Pour Terry Gilliam (Monty Python) « Kurtzman était un dieu ». Pour Wolinski, un génie. Pour Goscinny, un ami qu’il admirait sans réserve. Pour Robert Crumb et Daniel Clowes, « un héros ». Pour Art Spiegelman, « un père spirituel ». Pour Gilbert Shelton et Gotlib, une source d’inspiration majeure. Pour le New-York Times, « une des figures les plus importantes de l’Amérique de l’après-guerre ».
Créateur de la mythique revue MAD, Harvey Kurtzman est une icône de la contre-culture aujourd’hui tombé dans l’oubli dont l’influence a rayonné jusqu’en Europe et inspiré (entre autres) les fondateurs d’Hara-Kiri et Fluide Glacial. Cette réédition de « C’est la jungle ! », son œuvre la plus emblématique publiée pour la première fois en 1959, permet de redécouvrir ce que beaucoup considèrent comme le premier roman graphique de l’histoire, vingt ans avant Will Eisner.
En quatre récits distincts, Kurtzman fait l’étalage de son formidable sens de l’humour et de la mise en scène. Deux de ces récits sont des parodies de séries télé des années 50. La première raconte l’enquête farfelue menée par un détective privé aux compétences aussi limitées que son QI, le tout sur fond de jazz et de poulettes bien roulées. La seconde est un western où un shérif ne cesse de provoquer en duel l’ennemi public n°1, qui ne cesse de tirer plus vite que lui. Celle ayant pour titre « Le cadre supérieur au complet de flanelle grise », à l’évidence autobiographique, raconte l’arrivée chez un éditeur de revues bas de gamme d’un nouvel employé naïf et pétri d’idéaux qui se heurte à la dure réalité d’un monde régit par une impitoyable économie de marché. Quant à la dernière, qui est de loin ma préférée, elle montre des péquenauds du sud profond qui vont s’empresser de lyncher un innocent après la découverte du corps d’une jeune femme dans un fossé. « Décadence dégénérée » (c’est le titre on ne peut plus explicite de cette histoire) est une attaque en règle contre les écrivains du sud comme Tennessee Williams ou Erskin Caldwell et leurs personnages de bouseux décérébrés (si vous avez lu « Le bâtard » de Caldwell, vous savez de quoi je parle).
Le dessin est simple, souple, spontané, épuré, du noir et blanc rehaussé d’un léger lavis gris clair porté par un découpage d’où se dégage une vivacité et un sens du rythme remarquables. Pour ce qui est des scénarios, les références à la culture populaire américaine des fifties ne sont pas toujours évidentes à saisir pour un lecteur d’aujourd’hui (français de surcroît). Il n’empêche, Kurtzman propose avec « C’est la jungle ! » un mélange de parodies et de satires analysant avec perspicacité les vices de la nature humaine. C’est drôle, mordant, ça bouscule les codes, c’est plein d’ironie et de sarcasmes, le tout distillé avec une grande finesse.
La réédition classieuse de ce petit bijou d’humour décalé permet de remettre en lumière le travail incroyablement novateur, féroce et sans concession d’un des plus grands noms de la BD. Une lecture indispensable pour les amateurs (éclairés) du genre.
C’est la jungle ! d’Harvey Kurtzman. (Traduit de l’anglais par Frédéric Brument). Wombat, 2017. 176 pages. 25,00 euros.
Toutes les BD de la semaine sont ches Stephie
Créateur de la mythique revue MAD, Harvey Kurtzman est une icône de la contre-culture aujourd’hui tombé dans l’oubli dont l’influence a rayonné jusqu’en Europe et inspiré (entre autres) les fondateurs d’Hara-Kiri et Fluide Glacial. Cette réédition de « C’est la jungle ! », son œuvre la plus emblématique publiée pour la première fois en 1959, permet de redécouvrir ce que beaucoup considèrent comme le premier roman graphique de l’histoire, vingt ans avant Will Eisner.
En quatre récits distincts, Kurtzman fait l’étalage de son formidable sens de l’humour et de la mise en scène. Deux de ces récits sont des parodies de séries télé des années 50. La première raconte l’enquête farfelue menée par un détective privé aux compétences aussi limitées que son QI, le tout sur fond de jazz et de poulettes bien roulées. La seconde est un western où un shérif ne cesse de provoquer en duel l’ennemi public n°1, qui ne cesse de tirer plus vite que lui. Celle ayant pour titre « Le cadre supérieur au complet de flanelle grise », à l’évidence autobiographique, raconte l’arrivée chez un éditeur de revues bas de gamme d’un nouvel employé naïf et pétri d’idéaux qui se heurte à la dure réalité d’un monde régit par une impitoyable économie de marché. Quant à la dernière, qui est de loin ma préférée, elle montre des péquenauds du sud profond qui vont s’empresser de lyncher un innocent après la découverte du corps d’une jeune femme dans un fossé. « Décadence dégénérée » (c’est le titre on ne peut plus explicite de cette histoire) est une attaque en règle contre les écrivains du sud comme Tennessee Williams ou Erskin Caldwell et leurs personnages de bouseux décérébrés (si vous avez lu « Le bâtard » de Caldwell, vous savez de quoi je parle).
Le dessin est simple, souple, spontané, épuré, du noir et blanc rehaussé d’un léger lavis gris clair porté par un découpage d’où se dégage une vivacité et un sens du rythme remarquables. Pour ce qui est des scénarios, les références à la culture populaire américaine des fifties ne sont pas toujours évidentes à saisir pour un lecteur d’aujourd’hui (français de surcroît). Il n’empêche, Kurtzman propose avec « C’est la jungle ! » un mélange de parodies et de satires analysant avec perspicacité les vices de la nature humaine. C’est drôle, mordant, ça bouscule les codes, c’est plein d’ironie et de sarcasmes, le tout distillé avec une grande finesse.
La réédition classieuse de ce petit bijou d’humour décalé permet de remettre en lumière le travail incroyablement novateur, féroce et sans concession d’un des plus grands noms de la BD. Une lecture indispensable pour les amateurs (éclairés) du genre.
C’est la jungle ! d’Harvey Kurtzman. (Traduit de l’anglais par Frédéric Brument). Wombat, 2017. 176 pages. 25,00 euros.
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