Retour en arrière. Ce deuxième roman de Pauline Dreyfus est dans la continuité du premier : Immortel, enfin, 2011, grand succès critique. Elle y racontait les manigances de Paul Morand pour se faire élire à l’Académie française, malgré son passé de collaborateur notoire et ses convictions fascistes à peine voilées.
2014, maintenant. Dans Ce sont des choses qui arrivent, Dreyfus explore la « collaboration passive » du grand monde et des aristocrates sous l’Occupation. Pour les vicomtes et les marquises, malgré les pénuries de guerre, la vie mondaine continue. La persécution des Juifs n’est rien sinon l’occasion de se faire remarquer par des mots d’esprits antisémites, qui font tout le sel des réceptions de bon ton, et qui procurent aux invités « la satisfaction de se dire que le monde est toujours le monde » (p. 187).
L’héroïne, la très distinguée duchesse de Sorrente, quelque peu étrangère au milieu social qui est le sien, traverse la deuxième guerre avec au cœur un terrible secret. Mariée à un hypocrite pétainiste admirateur de Napoléon, elle trouve un remède à sa solitude en lisant le Sodome et Gomorrhe de Proust (p. 166). Le secours miraculeux du roman proustien l’aide à affirmer ses convictions au milieu du gratin parisien, où « parler politique » est souvent de mauvais goût.
La Recherche du temps perdu s’achève avec l’année 1919 : Ce sont des choses qui arrivent pourrait presque en être un spin-off. Presque, parce que la méthode en est différente. Le narrateur proustien découvrait le grand monde par touches impressionnistes, parfois contrastées, toujours difficiles à interpréter définitivement. Le narrateur omniscient de Pauline Dreyfus, quant à lui, connaît déjà l’univers des salons. Tout ce qu’il nous en dit, toutes les familles de haute lignée qu’il est capable de citer, il en a lu l’histoire dans des manuels scientifiques ; les innombrables vices des aristocrates y sont autant de faits irréfutables, que la fiction se borne à documenter a posteriori.
L’intérêt de ce roman ne tient donc pas au raffinement de la progression narrative, comme chez Proust, mais plutôt au caractère de la duchesse, qui « fusionne en un seul personnage » les deux grands-mères de l’autrice, « celle qui allait chez Maxim’s pendant la guerre » et l’autre, la juive, contrainte de se dissimuler…
D’autres avis ailleurs : une chronique lumineuse sur France Info, quelques mots de Jérôme Garcin qui comme d’habitude n’a pas grand chose à dire, enfin Le Parisien, qui s’étonne de la tonalité ironique lorsqu’on touche à un sujet si grave (preuve que Pauline Dreyfus a réussi, comme le fait la duchesse dans le roman, à choquer les journaux bourgeois).
Pauline Dreyfus, Ce sont des choses qui arrivent, Grasset, 2014, 234 p., 18€.
Classé dans:Histoire, recension, roman
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