Il est des sujets éternels, comme la quête d'identité et la quête des origines. Hélas, pour beaucoup d'enfants abandonnés ou nés sous X, la réalité rattrape souvent la fiction. Mais, cette dernière, dans ce domaine, peut offrir une gamme de genres très différents pour traiter cette questions. Voici un polar qui met en scène une jeune femme, déterminée à savoir qui sont ses parents. Polar, parce que ce qu'elle va découvrir va l'envoyer plutôt à la chronique faits-divers qu'au carnet rose... "Privé d'origine", de Jérémy Bouquin (en format de poche aux éditions French Pulp), nous replonge dans la période agitée des "Années de plomb" et ce tournant des années 1970-80, marqué par le recours à la violence des mouvances révolutionnaires. Des thèmes assez classiques, mais une histoire prenante qui se développe à travers deux époques, servi par une écriture sèche, presque lapidaire, et rendant un hommage appuyé au néo-polar.
Kloé est bassiste dans un groupe punk rock qui connaît un joli succès. Elle est la dernière arrivée au sein du groupe, mais a déjà bien trouvé ses marques et s'éclate. Cette tournée s'achève par un concert sur la mythique scène du Printemps de Bourges, devant 5000 personnes déchaînées. Ensuite, place à quelques vacances bien méritées, avant de retrouver le studio pour enregistrer un nouvel album.
A l'issue de cette mémorable soirée, Kloé reçoit un message d'un dénommé Jasper. La jeune musicienne a embauché ce détective privé pour qu'il l'aide à retrouver la trace de ses parents, qu'elle n'a jamais connus. Elle sait depuis longtemps qu'elle a été adoptée et considère le couple qui l'a élevée comme ses parents, mais elle voudrait savoir d'où elle vient...
Jasper n'est pas du genre rigolo, ni très causant, mais il est efficace. Au prix où Kloé le paye, il peut. Et pourtant, il semble peiner à trouver des éléments concernant la jeune femme. Cette fois, cependant, il a du concret : un acte de naissance, dont Kloé se moque, car elle connaît déjà ce qu'il y a sur ce document. Mais le privé y joint une lettre, une lettre que lui a écrite sa mère...
Mieux encore, il aurait déniché des informations sur le père de la bassiste. Mais, Jasper semble mal à l'aise, hésitant... La piste mise au jour mène à un dossier classé "secret défense". Le père de Kloé serait recherché pour faits de terrorisme, une histoire remontant à plus de 30 ans. Un crime qui s'est déroulé en Italie, durant cette période qu'on appelle "les Années de plomb"...
1979, à Milan. Marco s'est engagé par idéalisme dans des groupuscules révolutionnaires. Il y a les Brigades rouges, bien sûr, le mouvement le plus fameux de cette époque d'une violence extrême. Et puis, il y a toute une nébuleuse de petits groupes plus ou moins bien structurés, plus ou moins bien préparés, dont certains ont tendance à glisser de l'action révolutionnaire vers le grand banditisme...
Ce coup-là, le braquage d'une bijouterie, ce n'est pas vraiment ce à quoi rêve Marco. Mais, il est là, une arme lourde à la main, faisant le guet... Quand tout dérape. La fusillade éclate, tout le monde tire, même Marco. Le bijoutier qui n'a pas voulu se laisser faire tombe, mais avant, il riposte. Et Marco est touché, grièvement...
Quand la police arrive sur la scène, ils ont l'impression d'être sur un champ de bataille. Les traces de la fusillade sont partout. Et, parmi elles, le sang de Marco, qui devient un indice capital. Une preuve qui peut l'envoyer à perpétuité derrière les barreaux. A peine conscient, le jeune homme est pris en charge par ses complices, qui l'évacuent.
Commence alors une longue cavale, qui va devenir un long exil. Impossible de rester en Italie, et même s'il l'avait voulu, il n'est pas en état de décider. Une nouvelle identité l'attend, une nouvelle vie, aussi, à condition de se remettre de cette sale blessure... Il doit laisser derrière lui ses idéaux, ses combats, faire profil bas et se faire oublier...
Les deux histoires, celle de Kloé et cette de Marco, vont s'entremêler, une parfaite alternance, un chapitre sur les recherches de la jeune femme, un chapitre sur la nouvelle existence de Marco. On se doute bien que ces deux-là sont liés, mais il reste encore à comprendre beaucoup de choses, pourquoi plus de 30 ans après sa naissance, Kloé a tant de mal à retrouver la trace de ses parents biologiques.
