Des poches dans la poche · octobre 2017
Par Marie-Claude Rioux
Si ce mois d'octobre me semble plutôt tranquille côté parutions en poche, les tentations n'en demeurent pas moins fortes. Comme quoi ce n'est jamais la quantité qui compte!
dans la catégorie lu et approuvé
NOS ÂMES LA NUIT – KENT HARUF– PAVILLONS ROBERT LAFFONTKen Haruf fait partie de mes auteurs incontournables. Si Nos âmes la nuit n'est pas le roman que j'ai préféré, j'y ai retrouvé la même atmosphère que dans ses précédents romans. Ne serait-ce que pour cette raison, Nos âmes la nuit est un roman à ne pas manquer.
Dans la petite ville de Holt, Colorado, dans une Amérique profonde et isolée, Addie, une septuagénaire, veuve depuis des décennies, fait une étrange proposition à son voisin, Louis, également veuf: voudrait-il bien passer de temps à autre la nuit avec elle, simplement pour parler, pour se tenir compagnie? La solitude est parfois si dure... Bravant les cancans, Louis se rend donc régulièrement chez Addie. Ainsi commence une très belle histoire d'amour, lente et paisible, faite de confidences chuchotées dans la nuit, de mots de réconfort et d'encouragement. Une nouvelle jeunesse apaisée, toute teintée du bonheur de vieillir ensemble. Mais voilà, les choses ne vont pas se passer si simplement, les cancans vont bon train, et les familles s'en mêlent... Que va-t-il advenir de cette bulle de douceur si précieuse qu'Addie et Louis avaient réussi à construire?
SACRIFICE – JOYCE CAROL OATES – POINTS SEUILSacrifice fait partie des derniers romans de Joyce Carol Oates qui ne m'ont pas déçue. Très redoutable, dans le bon sens du terme...
1987, dans un quartier noir délabré d’une ville du New Jersey, une mère cherche partout sa fille, Sybilla, disparue depuis trois jours. L’adolescente sera retrouvée, ligotée, le corps barbouillé d’excréments et d’injures racistes, dans les sous-sols d’une vieille usine abandonnée. Emmenée aux urgences, elle accuse des «flics blancs» de l’avoir enlevée, battue et violée. Ce terrible acte de violence choque profondément sa communauté, où personne ne fait confiance à la police blanche, et exacerbe les tensions raciales frémissant depuis des décennies. Un pasteur noir et son frère, avocat militant des droits civiques récupèrent l’affaire qu’ils exploitent au mieux de leurs intérêts; imités rapidement par le Prince noir, leader du Royaume de l’islam, plus redoutable encore. La vérité n’importe guère à ces leaders religieux, les médias s’en soucient tout aussi peu, et pourtant les faits se révèlent progressivement de plus en plus troubles. Dans un chœur de voix et de points de vue qui va crescendo – de la police aux médias en passant par la victime et sa famille –, l’auteure offre une nouvelle compréhension, choquante, du pouvoir et de l’oppression, de l’innocence et de la culpabilité, de la vérité et du sensationnalisme, de la justice et du châtiment. S’inspirant, comme souvent, d’un fait divers réel, Joyce Carol Oates explore les lignes de faille d’une société toujours troublée par la question de la race et signe un roman profond et incendiaire.
DÉSOLATIONS – DAVID VANN– TOTEM GALLMEISTERSur les rives d’un lac glaciaire en Alaska, Irene et Gary ont construit leur vie, élevé deux enfants aujourd’hui adultes. Mais après trente années d’une vie sans éclat, Gary est déterminé à bâtir sur un îlot désolé la cabane dont il a toujours rêvé. Irene se résout à l’accompagner dans ce projet fou en dépit des inexplicables maux de tête qui l’assaillent. Leur fille Rhoda, tout à ses propres rêves de bonheur, devient peu à peu le témoin impuissant du face-à-face implacable de ses parents, tandis que s’annonce un hiver précoce et violent qui rendra l’îlot encore plus inaccessible.
BONDRÉE – ANDRÉE A. MICHAUD– RIVAGES NOIRÉté 67. Le soleil brille sur Boundary Pond, un lac frontalier rebaptisé Bondrée par Pierre Landry, un trappeur dont le souvenir ne sera bientôt plus que légende. Le temps est au rire et à l’insouciance. Sissy et Zaza dansent le hula hoop sur le sable chaud, les enfants courent sur la plage et la radio grésille les succès de l’heure. On croit presque au bonheur, puis les pièges de Landry ressurgissent de la terre, et Zaza disparaît, et le ciel s’ennuage.
Bondrée est déjà paru en poche au Québec dans la collection Nomades chez Québec Amérique.
dans la catégorie le grand format m'attend
GOAT MOUNTAIN – DAVID VANN– TOTEM GALLMEISTERAutomne 1978, nord de la Californie. Un garçon de onze ans, son père, son grand-père et un ami de la famille se retrouvent sur Goat Mountain pour chasser. À leur arrivée, les hommes aperçoivent au loin un braconnier qu’ils observent à travers la lunette de leur fusil. Le père invite son fils à tenir l’arme et à venir regarder. Et l’irréparable se produit. De cet instant figé découle l’éternité. Et le parcours initiatique du jeune garçon, abandonné à ses instincts sauvages, se poursuivra pendant plusieurs jours, entre chasse au gibier et chasse à l’homme.
