Barbara Yelin : souvenirs brouillés

Par Femmesdelettres

Comment pouvait-on aimer, se marier, travailler, faire des enfants, espérer, s’irriter ou s’attendrir, dans l’Allemagne nazie ? Une bande-dessinée de Barbara Yelin, parue en 2014, tente d’y répondre. L’historien Alexander Korb a écrit la postface, où il dresse un état des lieux de l’historiographie sur le sujet. La subtilité du récit de Yelin et la qualité de ses dessins lui valurent le prix Artemisia de la BD féminine l’année suivante.

Ce qu’il y a de très appréciable dans cette œuvre, c’est l’altération progressive de l’héroïne, Irmina, femme de fort caractère, qui partage nombre de nos préoccupations contemporaines (l’accès au travail et à l’autonomie financière pour les femmes, etc.). Petit à petit, Irmina met de l’eau dans son vin, s’adapte aux circonstances et devient même une alliée du régime nazi en épousant un SS.

Les dessins sont parfois brouillés et presque abstraits, ce qui semble fréquent dans la BD d’aujourd’hui. Le temps n’est plus aux personnages soigneusement délimités en noir, d’Hergé ou d’Uderzo. De ce fait, ce sont les couleurs qui ont un sens dans Irmina (ainsi la couleur rouge désignera le nazisme, etc.). Le bleu à l’inverse signifie plutôt la vie terne qu’Irmina mènera à Londres lorsqu’elle tentera, encore jeune, de survivre avec très peu d’argent.

Finalement, la BD parvient à nous rendre triste la nouvelle du décès  du mari SS au front Est (c’est la double-page ci-dessus). En cela, elle a réussi « l’étrangement » qu’elle propose, la mise à l’épreuve de notre compréhension de l’humanité.

D’autres avis : Les Voyageurs du soir, Livre libre (blog du Monde), Livrons-nous qui fait de meilleures photos que moi, Au détour d’une histoire, BDzoom qui reproduit aussi certaines pages.

Barbara Yelin, Irmina, trad. Paul Derouet, Actes Sud, coll. l’an 2, 2014, 288 p., 26€.


Classé dans:bande dessinée, Histoire, recension