Charles Bukowski (1920-1994) est un écrivain américain d’origine allemande. Après avoir fait mille métiers, certains plus sordides que postier ou employé de bureau, connu la misère et la prison, il se lance dans l’écriture de poèmes puis de romans et nouvelles.
Bukowski et moi c’est une vieille histoire puisque j’ai encore dans ma bibliothèque son premier bouquin paru en France, Mémoires d’un vieux dégueulasse sorti en 1977 dans la collection Speed 17 et traduit par Philippe Garnier. Je l’ai beaucoup lu par la suite, à l’exception de ses poésies, genre que je ne prise guère. Alors quand une nouveauté de l’écrivain paraît, comme aujourd’hui ce bouquin, je ne suis pas le dernier à me précipiter chez mon libraire. Il s’agit d’un recueil de lettres, en majorité inédites, écrites entre 1945 et 1993, envoyées à ses éditeurs, à des magazines où il plaçait ses textes, à des écrivains… Et comme le titre l’indique, nous n’auront ici que des missives, complètes ou fragmentaires pour rester dans le propos, ayant pour thème l’écriture et la littérature.
De nos jours, dans le public, j’imagine qu’il y a trois groupes de gens, ceux qui ne savent pas qui est Bukowski, ceux qui apprécient ses livres (comme moi) et une large part qui associe son nom à buveur et coureur de filles ainsi qu’à sa sortie du plateau de télévision où il était l’invité de Bernard Pivot en 1978. Je plains le premier et le dernier groupe. Certes, Bukowski picolait méchamment, il ne s’en est jamais caché, alcoolique grave il a manqué maintes fois d’y laisser la vie et quand il ne buvait pas, voire en parallèle, le « vieux dégueulasse » était toujours à l’affût d’un popotin bien roulé ou prêt à parier son dernier dollar sur un canasson. Paradoxe : tout cela est sans intérêt tout en étant extrêmement important pour s’immerger dans l’œuvre de l’écrivain.
Ce qui saute aux yeux à la lecture de cet ouvrage : pas d’entourloupe, Buk n’est pas du genre à finasser ou tenter de modérer ses propos pour faire le beau et plaire à la postérité ; Bukowski c’est du brut de décoffrage. Autant sur lui-même que sur les autres, il ne cache rien de ses dépendances, il les revendique même. Son autocritique l’autorisant à ne pas mâcher ses mots avec quiconque.
Bukowski n’était pas calé en orthographe et grammaire, il s’en fichait, l’important résidant dans l’écriture (« Mon écriture est rêche et tranchante. J’aimerais qu’elle le reste, je ne veux pas qu’on l’adoucisse. »). Tout le livre est le plaidoyer d’un écrivain n’ayant vécu que pour l’écriture, revendiquant la liberté la plus absolue dans la rédaction de ses textes et poèmes («Autorisons-nous l’espace et l’erreur, l’hystérie et la peine »). Le Vieux Buk se moquait de la gloire et de l’argent, seule la musique de sa machine à écrire lui permettait de survivre et contrairement à ce que certains peuvent penser à la vue de sa vie bordélique, il croyait dur comme fer « aux vertus du travail et à la vie de reclus ».
Souvent ses jugements sont excessifs, du genre ils sont tous nuls sauf moi, et s’il encense Dostoïevski, Tourgueniev, Céline, Fante, Sherwood Anderson… il casse net Faulkner (« très souvent c’est de la merde, enfin de la merde intelligente ») ou la majorité des poètes (« c’est la technique employée par la plupart des poètes à chier : apparaître plus profond qu’ils ne le sont ») : c’est une preuve de caractère et tout du long de sa vie et de ses lettres, on verra qu’il garde toujours le même cap.
Je m’aperçois que mon billet prend des proportions inquiétantes tant ce recueil m’a emballé car au travers de ces missives, étalées sur cinquante ans, nous sommes au plus près de l’homme Bukowski, cet écrivain intransigeant sur la conception de son art. Toujours lucide sur lui et les autres, même quand il est bourré et puis, il y a ces nombreux passages très drôles ou ses réflexions désopilantes (mon bouquin est plein d’annotations).
Quelque soit votre connaissance de Bukowski vous lirez ce livre qui transpire la vérité crue avec ses odeurs de sueurs et autres fluides corporels. Personnellement j’ai adoré la lettre à son éditeur et ami John Martin du 29 août 1978 (p.221) d’une très grande beauté et plus généralement, il me semble que les cents dernières pages sont les plus réussies, les lettres sont mieux structurées et souvent les plus émouvantes, Bukowski constate que l’époque change et s’en désole : « Les écrivains semblent écrire pour être connus en tant qu’écrivains. Ils n’écrivent pas parce que quelque chose les conduit vers la marge. » (1990).