Ces raisons, on va les découvrir peu à peu, dans un récit qui ne va pas nous emmener tout à fait là où on l'imaginait. Ou, plus exactement, parce que les événements de Milan ne sont qu'un point de départ et pas la seule explication de tout cela. L'autre élément important, ce sont les difficultés auxquelles Kloé doit faire face dans ses recherches...
Tout cela est somme toute assez classique, dans le fond comme dans la forme, mais "Privé d'origine" reste un polar qui sait captivé son lecteur. D'abord, parce que ses deux personnages centraux sont attachants. Pour Kloé, pas besoin d'entrer dans le détail : elle cherche ses parents, elle est prête à tout, pour cela, même à se mettre en danger...
Quant à Marco, il est typiquement le genre de mec idéaliste qui, brutalement, s'est retrouvé confronté à la réalité. Il pensait oeuvrer pour un monde meilleur, pour renverser un système pourri qui exploite les êtres humains pour le profit. Et le voilà braqueur malgré lui. C'est cette naïveté qui le rend attachant, parce qu'on va découvrir qu'il n'a pas retenu la leçon...
Jérémy Bouquin s'appuie sur des événements réels pour construire son polar. Je ne vais pas tout détailler, car certains de ces événements sont au coeur de l'intrigue. Mais, je peux le faire concernant le braquage de Milan. Cette scène rappelle, avec quelques différences notables, certains faits qui ont valu sa condamnation par contumace à Cesare Battisti.
Soyons précis : Marco n'est pas Battisti, ni même un personnage pouvant y faire directement penser, l'histoire de "Privé d'origine" s'inspire simplement d'événements marquants de cette période, d'abord en Italie, puis en France, afin d'illustrer les dérives de mouvements de gauche radicale ayant opté pour le recours à la violence.
Une lutte clandestine à laquelle les Etats répondent de la même manière, avec le même genre de méthodes, le même côté violent, aussi. Je ne vais pas entrer dans le détail de cette facette du roman de Jérémy Bouquin, car, là encore, on touche à des points névralgiques de l'intrigue. Et en particulier, à certains personnages qui vont apparaître, dans la trame passée comme dans la trame présente.
Ces personnages, il faut vous laisser les découvrir, parce que l'auteur joue habilement avec certaines dimensions très noires de son histoire. En particulier, "Privé d'origine" repose sur un jeu d'ambiguïtés très bien mené, qui débute avec la rencontre entre Kloé et Jasper, évoqué en début de résumé. L'attitude du privé est un premier élément fort.
Jasper, ce n'est pas le genre de mec à se laisser intimider. Alors, pour qu'on le sente aussi hésitant, aussi mal à l'aise face aux informations qu'il a su dénicher, c'est que c'est du sérieux. Mais, de qui a-t-il peur, pour se conduire de cette façon et conseiller (c'est le titre de notre billet) à Kloé de renoncer à ses recherches ?
En parallèle, il y a le parcours de Marco. Bien sûr, l'histoire de Milan justifierait à elle seule qu'il se fasse très discret depuis si longtemps, d'autant que ce qu'on appelle la "doctrine Mitterrand", c'est-à-dire la décision présidentielle de ne pas extrader vers l'Italie les anciens activistes installés en France, n'est plus d'actualité.
Mais, on se doute bien que l'histoire d'un homme rangé des voitures ne peut pas suffire pour tenir sur 300 pages, un chapitre sur deux. Le fugitif va donc devoir affronter de nouvelles péripéties qui vont confirmer et son idéalisme, et sa terrible naïveté. Le reste, c'est le noeud du roman, un écheveau, même, que Kloé va, petit à petit, avec un culot monstre, démêler.
Il y a beaucoup de noirceur, dans "Privé d'origine", beaucoup d'interrogations, aussi. Le lecteur est aux prises avec des personnages dont il ignore quel jeu ils jouent exactement. Les apparences sont trompeuses, les évidences sont à bannir, et la traditionnel séparation entre bien et mal, entre gentils et méchants n'est qu'un leurre.
L'écriture de Jérémy Bouquin est sèche, sans chichi, sans gras. Des successions de phrases très courtes, sans grandes envolées, sans grandes descriptions. On va à l'essentiel, on avance, on attrape le lecteur, on ne le lâche pas. Je ne suis pas contre un peu plus de chair, de moelleux, mais il faut reconnaître que ce style sert le propos. On avance presque sans s'en rendre compte.
