Epiphania (Ludovic Debeurme – Editions Casterman)
David et Jeanne ont des problèmes de couple. Vont-ils quand même décider d’avoir un enfant ensemble? Au-delà de sa relation amoureuse, c’est surtout la question de la paternité qui obsède David. Toutes les nuits, ce musicien au look de hipster fait le même cauchemar, dans lequel il voit sa femme accoucher d’un bébé mi-homme mi-animal. Pour tenter d’apaiser les tensions entre eux, Jeanne les inscrit à un « love training camp », où le docteur Krüpa, un gourou psychothérapeute, les accueille pour les aider à repartir du bon pied. Sa méthode passe par des séances de thérapie de groupe avec d’autres couples. Mais l’expérience tourne court lorsqu’un violent tsunami balaie subitement l’île du docteur Krüpa, en emportant tout sur son passage. Seuls David et le docteur survivent à la catastrophe et parviennent à regagner la terre ferme. Une fois revenu chez lui, David apprend que la vague géante a été provoquée par trois météorites incandescentes qui se sont abattues sur la Terre. Depuis lors, des millions d’étranges demi-sphères sont sorties du sol après que les eaux se soient retirées. En réalité, il s’agit de crânes de foetus en gestation. En regardant par la fenêtre, David constate qu’une de ces fameuses « têtes » est apparue dans son jardin. N’écoutant pas les conseils de ceux qui lui disent de l’éclater à coups de pelle, David décide de l’extraire du sol, presque comme s’il s’agissait d’une sorte d’accouchement. L’enfant est ce qu’on appelle un « mixbody ». Autrement dit, il ressemble à un humain, mais avec des pattes de chien et des cheveux bleus. Sa couleur de peau est également un peu différente de celle des humains. En adoptant puis en élevant cet enfant, qu’il appelle Koji, David va surmonter sa peur de la paternité et faire l’expérience de l’amour inconditionnel d’un père pour son fils. Mais dans le même temps, la haine contre les « mixbodies » ne fait que monter!
« Epiphania » est un livre intrigant. Rien qu’en voyant la couverture aux couleurs très marquées, sur laquelle un homme à l’allure christique tient dans ses bras un « mixbody » mi-homme mi-bête, on a envie de feuilleter cette BD. Et à la lecture, on n’est pas déçu! Les dessins et l’ambiance de cet album inclassable font penser aux romans graphiques de l’auteur américain Charles Burns, en particulier « Black Hole », dans lequel des adolescents sont confrontés à une étrange mutation de leurs corps. A la base, Ludovic Debeurme avait écrit cette histoire pour un autre dessinateur que lui. Mais finalement, il a préféré la mettre en images lui-même. Il faut dire qu’il ne s’agit pas d’un simple récit fantastique. En réalité, c’est bel et bien une BD engagée, même si l’auteur affirme qu’il a écrit cette histoire sans se rendre compte qu’elle était politique. En premier lieu, le livre dénonce la manière dont nous maltraitons notre Terre. « Epiphania raconte un système insoutenable pour la planète, qui riposte à travers les mixbodies », explique Ludovic Debeurme au magazine Télérama. « Notre société est anthropocentrée, comme si les humains étaient des élus, des dominants auxquels l’environnement appartient. » Mais au-delà de son message environnemental, « Epiphania » est aussi et avant tout une métaphore sur le rejet des étrangers dans notre société. La grande difficulté qu’ont les humains à intégrer les « mixbodies », qui grandissent beaucoup plus vite que les autres enfants et qui possèdent des capacités physiques plus importantes, fait forcément penser au mauvais accueil réservé par les pays occidentaux aux réfugiés et aux migrants. Avec à la clé une violence extrême, lorsque des groupuscules anti-mixbodies apparaissent, aux pratiques proches de celles du Ku Klux Klan. David et Koji parviendront-ils à survivre dans ce chaos? Il faudra attendre le tome 2 pour le découvrir!