Editeur : RageotNombre de pages : 424
Résumé : « Qui veux-tu être, Nawel ? Qui veux-tu vraiment être ? »Elle le savait désormais.-Je me nomme Nawel Hélianthas...Un vœu, un simple choix, possédait-il le pouvoir d'orienter une existence entière ?- Je sollicite le droit et l'honneur de revêtir...Un mot, un unique mot pouvait-il devenir une clé ?
- Un petit extrait -
« Et pourtant c'est toujours moi, songea-t-elle. Transformée, certes, mais toujours moi. Une seule vie, de la naissance à la mort. Une vie unique, sans possible retour en arrière, sans remise à zéro des actes, des gestes ou des pensées. Une vie à respecter. Une vie à vivre. Intensément. »
- Mon avis sur le livre -
« Le hasard n’existe pas ». J’aurai pu choisir cette citation pour illustrer cette chronique. Je préfère m’en servir pour la débuter. Le hasard n’existe pas. Et pourtant. N’est-ce pas un cruel hasard, pour une petite fille de douze ans, que d’emprunter un livre au CDI un matin, de le dévorer pendant l’après-midi, le livre tranquillement installé sur les genoux en faisant mine de suivre l’interminable monologue du professeur, et d’apprendre le soir-même que l’auteur de ce fantastique roman qui avait illuminé sa journée entière venait d’avoir un fatal accident de la route ? Si le hasard n’existe pas, alors comment qualifier cette étrange coïncidence ? Je pense que cette question restera à jamais sans réponse et continuera de tourner en moi à chaque relecture que je fais d’un de ses livres …
Nawel a dix-sept ans. Comme toutes les Perles de son âge, elle s’apprête à formuler ses vœux : quelle Robe souhaite-t-elle revêtir pour le restant de ses jours, quelle caste souhaite-t-elle rejoindre ? Désire-t-elle devenir une Mage, une Historienne, une Dirigeante, ou bien encore une Guérisseuse, une Scribe ou une Ingénieure ? De ce choix dépendra toute son existence, car une fois la Robe revêtue, il est impossible de faire marche arrière. Mais Nawel est sûre de sa décision, murement réfléchie et discrètement approuvée par ses parents ; rien ne pourra plus la faire changer d’avis. Et pourtant … voilà qu’un grain de poussière vient dévier l’engrenage, et que toutes ses certitudes s’effondrent tandis qu’une question s’impose enfin à elle : « Qui veux-tu être, Nawel ? ».
Cette interrogation fait écho à celle qui habite chaque être humain : qui veux-je devenir ? Entre les attentes de nos parents, de nos professeurs, de la société, et nos aspirations propres, nos rêves, nos désirs, il y a parfois tout un monde. Et se pose alors la seconde grande question : cœur ou raison, audace ou sécurité ? Deux possibilités s’ouvrent à nous, deux voies divergentes qui ne se rejoindront surement jamais. Comment choisir ? Et surtout, comment ne pas regretter de ne pas avoir fait l’autre choix ? Comment arrêter d’imaginer ce qui se serait passé « si » on avait pris une autre décision ? Comment accepter de suivre la voie qui est désormais la nôtre sans se laisser envahir par les regrets, le doute, la culpabilité, l’incertitude ? Nawel va être confrontée à toutes ces interrogations, va faire face à toutes ces difficultés.
Car ce livre, c’est finalement l’histoire d’une jeune fille qui devient une jeune femme, d’une adolescente qui décide de tracer son propre chemin et non plus de suivre celui que lui avaient construit ses parents et la société dans laquelle elle vit. C’est l’histoire d’une enfant qui a grandi trop vite, trop soudainement, trop brutalement. Au début du récit, Nawel est une jeune noble vaniteuse et autoritaire, bornée et parfois cruelle, mais aussi, finalement, très insouciante : elle ne fait que reproduire le comportement des adultes qui l’entourent, en premier lieu ses parents. Au fur et à mesure qu’elle s’éloigne de ces derniers, au fil des découvertes et des révélations qui viennent bouleverser tout son univers, Nawel doit apprendre à choisir par elle-même, à prendre ses propres décisions sans compter sur l’approbation ou le conseil de sa mère. Des erreurs de jugement, elle va en faire, et c’est justement ces erreurs qui vont lui donner matière à réfléchir, et par la même occasion, à grandir. A la fin du récit, Nawel n’est plus la même, et l’ultime décision qu’elle prend avant que ne s’achève cet ouvrage en est la preuve la plus éclatante.
Mais ce livre n’est pas que cela, bien évidemment. C’est également un univers d’une richesse incroyable. Pierre est un guide : en quelques pages à peine, il nous fait entrer dans son univers, il parvient à nous faire saisir la complexité de cette société, sans pour autant nous y perdre. Je n’ai pas encore lu la trilogie de L’Autre (et ne sais pas trop quand je le ferai : je suis tiraillée entre l’envie de découvrir l’intégralité de l’œuvre de Pierre et celle de ne jamais connaitre le jour où j’aurai définitivement tout lu de lui sans plus rien avoir à découvrir), aussi ne puis-je pas confirmer ou infirmer les opinions de mes copinautes blogueurs qui affirment que Les âmes croisées représentent le croisement de tous les univers créés jusqu’alors par l’auteur, mais il est effectivement évident à mes yeux que Gwendalavir n’est pas bien loin. Il y a beaucoup de mystères quant à ce monde, son histoire, des mystères dont nous ne saurons jamais les réponses, mais auxquels nous pouvons tenter d’imaginer notre propre réponse.
Ce livre, c’est également - et je m’arrêterai là pour aujourd’hui - une petite merveille sur le plan de l’écriture. S’il me fallait décerner un titre à Pierre Bottero, je lui offrirai sans hésitation celui de « Magicien des mots ». Il ne se contente pas d’écrire une histoire, mais il nous fait vivre cette histoire. Sa plume n’est pas seulement incroyablement poétique, elle est également extraordinairement expressive, vivante, dynamique. Elle fait naitre des dizaines d’émotions à la minute, nous fait vibrer, trembler, soupirer, pleurer. Oui, pleurer, plus d’une fois. Tout comme les Armures doivent veiller à rester dissociés de leur armure, à garder leur personnalité propre sans se laisser envahir par celle de cette protection vivante, le lecteur doit sans cesse faire attention à ne pas se laisser submergé par Nawel : en dépit de son caractère de cochon initial, très rapidement, on s’attache, on s’identifie à elle. Et on pleure, on sursaute, on frissonne en même temps qu’elle. Alors quand arrive le chapitre final, quand vient le moment de se séparer définitivement d’elle, par la force des choses, le déchirement est total.
En bref, comme à chaque fois que je relis ce premier tome à jamais solitaire, je suis partagée entre l’émerveillement et la tristesse. Emerveillement face à cet univers, face à cette plume, face à cette histoire riche et profonde. Et tristesse de ne plus jamais avoir la joie de la découvrir, de ne pas avoir la possibilité de connaitre la suite et le fin mot de l’histoire. Mais indéniablement, ce livre est bien plus qu’un coup de cœur : tout comme l’univers de Gwendalavir, celui de Jurilan fait désormais parti de ceux que j’aime arpenter régulièrement. Ceux que j’ai besoin de visiter régulièrement. Pour que continue de vivre en moi cette étincelle, cette petite flamme qu’avait allumée ma première lecture de La Quête d’Ewilan : l’amour des mots et des histoires qu’ils font naitre.