Jérémy Bouquin ne cache pas que ses influences viennent de ce mouvement littéraire qu'on a appelé le néo-polar, dont les fers de lance furent Jean-Patrick Manchette, Didier Daeninckx, Frédéric H. Fajardie, Thierry Jonquet, Jean-Bernard Pouy, Jean Vautrin ou encore Hervé Prudon, qui vient de disparaître.
Autant d'auteurs très engagés à gauche, mais sans angélisme et sachant se montrer aussi critiques sur les dérives de ces mouvements que sur cette société contemporaine qu'ils exècrent, amateurs d'ambiances très noires, de personnages marginaux... Autant d'éléments que l'on retrouve dans "Privé d'origine", jusque dans la partie contemporaine qui reproduit sans cesse les mêmes erreurs.
Né en 1975, Jérémy Bouquin est encore loin de la maîtrise de ses inspirateurs, tant dans l'élaboration de ses intrigues que dans le maniement de la langue, mais "Privé d'origine" est un polar qui atteint son but : piéger le lecteur, jouer au chat et à la souris avec lui, l'emmener vers des fausses pistes, instiller le doute...
La violence de son récit ne l'empêche tout de même pas de garder espoir. En choisissant de raconter cette histoire en partant de la volonté de Kloé de retrouver ses parents, il s'offre ce côté certes douloureux, mais exempt de tout autre type de questionnement. A la jeune femme, peu importent le passé, la politique, la violence, les trahisons, c'est son coeur qui prime sur tout.
Son pavé dans la mare va faire remonter la vase, va réveiller les poissons, plus ou moins gros, qui y dormaient depuis des années. Elle va devoir faire face à des obstacles, à des intimidations, à des fin de non-recevoir. Reste à savoir si elle pourrait se retrouver embringuée dans une histoire dangereuse où elle serait une proie, comme dans certains thrillers américains, style Morrell, Cobain ou Sackey.
Les éditions French Pulp affichent ouvertement leur volonté de renouer avec la tradition de la littérature populaire et même du genre dit "de gare", qu'on regarde souvent avec un certain mépris. En rééditant des livres qui ont connu le succès dans les années 1970-80 et en éditant de jeunes romanciers qui reprennent ce créneau, cette jeune maison entend renouveler ce genre à bout de souffle.
Avec Jérémy Bouquin, le contrat est parfaitement rempli. "Privé d'origine" correspond exactement à ce que l'on peut attendre : un roman noir qui offre à la fois un bon divertissement, sans oublier de donner au lecteur du grain à moudre et de quoi réfléchir. En particulier aux placards de notre Ve République, où l'on continue d'entasser de vilains petits secrets...
Kloé est bassiste dans un groupe punk rock qui connaît un joli succès. Elle est la dernière arrivée au sein du groupe, mais a déjà bien trouvé ses marques et s'éclate. Cette tournée s'achève par un concert sur la mythique scène du Printemps de Bourges, devant 5000 personnes déchaînées. Ensuite, place à quelques vacances bien méritées, avant de retrouver le studio pour enregistrer un nouvel album.
A l'issue de cette mémorable soirée, Kloé reçoit un message d'un dénommé Jasper. La jeune musicienne a embauché ce détective privé pour qu'il l'aide à retrouver la trace de ses parents, qu'elle n'a jamais connus. Elle sait depuis longtemps qu'elle a été adoptée et considère le couple qui l'a élevée comme ses parents, mais elle voudrait savoir d'où elle vient...
Jasper n'est pas du genre rigolo, ni très causant, mais il est efficace. Au prix où Kloé le paye, il peut. Et pourtant, il semble peiner à trouver des éléments concernant la jeune femme. Cette fois, cependant, il a du concret : un acte de naissance, dont Kloé se moque, car elle connaît déjà ce qu'il y a sur ce document. Mais le privé y joint une lettre, une lettre que lui a écrite sa mère...
Mieux encore, il aurait déniché des informations sur le père de la bassiste. Mais, Jasper semble mal à l'aise, hésitant... La piste mise au jour mène à un dossier classé "secret défense". Le père de Kloé serait recherché pour faits de terrorisme, une histoire remontant à plus de 30 ans. Un crime qui s'est déroulé en Italie, durant cette période qu'on appelle "les Années de plomb"...
