Une citation biblique pour ouvrir ce billet et vous comprendrez bientôt que cela s'imposait. J'aurais peu en choisir une plus longue, comme les versets 15 et 16 du chapitre 33 du livre d'Isaïe (eux aussi cités dans notre roman du jour), car elle colle parfaitement à notre histoire. Celle d'une alliance on ne peut plus étrange afin de mener un projet plein d'altruisme. Sam Bernett, figure du show business des années 1970-80, animateur radio, fondateur de RFM, raconte dans "le Parrain et le Rabbin" (paru aux éditions du Cherche-Midi), une de ces fascinantes petites histoires qui se noient dans la grande Histoire. Et la IIe Guerre mondiale regorge de ces faits mineurs, car ils ne changent pas la face du conflit, mais porteurs d'émotions fortes et reposant sur des situations improbables. Il a choisit d'aller droit au but, nous offrant un court roman (150 pages à peine) qui se lit d'une traite, mais qui aurait pu être plus étoffé.
L'année 1943 a été l'année un tournant pour l'Italie. Les Américains ont débarqué en Sicile et entamée une remontée de la péninsule, Mussolini est tombé, a été secouru par les Nazis, a fondé une nouvelle république d'opérette à Salo, mais, dans les faits, ce sont bien les Allemands qui, désormais, occupent et dirigent une bonne partie du pays.
Un changement aux conséquences terribles pour la communauté juive italienne. Le régime mussolinien avait, comme bien d'autres gouvernements européens, promulguer des lois raciales, mais il s'est opposé aux déportations massives. Après sa chute, les Allemands reprennent la main et décident d'appliquer au juifs italiens la même politique d'extermination que dans le reste de l'Europe.
Carlo, contrairement à ses parents, a échappé à la déportation. L'adolescent vit à Milan et, après cette terrible séparation, il a trouvé refuge dans une école hébraïque. L'établissement a été fermé, mais s'y cachent près d'une vingtaine d'enfants, certains très jeunes, hébergés par quelques adultes. Une vie clandestine, mais assez paisible, étant donné les circonstances.
Une nuit de novembre, Carlo se lève pour soulager un besoin pressant. C'est alors (hasard ou... providence ?) qu'il remarque du mouvement dans la rue devant l'école. L'allure des personnes présentes à cette heure devant le bâtiment ne laisse aucun doute : la Gestapo s'apprête à investir les lieux !
Carlo, qui ne cesse de repenser aux dernières paroles que lui a adressées son père ("Je veux que tu vives"), préviens alors Moshé, le rabbin, qui organise aussitôt la fuite. Il faut partir au plus vite, profiter d'un passage à l'arrière du bâtiment pour échapper aux assaillants. Il s'en faut de peu, mais le petit convoi réussit à se fondre dans la nuit, sans se faire repérer par les nazis...
Mais, où aller ? A vol d'oiseau, Milan n'est pas loin de la frontière suisse. Mais, le groupe ne se compose pas d'oiseaux. Ce sont des enfants pour la plupart, entre eux et la frontière, il y a des montagnes, c'est l'hiver et Moshé ne se fait aucune illusion : l'armée allemande aussi sera présente... Il n'y a pourtant guère le choix, ils ne peuvent compter que sur leur foi pour leur venir en aide...
A des milliers de kilomètres de Milan, dans le quartier de Williamsburg, à Brooklyn, des femmes et des hommes se démènent jour et nuit pour venir en aide aux juifs persécutés en Europe. Ils sont membres d'un Rescue Committee, maillon d'une chaîne bien plus importante cherchant des solutions pour pallier les carences de l'administration Roosevelt sur la question.
Les Etats-Unis, à la fin des années 1930, ont délibérément fermé la porte aux juifs voulant fuir l'Europe, et ce, malgré les avertissements concernant leur sort en Allemagne... Au sein du Rescue Committee, on se souvient de ces décisions et cela décuple la volonté, tandis que les rumeurs de génocide se précisent.
Les Rescue Committee collectent, classent et traitent des informations arrivant de partout. Ils hiérarchisent les besoins et, lorsque c'est possible, cherchent des solutions. Ce matin-là, l'histoire de l'école milanaise et de la fuite précipitée des enfants leur parvient au milieu d'une masse de documents. Mais, il ne fait aucun doute que cette action doit être prioritaire.
Reste à trouver comment. Certes, l'armée américaine a débarqué en Italie, mais elle ne contrôle que le sud du pays, bien loin de Milan et de la frontière suisse. La remontée ne fait que commencer (la bataille décisive de Monte Cassino ne débutera que dans quelques semaines, en janvier 1944) et les GI's ne seront d'aucun secours pour ces enfants.
