Éditions Le livre de poche, 2016 (277 pages)
Ma note : 15/20Quatrième de couverture ...
"Au centre de la pièce, fixé à un chevalet droit, se dressait le portrait en pied d'un jeune homme d'une extraordinaire beauté physique, devant lequel, à peu de distance, se tenait assis le peintre lui-même, Basil Hallward, celui dont, il y a quelques années, la disparition soudaine a, sur le moment, tant ému le public et donné lieu à d'étranges conjectures."
Or Dorian Gray, jeune dandy séducteur, a fait ce vœu insensé : garder toujours l'éclat de sa beauté, tandis que le visage peint sur la toile assumerait le fardeau de ses passions et de ses péchés. Et, de fait, seul vieillit le portrait où se reflète l'âme noire de Dorian. Projeté dans un Londres lugubre, le lecteur découvre également dans ce livre la comédie de salon des beaux quartiers. Lorsqu'il parut en 1890, il fut considéré comme immoral. Sa singularité est pourtant d'être un roman réaliste et un roman d'esthète - fascinants, l'un et l'autre, d'une étrangeté qui touche au fantastique.
La première phrase
" L'atelier était empli du capiteux parfum des roses, et, lorsque la légère brise d'été frémissait parmi les arbres du parc, la lourde odeur du lilas franchissait la porte ouverte, à moins que ce ne fût la senteur plus délicate de l'églantine aux fleurs rosées. "
Mon avis ...
Ma rencontre avec le grand Oscar Wilde, écrivain irlandais, remonte à 2015. J'avais alors plutôt apprécié Le fantôme de Canterville, une nouvelle fantastique mêlant habilement humour et sueurs froides. Depuis, il me tardait de découvrir Le portrait de Dorian Gray, unique roman de son auteur. Et quelle jolie surprise ! Je dois cependant vous avouer deux choses : j'ai surtout été captivée par le dernier tiers du roman ; j'ai parfois eu beaucoup de mal à suivre le développement des paragraphes hautement descriptifs relatifs à l'Art et à la Beauté. Je ne peux cependant dire que je suis restée de marbre, tant j'ai été captivée par toute la réflexion apportée par Oscar Wilde à travers ce roman. Le final est quant à lui saisissant.
Au fil des pages, nous suivons essentiellement quatre personnages : Dorian Gray, un jeune dandy à la beauté innocente ; Basil Hallward, peintre de son état ; Lord Henry, un personnage hautement cynique ; LE fameux tableau, objet de tous les fantasmes mais également miroir de la nature humaine (ô combien complexe, on le sait). Face à l'influence pernicieuse de Lord Henry, personnage qui prône le culte de l'Art et du plaisir, le jeune Dorian en vient à souhaiter ne jamais vieillir. Seul son portrait, réalisé par Basil Hallward, prendra alors les marques du temps qui passe. Mais ce que Dorian Gray ne sait pas encore, c'est que le tableau portera tout autant les stigmates de ses vices et erreurs passées. Devant son double, son beau visage déformé par la laideur et la cruauté, Dorian Gray se retrouve alors très vite face à une certaine culpabilité. Rongé par le remords, envahi par le fantôme de ses crimes, Dorian en viendrait-il à regretter sa rencontre avec Lord Henry ? Sous couvert d'amitié, les deux hommes se fréquenteront pourtant jusqu'à la fin du roman.
Je dois dire que si j'ai trouvé le personnage de Lord Henry détestable à souhait, j'ai trouvé celui de Dorian Gray plutôt fascinant (même si parfois on ne peut plus agaçant). Si le jeune homme nous est au départ présenté comme un être parfait, au charme éthéré, il se laisse comme manipuler par Lord Henry pour ensuite pousser le vice à l'extrême. J'ai commencé par éprouver pour lui une certaine empathie (face à son manque d'expérience de la vie), pour ensuite m'en détourner et ressentir de l'agacement face à ses choix, ses erreurs. J'ai tout même trouvé intéressant qu'on puisse le voir douter, se remettre en question... Oscar Wilde explore alors toute la complexité de l'âme humaine.
J'ai grandement apprécié toute la palette de thématiques abordées via ce roman. L'engouement pour l'esthétisme/le Beau, côtoie ici les pires atrocités qu'un Homme puisse commettre. L'auteur apporte également quelques éléments de réflexion autour de l'ego, de la position sociale. La relation tissée entre Dorian Gray et Lord Henry évoque quant à elle la question de l'homosexualité (même si tout est suggéré via le texte, plutôt que dévoilé). Si ceci avait fait grand bruit à l'époque, je trouve intéressant que l'auteur ait fait le choix de mettre beaucoup de lui dans son écrit. On le retrouverait d'ailleurs dans chacun de ses personnages : "ce roman d'étrange apparence (...) contient beaucoup de moi-même. Basil Hallward est ce que je crois être ; Lord Henry, ce que le monde me croit ; Dorian, ce que je voudrais être - en d'autres temps, peut-être". Plutôt intéressant donc !
Je ne regrette absolument pas d'avoir lu Le portrait de Dorian Gray, bien au contraire. Si ce roman se montre bien moins accessible que Le fantôme de Canterville, il se fait plus adulte. Il offre matière à réflexion sur tellement de sujets : le Beau, la nature humaine, l'ego, le temps qui passe. C'est pour moi un roman d'une grande puissance qui mérite d'être lu au moins une fois dans sa vie. J'ai beaucoup apprécié cette plongée dans l'atmosphère mondaine du Londres de la fin du XIXe siècle.
Extraits ...
" Comme il tournait la poignée de la porte, son regard tomba sur le portrait que Basil Hallward avait peint de lui. Il eut, comme étonné, un mouvement de recul. Puis il entra dans sa chambre, semblant toujours perplexe. Ayant retiré la fleur de sa boutonnière, il sembla hésiter. Enfin il retourna examiner le tableau. Dans la lumière terne, atténuée, qui arrivait à filtrer à travers les persiennes de soie de couleur crème, le visage lui parut un peu modifié. L'expression paraissait différente. On eût cru qu'il y avait une ombre de cruauté dans la bouche. Eh oui, c'était bizarre. "