1979, à Milan. Marco s'est engagé par idéalisme dans des groupuscules révolutionnaires. Il y a les Brigades rouges, bien sûr, le mouvement le plus fameux de cette époque d'une violence extrême. Et puis, il y a toute une nébuleuse de petits groupes plus ou moins bien structurés, plus ou moins bien préparés, dont certains ont tendance à glisser de l'action révolutionnaire vers le grand banditisme...
Ce coup-là, le braquage d'une bijouterie, ce n'est pas vraiment ce à quoi rêve Marco. Mais, il est là, une arme lourde à la main, faisant le guet... Quand tout dérape. La fusillade éclate, tout le monde tire, même Marco. Le bijoutier qui n'a pas voulu se laisser faire tombe, mais avant, il riposte. Et Marco est touché, grièvement...
Quand la police arrive sur la scène, ils ont l'impression d'être sur un champ de bataille. Les traces de la fusillade sont partout. Et, parmi elles, le sang de Marco, qui devient un indice capital. Une preuve qui peut l'envoyer à perpétuité derrière les barreaux. A peine conscient, le jeune homme est pris en charge par ses complices, qui l'évacuent.
Commence alors une longue cavale, qui va devenir un long exil. Impossible de rester en Italie, et même s'il l'avait voulu, il n'est pas en état de décider. Une nouvelle identité l'attend, une nouvelle vie, aussi, à condition de se remettre de cette sale blessure... Il doit laisser derrière lui ses idéaux, ses combats, faire profil bas et se faire oublier...
Les deux histoires, celle de Kloé et cette de Marco, vont s'entremêler, une parfaite alternance, un chapitre sur les recherches de la jeune femme, un chapitre sur la nouvelle existence de Marco. On se doute bien que ces deux-là sont liés, mais il reste encore à comprendre beaucoup de choses, pourquoi plus de 30 ans après sa naissance, Kloé a tant de mal à retrouver la trace de ses parents biologiques.
Ces raisons, on va les découvrir peu à peu, dans un récit qui ne va pas nous emmener tout à fait là où on l'imaginait. Ou, plus exactement, parce que les événements de Milan ne sont qu'un point de départ et pas la seule explication de tout cela. L'autre élément important, ce sont les difficultés auxquelles Kloé doit faire face dans ses recherches...
Tout cela est somme toute assez classique, dans le fond comme dans la forme, mais "Privé d'origine" reste un polar qui sait captivé son lecteur. D'abord, parce que ses deux personnages centraux sont attachants. Pour Kloé, pas besoin d'entrer dans le détail : elle cherche ses parents, elle est prête à tout, pour cela, même à se mettre en danger...
Quant à Marco, il est typiquement le genre de mec idéaliste qui, brutalement, s'est retrouvé confronté à la réalité. Il pensait oeuvrer pour un monde meilleur, pour renverser un système pourri qui exploite les êtres humains pour le profit. Et le voilà braqueur malgré lui. C'est cette naïveté qui le rend attachant, parce qu'on va découvrir qu'il n'a pas retenu la leçon...
Jérémy Bouquin s'appuie sur des événements réels pour construire son polar. Je ne vais pas tout détailler, car certains de ces événements sont au coeur de l'intrigue. Mais, je peux le faire concernant le braquage de Milan. Cette scène rappelle, avec quelques différences notables, certains faits qui ont valu sa condamnation par contumace à Cesare Battisti.
Soyons précis : Marco n'est pas Battisti, ni même un personnage pouvant y faire directement penser, l'histoire de "Privé d'origine" s'inspire simplement d'événements marquants de cette période, d'abord en Italie, puis en France, afin d'illustrer les dérives de mouvements de gauche radicale ayant opté pour le recours à la violence.
Une lutte clandestine à laquelle les Etats répondent de la même manière, avec le même genre de méthodes, le même côté violent, aussi. Je ne vais pas entrer dans le détail de cette facette du roman de Jérémy Bouquin, car, là encore, on touche à des points névralgiques de l'intrigue. Et en particulier, à certains personnages qui vont apparaître, dans la trame passée comme dans la trame présente.
Ces personnages, il faut vous laisser les découvrir, parce que l'auteur joue habilement avec certaines dimensions très noires de son histoire. En particulier, "Privé d'origine" repose sur un jeu d'ambiguïtés très bien mené, qui débute avec la rencontre entre Kloé et Jasper, évoqué en début de résumé. L'attitude du privé est un premier élément fort.