Sur place, aucune des personnes ou mouvements de résistance avec lesquelles le comité est en contact ne peuvent intervenir. Peu à peu, le découragement gagne... Jusqu'à ce qu'un des membres ait une idée... saugrenue : pourquoi ne pas demander de l'aide à la Mafia, dont tout le monde sait qu'elle a joué un rôle important dans l'organisation du débarquement en Sicile ?
Pour le rabbin Chaskel Werzburger, qui dirige le comité, se pose une question délicate : peut-on demander à des assassins, des kidnappeurs, des trafiquants de drogue, bref, des gens sans morale, de les aider ? Et quand bien même ces juifs orthodoxes se résoudraient à cette extrémité, comment joindre les familles mafieuses new-yorkaises et les convaincre ?
Histoire vraie ou invention romanesque, je n'en sais rien. La quatrième de couverture parle d'un "récit authentique", sans plus de précision. Mais, après tout, peu importe, Sam Bernett nous raconte une histoire reposant sur une idée géniale : faire se rencontrer un rabbin et un des parrain de la Mafia, Joseph Bonnano, un homme qui aspire à devenir le capo de tutti capi.
Leur confrontation est l'un des moments forts du roman, à la fois drôle et terrible. Oui, c'est un moment drôle, parce que complètement décalé : un rabbin de plus de 70 ans parlant yiddish, citant la Torah et présent uniquement parce qu'il ne peut faire autrement, face à un mafieux, cynique, ambitieux, sans scrupule. Sans morale, du point de vue du religieux.
Mais, terrible, parce que la tension est à son comble : à New York, on sait que la situations des enfants juifs est d'une extrême urgence depuis qu'ils ont quitté Milan et que chaque minute qui passe les rapproche de la mort. Alors, il faut convaincre, accepter de jouer le jeu de cet hôte. Définir les clauses d'un véritable pacte avec le diable.
Joseph Bonnano, dont une autobiographie est parue récemment en France, fut l'un des plus jeunes chefs de famille de son époque, a connu par la suite des hauts et des bas, mais il a vécu jusqu'au début de ce siècle. Il est mort en 2002, à 97 ans, et vous verrez que le fait d'en parler n'est pas anodin, car l'espérance de vie d'un mafieux est rarement aussi longue et il y a un lien avec notre histoire.
"Celui qui sauve une vie sauve l'humanité toute entière", dit un verset du Talmud (qu'on retrouve d'ailleurs quasiment à l'identique dans le Coran). Cette phrase, aujourd'hui attachée au souvenir du film "la Liste de Schindler", pourrait tout à fait se poser pour les personnages que Sam Bernett met en scène dans "le Parrain et le Rabbin".
On sait les mafieux souvent très superstitieux, et c'est sans doute le cas de Bonnano, qui proposent à ses interlocuteurs juifs des conditions pour le moins surprenantes. Le rabbin l'accuse ouvertement d'avoir les mains couvertes de sang et le parrain ne nie pas, comment le pourrait-il ? Mais la puissance et l'ambition n'empêchent pas la mauvaise conscience et la crainte d'un châtiment divin...
Les discussions sont bien plus rudes dans le camp du Rabbin, sur le bien-fondé de ce choix, sur la dimension morale de cette affaire, entre le but recherché, éminemment noble, et l'allié choisi pour l'atteindre, absolument infréquentable. On a ainsi droit à un vif débat théologique (rassurez-vous, ce n'est pas rébarbatif) qu'il faut trancher.
Alors, celui qui sauve une vie sauve l'humanité, mais si cet homme est, par ailleurs, un assassin sans état d'âme, un gangster et un être méprisable, peut-on fermer les yeux sur ce funeste pedigree ? Un être mauvais ne peut-il avoir de bons côtés ? Est-il différent d'un homme bon quand il sert une cause juste ? "Le bien et le mal ont parfois des raisons que la raison ignore", conclut un des personnages non sans humour.
J'ai beaucoup aimé cette histoire, mais je dois reconnaître que j'ai eu comme un goût de trop peu en tournant sa dernière page. Je suis sans doute influencé par mes lectures habituelles, dont nombre de thrillers, techno-thrillers et thrillers historiques, mais je pense qu'il y avait matière à développer plus les différentes facettes du roman, à en faire un vrai thriller à la Ludlum ou à la Forsyth.
