Jean-Michel Ferragatti n'est pas seulement un passionné de comics, on peut aussi le ranger dans la catégorie des érudits, ceux qui connaissent parfaitement la matière dont ils parlent, principalement lorsqu'il s'agit d'aller creuser du côté des héros oubliés de l'âge d'or de ces personnages en collants. Déjà auteur d'une excellente Histoire des comics et de l'indispensable rubrique French Collection (ancêtre de l'ouvrage précédemment cité) dans le défunt mensuel Comic Box, il est aussi le scénariste impliqué sur le projet dénommé Centaur Chronicles. Le volume 2 est en ce moment au stade du financement, sur le site participatif Ulule.
Si nous avions manqué la sortie du premier numéro, nous avons refait depuis notre retard, et c'est une bien bonne surprise. Centaur Chronicles récupère les héros de la maison d'édition du même nom (Centaur) qui sont tombés dans l'oubli le plus complet, au point d'être libre de droit aujourd'hui. Car oui, les héros disparaissent, quand les lecteurs cessent d'y croire, ou que l'éditeur lâche l'affaire. Mais à supposer que leurs existences respectives se prolongent au delà des pages imprimées (ou plus imprimées donc), que deviennent ces types costumés, et pourquoi ont-ils racroché la cape ou le masque? Le début possède un arrière goût de Watchmen, avec un drame qui survient dans un building. Pas de héros qui en tombe, mais une explosion, et une victime illustre, The Magician from Mars (on notera l'inventivité d'alors...). Cet événement pousse les super-héros de Centaur, à la retraite pour des raisons qui restent à dévoiler, à s'unir à nouveau pour faire face à ce qu'ils pressentent être une menace commune. Ceci sur l'instigation de The Eye, un globe oculaire flottant, qui s'en va demander de l'aide au Green Mist, capable de se dissoudre en une jolie brume verdâtre. Welcome to the golden age! Avec cerise sur le gâteau, l'apparition (c'est l'époque qui le veut, car Centaur Chronicles se veut aussi une retranscription subtilement différente de faits qui sont advenus dans la réalité) du docteur Warthem (echangez les voyelles...) qui présentent devant le sénat les méfaits des comics sur la jeunesse.
L'écriture n'est pas si abordable que cela. L'ensemble se présente de manière fragmentée et décomposée, et exige une application réelle du lecteur : nous passons ainsi de la trame principale, à des épisodes anciens des années 40 (réalisés par Bill Everett, Paul Gustavson, Martin Filchock et Al Plastino) où les origines des personnages sont explicitées, et ce jeu de piste et ces renvois continuels entre différentes époques instaure presque un rapport métatextuel entre le lecteur et la matière qu'il découvre. Il va de soi qu'il s'agit d'un travail remarquable et qu'à remplir les blancs Ferragatti s'est bien amusé; c'est une tapisserie abandonnée et poussiéreuse qui est remise au goût du jour, et qu'on reprend à filer. Au dessin Marti (Patrice Martinez, déjà apprécié sur Hoplitéa) parvient à livrer sa vision personnelle des héros pré-existants, avec une ligne claire et épurée, qui apporte lisibilité et une subtile sensation rétro à des planches qu'on se pique au jeu de comparer avec les créations des années 40. Allez voir le Mighty Man & Super-Ann de Martin Filchock, vous allez comprendre que c'est par moments d'une naïveté flagrante. La couleur de Reed Man (Jean-Claude Perrin) est toute aussi pertinente, et cela est d'autant plus louable qu'il a dû refaire la colorisation des planches les plus anciennes pour les rendre présentables. Là encore quand la passion vous tient, il est possible d'aller plus loin que la simple tâche machinale et besogneuse. Si vous aimez donc les vieux comics et souhaitez lire quelque chose qui sort des sentiers battus, et se révèle d'une grande intelligence sur la longueur, je vous invite à aller faire un tour sur le site participatif Ulule. Excellente surprise.
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