Le catalogue Delirium s'étoffe avec de petites pépites pas forcément connues en France comme le démontre si bien Last American de John Wagner, Alan Grant et Mick McMahon, une œuvre marquée par son époque et qui nous parle d'une manière atypique de la peur de l'holocauste nucléaire.
Alors qu'était déclenchée la Guerre Nucléaire, le Capitaine de l'U.S. Army, Ulysses S. Pilgrim, a été cryogénisé pour une période de vingt ans avec la mission de retrouver les survivants américains et de reconstruire la Nation. Accueilli par 3 robots, le soldat s'en va traverser une partie des Etats-Unis pour accomplir sa mission mais son pays a bien changé et il ne trouve que poussière et squelettes. Est-ce que son patriotisme arrivera à le motiver ou sombrera-t-il dans la folie ?
L'histoire est composée de 4 chapitres durant lesquels nous suivons donc ce capitaine parcourant les Etats-Unis accompagné de 3 robots dont un qui semble avoir grillé ses circuits à force d'avoir regardé la télévision pendant 20 ans. Chacun des chapitres correspond à l'état moral du soldat : le devoir, la folie, l'espoir et la résignation. Ces derniers ne s'enchaînent pas de manière abrupte, le voyage qu'entreprend le soldat l'amène naturellement à ces différents stades, parfois aidés par ses robots qui, eux aussi, ont des missions précises.
Le fait est que Ulysses n'est qu'un simple homme, un soldat banal à qui on promet une grande mission et qui se retrouve face aux conséquences du pays qu'il doit servir, rend le récit encore plus fort. Son destin semble croiser celui d'un grand homme mais, finalement, ce n'est peut-être que le simple hasard. Le récit n'essaie pas d'apporter de réponses à tout mais offre une base solide de réflexion sur le monde qui nous entoure et le patriotisme ambiant.
Oui, Last American est une œuvre politique où les flingues et les chars d'assaut ont un autre but que de tirer sur "l'ennemi". Ecrit et conçu en pleine ère Reagan, au cœur de la Guerre Froide, ce comic book a pour but de faire réfléchir sur les conséquences d'un tel conflit. Finalement, l'œuvre ne veut pas seulement nous montrer de manière frontale les conséquences, elle veut surtout nous faire réfléchir sur le sens de ce conflit perpétué au nom de gens normaux, des gens comme Ulysses qui ne veulent certainement pas voir cette désolation et subir cette solitude.
Cette histoire qui est contenue entièrement dans ce magnifique album au format européen et avec couverture rigide est une grande histoire parce qu'elle dérange et intrigue. Elle gratte là où ça fait mal et, lorsqu'on ferme le livre, nous ne restons pas impassibles face à ce que nous avons lu. Il y a des images, des réflexions, même des phrases qui restent en mémoire et font vivre le récit au-delà de son œuvre.
En plus de ça, Wagner et Grant insèrent une touche d'humour bien à eux, très cynique qui s'intègre parfaitement à l'ambiance générale du récit. Il faut dire que les deux auteurs sont connus pour leurs écrits dans le magazine 2000 A.D. où ils ont déjà éprouvé ce genre de récits. Mais je trouve que ce récit a une autre saveur, d'autant plus qu'il critique l'Amérique alors qu'il s'agit d'une œuvre créée de toutes pièces pour le public américain. Quelque part, ça force le respect !
Au-delà du récit, les dessins sont magnifiques. McMahon a un style graphique bien à lui, très géométrique, angulaire. La narration est plutôt européenne avec une action découpée, moins cinématographique mais garde une lisibilité idéale afin de comprendre ce qu'il se passe. Mais, la plus grande force de la partie graphique reste les couleurs de l'artiste qui a opté pour la peinture. Le choix des couleurs avec des teintes de vert et de rouge marquant la désolation et la destruction contrastent avec le bleu de l'uniforme comme s'il voulait pointer le responsable de ce désastre.