Je ne crois pas que ça ait été le but de Sam Bernett, qui raconte cette histoire au plus près, sans fioriture, ce que je dis n'est pas un reproche, mais vraiment une différence de perception des choses. De la première scène jusqu'au dénouement, des différents épisodes italiens aux scènes new-yorkaises, il y a matière à faire monter la sauce, et surtout la tension.
Et sans même entrer dans des considérations techniques, que ce soit en matière de narration ou dans le fond, sur la préparation des opérations et leur mise en oeuvre, j'ai trouvé qu'on aurait pu aller un peu plus loin dans la psychologie des différents personnages, dans leur présentation. On ne sait rien d'eux avant, bien peu après, tout se concentre sur quelques jours.
"Le Parrain et le Rabbin" reste un bon moment de lecture, mais qui est passé trop vite. J'aurais voulu accompagner plus longuement le groupe dans son odyssée vers la liberté, j'aurais voulu plonger plus longuement dans l'activité fébrile du Rescue Committee, j'aurais voulu avoir une vision plus large de la famille Bonnano, j'aurais voulu être de l'opération de sauvetage, la suivre de l'intérieur, connaître ses acteurs...
Bon, j'insiste là-dessus, et c'est finalement un sujet très intéressant : comment un écrivain ressent-il son histoire ? Que cherche-t-il à raconter et comment s'y prendra-t-il pour la partager avec le lecteur ? Il est tentant de reprocher à un écrivain de ne pas avoir écrit le livre que l'on aurait voulu lire (ce que je ne suis pas loin d'avoir fait), mais ce n'est pas notre rôle.
Nous lisons ce que nous soumettent les auteurs et les éditeurs, et c'est de cela que nous devons parler (certains écriraient "juger", mais je n'ai pas l'âme d'un juge, pas même sur une compétition de patinage artistique). "Le Parrain et le Rabbin" est un court roman et c'est très bien ainsi, c'est surtout une magnifique histoire, celle d'un improbable sauvetage, l'acte désintéressé de personnes peu fréquentables.
Une histoire qui s'inscrit dans un contexte historique riche, celui de la fin du fascisme italien. Une situation fondamentale pour les opérations alliées à venir, avec ce premier débarquement en Sicile qui ouvre une première brèche. En lisant "Le Parrain et le Rabbin", j'ai repensé à "Father", de Vito Bruschini, roman mafieux étroitement lié à cette reconquête américaine soutenue par la Mafia.
Et puis, surtout, on referme ce livre en se demandant ce que sont devenus ces enfants, Boaz, Carlo, Augusto et tous les autres... Je cite ces trois-là parce qu'ils "animent", si je puis dire, cette histoire. Sont-ils revenus en Italie une fois la guerre terminée ou leur destin s'est-il accompli ailleurs ? Mais tout cela, c'est une autre histoire... La leur.
L'année 1943 a été l'année un tournant pour l'Italie. Les Américains ont débarqué en Sicile et entamée une remontée de la péninsule, Mussolini est tombé, a été secouru par les Nazis, a fondé une nouvelle république d'opérette à Salo, mais, dans les faits, ce sont bien les Allemands qui, désormais, occupent et dirigent une bonne partie du pays.
Un changement aux conséquences terribles pour la communauté juive italienne. Le régime mussolinien avait, comme bien d'autres gouvernements européens, promulguer des lois raciales, mais il s'est opposé aux déportations massives. Après sa chute, les Allemands reprennent la main et décident d'appliquer au juifs italiens la même politique d'extermination que dans le reste de l'Europe.
Carlo, contrairement à ses parents, a échappé à la déportation. L'adolescent vit à Milan et, après cette terrible séparation, il a trouvé refuge dans une école hébraïque. L'établissement a été fermé, mais s'y cachent près d'une vingtaine d'enfants, certains très jeunes, hébergés par quelques adultes. Une vie clandestine, mais assez paisible, étant donné les circonstances.
Une nuit de novembre, Carlo se lève pour soulager un besoin pressant. C'est alors (hasard ou... providence ?) qu'il remarque du mouvement dans la rue devant l'école. L'allure des personnes présentes à cette heure devant le bâtiment ne laisse aucun doute : la Gestapo s'apprête à investir les lieux !
Carlo, qui ne cesse de repenser aux dernières paroles que lui a adressées son père ("Je veux que tu vives"), préviens alors Moshé, le rabbin, qui organise aussitôt la fuite. Il faut partir au plus vite, profiter d'un passage à l'arrière du bâtiment pour échapper aux assaillants. Il s'en faut de peu, mais le petit convoi réussit à se fondre dans la nuit, sans se faire repérer par les nazis...