Jasper, ce n'est pas le genre de mec à se laisser intimider. Alors, pour qu'on le sente aussi hésitant, aussi mal à l'aise face aux informations qu'il a su dénicher, c'est que c'est du sérieux. Mais, de qui a-t-il peur, pour se conduire de cette façon et conseiller (c'est le titre de notre billet) à Kloé de renoncer à ses recherches ?
En parallèle, il y a le parcours de Marco. Bien sûr, l'histoire de Milan justifierait à elle seule qu'il se fasse très discret depuis si longtemps, d'autant que ce qu'on appelle la "doctrine Mitterrand", c'est-à-dire la décision présidentielle de ne pas extrader vers l'Italie les anciens activistes installés en France, n'est plus d'actualité.
Mais, on se doute bien que l'histoire d'un homme rangé des voitures ne peut pas suffire pour tenir sur 300 pages, un chapitre sur deux. Le fugitif va donc devoir affronter de nouvelles péripéties qui vont confirmer et son idéalisme, et sa terrible naïveté. Le reste, c'est le noeud du roman, un écheveau, même, que Kloé va, petit à petit, avec un culot monstre, démêler.
Il y a beaucoup de noirceur, dans "Privé d'origine", beaucoup d'interrogations, aussi. Le lecteur est aux prises avec des personnages dont il ignore quel jeu ils jouent exactement. Les apparences sont trompeuses, les évidences sont à bannir, et la traditionnel séparation entre bien et mal, entre gentils et méchants n'est qu'un leurre.
L'écriture de Jérémy Bouquin est sèche, sans chichi, sans gras. Des successions de phrases très courtes, sans grandes envolées, sans grandes descriptions. On va à l'essentiel, on avance, on attrape le lecteur, on ne le lâche pas. Je ne suis pas contre un peu plus de chair, de moelleux, mais il faut reconnaître que ce style sert le propos. On avance presque sans s'en rendre compte.
Jérémy Bouquin ne cache pas que ses influences viennent de ce mouvement littéraire qu'on a appelé le néo-polar, dont les fers de lance furent Jean-Patrick Manchette, Didier Daeninckx, Frédéric H. Fajardie, Thierry Jonquet, Jean-Bernard Pouy, Jean Vautrin ou encore Hervé Prudon, qui vient de disparaître.
Autant d'auteurs très engagés à gauche, mais sans angélisme et sachant se montrer aussi critiques sur les dérives de ces mouvements que sur cette société contemporaine qu'ils exècrent, amateurs d'ambiances très noires, de personnages marginaux... Autant d'éléments que l'on retrouve dans "Privé d'origine", jusque dans la partie contemporaine qui reproduit sans cesse les mêmes erreurs.
Né en 1975, Jérémy Bouquin est encore loin de la maîtrise de ses inspirateurs, tant dans l'élaboration de ses intrigues que dans le maniement de la langue, mais "Privé d'origine" est un polar qui atteint son but : piéger le lecteur, jouer au chat et à la souris avec lui, l'emmener vers des fausses pistes, instiller le doute...
La violence de son récit ne l'empêche tout de même pas de garder espoir. En choisissant de raconter cette histoire en partant de la volonté de Kloé de retrouver ses parents, il s'offre ce côté certes douloureux, mais exempt de tout autre type de questionnement. A la jeune femme, peu importent le passé, la politique, la violence, les trahisons, c'est son coeur qui prime sur tout.
Son pavé dans la mare va faire remonter la vase, va réveiller les poissons, plus ou moins gros, qui y dormaient depuis des années. Elle va devoir faire face à des obstacles, à des intimidations, à des fin de non-recevoir. Reste à savoir si elle pourrait se retrouver embringuée dans une histoire dangereuse où elle serait une proie, comme dans certains thrillers américains, style Morrell, Cobain ou Sackey.
Les éditions French Pulp affichent ouvertement leur volonté de renouer avec la tradition de la littérature populaire et même du genre dit "de gare", qu'on regarde souvent avec un certain mépris. En rééditant des livres qui ont connu le succès dans les années 1970-80 et en éditant de jeunes romanciers qui reprennent ce créneau, cette jeune maison entend renouveler ce genre à bout de souffle.
Avec Jérémy Bouquin, le contrat est parfaitement rempli. "Privé d'origine" correspond exactement à ce que l'on peut attendre : un roman noir qui offre à la fois un bon divertissement, sans oublier de donner au lecteur du grain à moudre et de quoi réfléchir. En particulier aux placards de notre Ve République, où l'on continue d'entasser de vilains petits secrets...