Et soudain, la liberté D’Evelyne Pisier et Caroline Laurent

Publié le 08 octobre 2017 par Carocaro

Ce livre raconte l’histoire de Mona et de Lucie, mais aussi celle d’Evelyne et de Caroline.

Les premières sont mère et fille. Mona est l’épouse d’un haut fonctionnaire qui a bâti sa carrière dans les colonies. En Indochine d’abord, avant que la guerre les rattrape, les abîme et les force à fuir. En Nouvelle-Calédonie ensuite, où Mona vit la vie des femmes de son époque, sans liberté de mouvement, sans liberté de pensée, en admiration devant son homme.

Mais le couple se délite petit à petit. Mona tombe sous le charme d’un autre homme, qui devient son amant. Dans le même temps, elle se lit d’amitié avec une bibliothécaire qui lui met entre les mains Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir. Ces deux événements, la rencontre amoureuse et la découverte amicale et littéraire, transforment progressivement Mona qui, même si ses envies sont souvent dictées par sa passion amoureuse, aspire globalement à plus de liberté. Ils sont le terreau de la vie future et des convictions naissantes de Mona, qu’elle transformera en engagements et qu’elle transmettra à sa fille.

Lucie, petite fille éveillée, pose des questions. Sur la folie nazie, sur le rôle de son père dans le contrôle des juifs en Indochine, sur le racisme… Des questions innocentes, des questions qui fâchent. Elle assiste également aux violentes disputes entre ses parents, aux élans amoureux de sa mère. Elle prend ses distances avec Dieu et avec son père, assiste aux activités de plus en plus féministes de sa mère, se construit son propre destin.

De retour à Paris, sa vie change. Adolescente puis jeune adulte, elle se fait des amis, se forge à son tour des convictions, influence même sa mère sur certains sujets comme l’homosexualité. Attirée par les figures de Che Guevarra et de Fidel Castro, elle se rend à Cuba, est éblouie. Entre Paris, ses études, ses amours, et Cuba, le sentiment de liberté, la passion pour le leader cubain, son coeur balance.

C’est la raison qui l’emportera. Mais est-on vraiment maître de ses choix ? Les difficultés que l’on affronte, les peurs ou les luttes que l’on nous transmet, les rencontres que l’on fait, c’est tout cela qui oriente notre histoire personnelle. Mona et Lucie, deux femmes engagées, deux femmes amoureuses, deux magnifiques portraits très contrastés.

En parallèle, Caroline Laurent nous explique la rencontre et la belle amitié née entre elle-même, jeune éditrice, et Evelyne Pisier, la Lucie du roman, petite fille curieuse et confrontée trop tôt aux tourments des adultes, aujourd’hui arrivée à un âge où l’on se retourne sur sa vie passée. Elle nous parle de cette amitié fulgurante, de cette rencontre fondatrice pour sa vocation d’écrivain, de leur travail en commun, et de cette amie trop brutalement enlevée par la maladie, à qui elle doit un livre ! Car si les souvenirs d’Evelyne sont le terreau de ce qu’elle ont voulu ensemble comme un roman plus qu’une autobiographie, c’est bien de l’esprit et de la main de Caroline qu’est né ce texte. Dans de courts chapitres, Caroline nous ramène à la réalité d’Evelyne, nous distille les éléments autobiographiques qu’elles ont voulu masquer en choisissant le genre romanesque, et qui éclairent fortement le récit.

J’ai aimé cette dimension autobiographique. Aimé aussi ces portraits complexes de femmes, échos de leurs époques. J’ai apprécié les éléments qui m’ont permis de comprendre le contexte de racisme, d’oppression, d’espoir de changement. Car ce livre, c’est aussi le portrait de lieux et de temps pas si anciens, et pourtant méconnus. J’ai aimé les parcourir avec le regard de ces femmes fortes et pleines d’humanité.

Morceaux choisis :

« L’intensité d’une amitié, ça vous fait une joie pour mille ans, c’est comme un amour, ça vous rentre par le nombril et vous inonde tout entier. Ca ne se mesure pas en mois. »

« Que peut la littérature face à l’absolu du vide ? Quel est ce plein dont elle prétend nous combler ? J’ai beau travailler dans les mots, autour des mots, entre les mots, je n’ai pas de réponse. Vivre une autre vie, donner du rêve, faire rire et pleurer, laisser une trace, peindre le monde, poser des questions, ressusciter les morts, voilà le rôle des livres, dit-on. Offrir la consolation de la beauté. C’est peu ; c’est immense. »

« Evelyne avait choisi la fiction, paradis de l’imaginaire, liberté assurément. Le respects des faits est un leurre; chauve-souris prise dans une pièce fermée. La fiction porte une certaine lumière sur une certaine histoire, elle s’affranchit de l’espace comme le font les notes de musique. »

« Ils échangèrent un regard. Les mots n’étaient pas nécessaires. On peut continuer à aimer ceux qu’on n’aime plus. »

« Genève est un amphithéâtre bourgeois posé autour du lac. Une baleine invisible y crachait son jet d’eau sur une centaine de mètres. Ce ,’était ni beau ni laid. Au-dessus du lac, le ciel gris devenait blanc, presque transparent. »

« Je crois que les mères mentent. Qu’il n’y a rien de plus triste que cette seconde où l’enfant s’en va – pour ses études, pour se marier, pour vivre sa vie. Elles se félicitent, bien sûr, ont rempli leur part de contrat, l’enfant est autonome et peut affronter l’existence, ais quoi ? La solitude, la nostalgie ? Ce ne sont pas des cadeaux. Les mères sont égoïstes, et les enfants encore plus. Chacun prend à l’autre quelque chose qu’il ne lui rendra pas. Et toujours revient, lancinante, cette question d’un amour trop grand pour que l’on puisse y vivre. »

Une belle découverte grâce au club FB des éditions Les Escales.

Lecture partagée sur le blog Délivrer des livres pour le challenge 1% rentrée littéraire 2017.

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