Mais, où aller ? A vol d'oiseau, Milan n'est pas loin de la frontière suisse. Mais, le groupe ne se compose pas d'oiseaux. Ce sont des enfants pour la plupart, entre eux et la frontière, il y a des montagnes, c'est l'hiver et Moshé ne se fait aucune illusion : l'armée allemande aussi sera présente... Il n'y a pourtant guère le choix, ils ne peuvent compter que sur leur foi pour leur venir en aide...
A des milliers de kilomètres de Milan, dans le quartier de Williamsburg, à Brooklyn, des femmes et des hommes se démènent jour et nuit pour venir en aide aux juifs persécutés en Europe. Ils sont membres d'un Rescue Committee, maillon d'une chaîne bien plus importante cherchant des solutions pour pallier les carences de l'administration Roosevelt sur la question.
Les Etats-Unis, à la fin des années 1930, ont délibérément fermé la porte aux juifs voulant fuir l'Europe, et ce, malgré les avertissements concernant leur sort en Allemagne... Au sein du Rescue Committee, on se souvient de ces décisions et cela décuple la volonté, tandis que les rumeurs de génocide se précisent.
Les Rescue Committee collectent, classent et traitent des informations arrivant de partout. Ils hiérarchisent les besoins et, lorsque c'est possible, cherchent des solutions. Ce matin-là, l'histoire de l'école milanaise et de la fuite précipitée des enfants leur parvient au milieu d'une masse de documents. Mais, il ne fait aucun doute que cette action doit être prioritaire.
Reste à trouver comment. Certes, l'armée américaine a débarqué en Italie, mais elle ne contrôle que le sud du pays, bien loin de Milan et de la frontière suisse. La remontée ne fait que commencer (la bataille décisive de Monte Cassino ne débutera que dans quelques semaines, en janvier 1944) et les GI's ne seront d'aucun secours pour ces enfants.
Sur place, aucune des personnes ou mouvements de résistance avec lesquelles le comité est en contact ne peuvent intervenir. Peu à peu, le découragement gagne... Jusqu'à ce qu'un des membres ait une idée... saugrenue : pourquoi ne pas demander de l'aide à la Mafia, dont tout le monde sait qu'elle a joué un rôle important dans l'organisation du débarquement en Sicile ?
Pour le rabbin Chaskel Werzburger, qui dirige le comité, se pose une question délicate : peut-on demander à des assassins, des kidnappeurs, des trafiquants de drogue, bref, des gens sans morale, de les aider ? Et quand bien même ces juifs orthodoxes se résoudraient à cette extrémité, comment joindre les familles mafieuses new-yorkaises et les convaincre ?
Histoire vraie ou invention romanesque, je n'en sais rien. La quatrième de couverture parle d'un "récit authentique", sans plus de précision. Mais, après tout, peu importe, Sam Bernett nous raconte une histoire reposant sur une idée géniale : faire se rencontrer un rabbin et un des parrain de la Mafia, Joseph Bonnano, un homme qui aspire à devenir le capo de tutti capi.
Leur confrontation est l'un des moments forts du roman, à la fois drôle et terrible. Oui, c'est un moment drôle, parce que complètement décalé : un rabbin de plus de 70 ans parlant yiddish, citant la Torah et présent uniquement parce qu'il ne peut faire autrement, face à un mafieux, cynique, ambitieux, sans scrupule. Sans morale, du point de vue du religieux.
Mais, terrible, parce que la tension est à son comble : à New York, on sait que la situations des enfants juifs est d'une extrême urgence depuis qu'ils ont quitté Milan et que chaque minute qui passe les rapproche de la mort. Alors, il faut convaincre, accepter de jouer le jeu de cet hôte. Définir les clauses d'un véritable pacte avec le diable.
Joseph Bonnano, dont une autobiographie est parue récemment en France, fut l'un des plus jeunes chefs de famille de son époque, a connu par la suite des hauts et des bas, mais il a vécu jusqu'au début de ce siècle. Il est mort en 2002, à 97 ans, et vous verrez que le fait d'en parler n'est pas anodin, car l'espérance de vie d'un mafieux est rarement aussi longue et il y a un lien avec notre histoire.
"Celui qui sauve une vie sauve l'humanité toute entière", dit un verset du Talmud (qu'on retrouve d'ailleurs quasiment à l'identique dans le Coran). Cette phrase, aujourd'hui attachée au souvenir du film "la Liste de Schindler", pourrait tout à fait se poser pour les personnages que Sam Bernett met en scène dans "le Parrain et le Rabbin".
