Chroniques ciné : des femmes et des maîtresses

Me revoilà pour de nouvelles explorations cinématographiques ! Retour en France avec quelques acteurs et actrices emblématiques, et de fascinants triangles amoureux.

Tout d’abord, je voulais découvrir Mireille Darc ; il est bien triste qu’on n’apprenne à connaître certaines personnalités qu’à leur décès (cela m’était déjà arrivé avec la merveilleuse Jeanne Moreau), mais j’imagine que cela vaut toujours mieux que de passer à côté. Quelques documentaires sur sa vie m’avaient donné envie de voir La Barbare, adapté par elle d’après le roman de Katherine Pancol, mais je n’ai malheureusement pas pu le trouver en ligne !

Du coup, je me suis contentée de Galia, pour la voir au moins en tant qu’actrice. Galia est une jeune femme libérée, fougueuse et indépendante. Vivant seule à Paris, elle s’amuse et enchaîne les histoires d’un soir mais n’a jamais connu l’amour. Il faut aussi l’avouer, elle s’ennuie un peu et aspire à connaître autre chose, à l’aventure… Un soir sur les quais, elle sauve la vie d’une autre femme, Nicole, qui se jette à l’eau sous ses yeux. La recueillant chez elle, elle apprend son histoire : celle d’une union malheureuse, d’un mari volage…

La libre Galia encourage alors l’épouse à ne pas rentrer de sitôt dans un foyer où elle dépérit ; ayant laissé une lettre d’adieu, elle peut bien laisser mariner son cher et tendre un peu plus longtemps, lui donner une petite leçon. Elle-même se porte volontaire pour le surveiller de loin, noter ses réactions. De loin… mais bientôt de plus en plus près. Le dragueur invétéré, qui ne semble pas désespéré par sa perte apparente, est très facile à approcher… Si Galia ne joue d’abord le jeu qu’à contrecœur et pour faire plaisir à sa nouvelle amie, elle finit par se laisser prendre au piège — le piège de sentiments qu’elle n’aurait jamais soupçonnés, et qui vont tout changer.

L’histoire de ce triangle se développe de manière très intéressante, s’approfondissant de plus en plus. On apprécie d’abord la complicité naissante entre deux femmes, la solidarité, l’envie de Galia de pousser Nicole à s’affirmer et prendre de l’indépendance. Plus forte, elle lui permet une sorte de petite revanche par procuration, le plaisir de se jouer de son mari… Jusqu’à ce qu’elle prenne sa place de manière bien plus totale, aussi inattendue que pernicieuse pour elle deux, en devenant la maîtresse de celui-ci.

Le mari ne semble au départ qu’un coureur et un beau parleur sans grand intérêt, qui n’impressionne pas plus notre héroïne que le spectateur. Il n’est pas tellement approfondi par la suite, ne paraissant que l’instrument de la tragédie… Il semble tout de même se satisfaire un peu trop de la disparition de son épouse, et on voit poindre quelques côtés inquiétants. Mais la majorité du film se joue tout de même entre les deux femmes — l’une censément décédée, l’autre tellement vivante… Mais prisonnière d’un mensonge qui lui pèse de plus en plus. Tout serait tellement plus simple si Nicole était vraiment morte : le leitmotiv est de plus en plus récurrent, de plus en plus impérieux, faisant naître une atmosphère oppressante. La tension, le malaise entre elles sont très puissants, très bien portés par Mireille Darc et Françoise Prevost. On sent se profiler une fin tragique… mais bien sûr, pas tout à fait celle qu’on attendrait.

On l’aura compris, j’ai beaucoup aimé ces personnages et ces actrices — la solaire Galia, de plus en plus rongée par cet amour entravé, et Nicole au départ si fragile, mais qui regagne progressivement de la force et une sombre assurance. C’est un peu une lutte pour la vie que cette rivalité entre elles deux : Nicole, qui s’est toujours déclarée inexistante, passe tout le film cachée mais cependant bien là, comme une ombre qui refuse de s’effacer. Elle qui connaît son mari par cœur, qui le sait veule, inconstant et volage, représente la réalité que Galia voudrait ne plus voir. Mais la réalité s’impose toujours au final.

Chroniques ciné : des femmes et des maîtresses

J’ai ensuite vu Trop belle pour toi de Bertrand Blier, avec Gérard DepardieuJosiane Balasko et Carole Bouquet. L’histoire d’un homme entre deux femmes : une épouse, une maîtresse, une superbe, une moins. Ça vous semble banal ? Attendez voir : notre infidèle est marié à la belle… qu’il trompe avec sa secrétaire, d’apparence pourtant assez commune.

Apparemment, il y a de quoi tomber par terre. Et le film en joue avec une cruauté jubilatoire. On le saura, Colette (Josiane Balasko) n’est pas un top model : elle a un peu de charme, elle est mignonne, mais sans plus… Et pourtant, la magie se fait. Entre elle et  Bernard (Gérard Depardieu), c’est immédiat, presque électrique. L’alchimie — et ce couple s’impose dans toute sa simplicité, comme une évidence. En contraste, Florence (Carole Bouquet) se pose en poupée fragile, trop parfaite, dans un cadre guindé. J’avoue d’ailleurs que je ne l’ai même pas trouvée si séduisante que ça, mais le personnage aussi est touchant dans son genre. En même temps, être trompée pour une fille pas bien belle, c’est pour elle le comble de l’humiliation et ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

L’histoire elle-même ne suffit pas à raconter ce film. Il manque le rythme enlevé, décalé, parfois dur à suivre : flash-backs, mélanges entre le passé et le présent, voire les fantasmes des personnages qui semblent se mêler au réel… Il y a aussi l’humour féroce, la parole libre et parfois crue, le côté « grande gueule » si savoureux. Il y a la musique de Schubert, récurrente et contre laquelle Bernard ne cesse de pester : elle le bouleverse trop, cette musique, et ça le dérange. « Ce n’est pas pour moi, Schubert », dira Colette amèrement. Schubert, c’est pour les belles et les riches, pas les garagistes et les intérimaires…

Comme ça, mine de rien, on met le doigt là où ça fait mal : nos stéréotypes. La lâcheté aussi, face à ces mêmes stéréotypes, face à la vie et aux convenances — la lâcheté d’un homme entre deux femmes, qui s’en va, qui revient, qui ne sait pas ce qu’il veut. Un grand gaillard fragile, qui parle fort pour faire oublier tout ce qu’il n’arrive pas à dire. Depardieu, quoi.

Pour résumer en quelques mots : drôle. Saugrenu. Poignant. Charnel. Une surprise, et un vrai petit délice.

Chroniques ciné : des femmes et des maîtresses

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