dans la catégorie craquage imminent
LE MOTEL DU VOYEUR – GAY TALESE– POINTS SEUILLe 7 janvier 1980, Gay Talese reçoit à son domicile new-yorkais une lettre anonyme en provenance du Colorado. Le courrier débute ainsi: «Je crois être en possession d’informations importantes qui pourraient vous être utiles.» L’homme, Gerald Foos, confesse dans cette missive un secret glaçant: voyeur, il a acquis un motel à Denver dans l’unique but de le transformer en «laboratoire d’observation». Avec l’aide de son épouse, il a découpé dans le plafond d’une douzaine de chambres des orifices rectangulaires, puis les a masqués avec de fausses grilles d’aération lui permettant de voir sans être vu. Il a ainsi épié sa clientèle pendant plusieurs décennies, annotant dans le moindre détail ce qu’il observait et entendait – sans jamais être découvert. À la lecture d’un tel aveu, Gay Talese se décide à rencontrer l’homme. Au travers des notes et des carnets du voyeur, l’écrivain va percer peu à peu les mystères du Manor House Motel. Le Motel du Voyeur interrogeaussi, à travers la figure de Gerald Foos, étrange double pervers de l’auteur, la position du journaliste qui scrute le réel en observateur – en voyeur. Au-delà du fait divers, cette plongée hallucinante dans la psyché américaine, parcourt une sociologie criminelle des moeurs, et s’avère être le plus parfait des romans noirs, à mi-chemin du chef-d’oeuvre de Truman Capote De sang-froid et du Journaliste et l’Assassin de Janet Malcolm.
MONTANA 1919 – NORMAN MACLEAN– RIVAGES POCHENorman Maclean, l'auteur de La Rivière du sixième jour, raconte ici l'été de ses dix-sept ans. Le jeune garçon fait partie d'une équipe de gardes forestiers chargés de parer aux risques d'incendie en montagne. En fin de saison, tout le monde, y compris les mulets, redescend à Hamilton, Montana, et... la ville n'a qu'à bien se tenir. Une tempête de neige en plein mois d'août. Un serpent à sonnettes, un cuisinier antipathique grand escamoteur de cartes, un «bordel ambulant», et une partie de poker qui tourne en bagarre, tels sont quelques-uns des ingrédients de ce récit «épique», dans la grande tradition de Mark Twain et des conteurs de l'Ouest américain.
dans la catégorie un jour peut-être...
CAPTIVE – MARGARET ATWOOD– 10/181859: Grace Marks, condamnée à perpétuité, s'étiole dans un pénitencier canadien. A l'âge de seize ans, Grace a été accusée de deux horribles meurtres. Personne n'a jamais su si elle était coupable, innocente ou folle. Lors de son procès, après avoir donné trois versions des faits, Grace s'est murée dans le silence: amnésie ou dissimulation? Le docteur Simon Jordan veut découvrir la vérité. Gagnant sa confiance, Jordan découvre peu à peu la personnalité de Grace, qui ne semble ni démente ni criminelle. Mais pourquoi lui cache-t-elle les troublants rêves qui hantent ses nuits? Inspiré d'un sanglant fait divers qui a bouleversé le Canada du dix-neuvième siècle, Margaret Atwood nous offre un roman baroque où le mensonge et la vérité se jouent sans fin du lecteur.
UN DESTIN D'EXCEPTION – RICHARD YATES– PAVILLONS ROBERT LAFFONT1944, New York. Robert Prentice a dix-huit ans et s'apprête à rejoindre l'Europe pour servir son pays. Après une enfance dévorée par les extravagances de sa mère, aspirante sculptrice, il va pouvoir montrer à tous – et surtout à lui-même – qu'il n'est pas qu'un fils, celui d'Alice Prentice, posant nu devant elle pour donner forme à ses délires d'artiste. Abreuvé d'idéalisme, nourri d'héroïsme hollywoodien, il croit, lui aussi, avoir un destin d'exception. Or, à la guerre comme à la ville, il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus... Deux itinéraires, deux âmes blessées: Robert, par sa guerre ratée, Alice, par ses rêves de gloire insensés. Et pourtant, chacun garde toujours l'espoir d'une seconde chance possible, un jour, ailleurs. Dans ce roman ouvertement autobiographique, Richard Yates fait le portrait d'une Amérique sans pitié.
UNE BONNE ÉCOLE – RICHARD YATES– PAVILLONS ROBERT LAFFONTSeptembre 1941, Connecticut. À la Dorset Academy, un campus sélect tout de vieilles pierres et de pelouses géantes, on entend former les fils de la haute bourgeoisie – parents et enseignants répètent à l'envi que c'est une «bonne école». Pourtant, à son arrivée à l'internat, William Grove découvre l'envers du décor: lui, le fils nerveux d'un couple divorcé, se retrouve projeté dans un climat de «libido à l'état pur», ou les garçons les plus populaires règnent en maîtres. Même les professeurs ressemblent à des lions en cage – en particulier Jack Draper, invalidé par la polio, témoin impuissant de la liaison qu'entretiennent au grand jour sa femme et le prof de français. Et puis il y a Edith Stone, le fantasme de tous les élèves, qui est prête à vivre son premier amour... Avec ce roman choral, Yates signe une chronique de ses années de jeunesse, jetant un regard attendri sur les petites et grandes humiliations de l'adolescence, sur cette drôle d'école ou il apprit à devenir un homme, avant de partir au combat.
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