On sait les mafieux souvent très superstitieux, et c'est sans doute le cas de Bonnano, qui proposent à ses interlocuteurs juifs des conditions pour le moins surprenantes. Le rabbin l'accuse ouvertement d'avoir les mains couvertes de sang et le parrain ne nie pas, comment le pourrait-il ? Mais la puissance et l'ambition n'empêchent pas la mauvaise conscience et la crainte d'un châtiment divin...
Les discussions sont bien plus rudes dans le camp du Rabbin, sur le bien-fondé de ce choix, sur la dimension morale de cette affaire, entre le but recherché, éminemment noble, et l'allié choisi pour l'atteindre, absolument infréquentable. On a ainsi droit à un vif débat théologique (rassurez-vous, ce n'est pas rébarbatif) qu'il faut trancher.
Alors, celui qui sauve une vie sauve l'humanité, mais si cet homme est, par ailleurs, un assassin sans état d'âme, un gangster et un être méprisable, peut-on fermer les yeux sur ce funeste pedigree ? Un être mauvais ne peut-il avoir de bons côtés ? Est-il différent d'un homme bon quand il sert une cause juste ? "Le bien et le mal ont parfois des raisons que la raison ignore", conclut un des personnages non sans humour.
J'ai beaucoup aimé cette histoire, mais je dois reconnaître que j'ai eu comme un goût de trop peu en tournant sa dernière page. Je suis sans doute influencé par mes lectures habituelles, dont nombre de thrillers, techno-thrillers et thrillers historiques, mais je pense qu'il y avait matière à développer plus les différentes facettes du roman, à en faire un vrai thriller à la Ludlum ou à la Forsyth.
Je ne crois pas que ça ait été le but de Sam Bernett, qui raconte cette histoire au plus près, sans fioriture, ce que je dis n'est pas un reproche, mais vraiment une différence de perception des choses. De la première scène jusqu'au dénouement, des différents épisodes italiens aux scènes new-yorkaises, il y a matière à faire monter la sauce, et surtout la tension.
Et sans même entrer dans des considérations techniques, que ce soit en matière de narration ou dans le fond, sur la préparation des opérations et leur mise en oeuvre, j'ai trouvé qu'on aurait pu aller un peu plus loin dans la psychologie des différents personnages, dans leur présentation. On ne sait rien d'eux avant, bien peu après, tout se concentre sur quelques jours.
"Le Parrain et le Rabbin" reste un bon moment de lecture, mais qui est passé trop vite. J'aurais voulu accompagner plus longuement le groupe dans son odyssée vers la liberté, j'aurais voulu plonger plus longuement dans l'activité fébrile du Rescue Committee, j'aurais voulu avoir une vision plus large de la famille Bonnano, j'aurais voulu être de l'opération de sauvetage, la suivre de l'intérieur, connaître ses acteurs...
Bon, j'insiste là-dessus, et c'est finalement un sujet très intéressant : comment un écrivain ressent-il son histoire ? Que cherche-t-il à raconter et comment s'y prendra-t-il pour la partager avec le lecteur ? Il est tentant de reprocher à un écrivain de ne pas avoir écrit le livre que l'on aurait voulu lire (ce que je ne suis pas loin d'avoir fait), mais ce n'est pas notre rôle.
Nous lisons ce que nous soumettent les auteurs et les éditeurs, et c'est de cela que nous devons parler (certains écriraient "juger", mais je n'ai pas l'âme d'un juge, pas même sur une compétition de patinage artistique). "Le Parrain et le Rabbin" est un court roman et c'est très bien ainsi, c'est surtout une magnifique histoire, celle d'un improbable sauvetage, l'acte désintéressé de personnes peu fréquentables.
Une histoire qui s'inscrit dans un contexte historique riche, celui de la fin du fascisme italien. Une situation fondamentale pour les opérations alliées à venir, avec ce premier débarquement en Sicile qui ouvre une première brèche. En lisant "Le Parrain et le Rabbin", j'ai repensé à "Father", de Vito Bruschini, roman mafieux étroitement lié à cette reconquête américaine soutenue par la Mafia.
Et puis, surtout, on referme ce livre en se demandant ce que sont devenus ces enfants, Boaz, Carlo, Augusto et tous les autres... Je cite ces trois-là parce qu'ils "animent", si je puis dire, cette histoire. Sont-ils revenus en Italie une fois la guerre terminée ou leur destin s'est-il accompli ailleurs ? Mais tout cela, c'est une autre histoire... La leur.