, m’a posté le recueil avant même qu'il n'arrive au Québec. Je ne l’en remercierai jamais assez.
Courir au clair de lune avec un chien volé… Non mais, ça donnes-tu assez le goût d’aller voir ce qui se trame entre ces pages? Neuf nouvelles, neuf tranches de vie dont la plupart sont ancrées en plein cœur du Montana.
«Courir au clair de lune avec un chien volé», la première nouvelle, celle qui donne son titre au recueil, est la plus cocasse, même s’il n’y a pas de quoi rire. Vous vous imaginez, vous, courir tout nu sur des roches coupantes, avec le chien que vous avez libéré (volé) sur les talons, pourchassé par
le mafieux du bled et son acolyte Charlie Chaplin? Eux, tout ce qu’ils veulent, c’est récupérer le chien et vous donner une bonne leçon. C’est ce qui arrive à Sid.J’ai relu «Montée des eaux» avec la même émotion que la première fois. C’est, pour moi, l’une des nouvelles les plus touchantes du recueil. J’ai eu l’impression de me retrouver dans l’univers de Kent Haruf. C’est dire combien j’ai aimé! Jeannette, la jeune quarantaine, vit avec ses deux jeunes garçons. Son mari est dans un centre de désintoxication. Elle rencontre Dale, secouriste, tout juste vingt-cinq ans. De fil en aiguille, ils se mettent ensemble, malgré les réticences du père de Dale. Lorsque l’eau de la rivière monte et risque d’inonder la maison de Jeannette, Dale et son père prennent le taureau par les cornes et évitent la catastrophe. Ce qui s'ensuivra pourrait tourner au conte de fées. Mais il en sera malheureusement autrement. Parce que la vie peut parfois être d’une cruelle injustice.
Des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux. Des bouts de vies comme j’aime tant.
Certains veulent changer de vie, comme James dans «Exotisme». Loin de la ville et de sa carrière d’enseignant, loin de sa copine avec qui ça ne va plus, il prend un emploi d'été comme journalier dans un ranch d'animaux exotiques. Il prend goût à cette nouvelle vie, au point de rendre son frère jaloux.D’autres encore se débattent pour conserver la vie qu’ils ont, comme Lauren dans «Regarder en arrière». Ils accusent les coups du destin ou se préparent à y faire face, comme Terry qui pêche pour une dernière fois avec son grand-père avant d’aller purger une peine de prison. D’autres ne savent plus trop sur quel pied danser, comme le gamin dans «Les respiriens», qui a reçu comme mission de son père de tuer les dizaines de chats qui pullulent dans l’étable. Devenir un homme? À quel prix? D’autres encore, comme ce père et son fils dans «Moïse au pays des Indiens Crows», tentent difficilement de se rapprocher.
Callan Wink dépeint la vie comme elle est, sans fard.
Il ne se contente pas de poser ses personnages, il les accompagne avec bienveillance et sollicitude, une main sur l’épaule.Dans le décor sans paillettes d’une l'Amérique sauvage, les couples s'effritent, les solitudes tentent de se tendre la main, des liens se tissent. Ici, la compassion vient faire contrepoids à la grisaille du quotidien.Le style de Callan Wink est d’une sobriété bouleversante, sans un mot de trop, sans ornementation inutile. Une écriture puissante, viscérale, dont la traduction de Michel Lederer rend bien toute la portée. Courir au clair de lune avec un chien volé est le meilleur recueil de nouvelles que j'ai lu cette année, juste à côté du recueil de Robin Macarthur, Le coeur sauvage.
Je ne le dirai jamais assez: Francis Geffard est un dénicheur de grands talents.Il n'y a pas que moi qui vante l'immense talent de Callan Wink. Electra et Mr K renchérissent. Sans parler de Jim Harrison, Thomas McGuane, Ron Rash et Smith Henderson. Rien que ça! C'est vous dire...
Courir au clair de lune avec un chien volé, Callan Wink, tad. Michel Lederer, Albin Michel, 304 pages, 2017.★★★★★