Dans l’œuvre de Simone de Beauvoir, les mémoires prennent une large part. La Force de l’âge raconte les années 1930, c’est-à-dire la jeunesse et les premiers pas. C’est l’époque où elle est toujours accompagnée de Jean-Paul Sartre. Partout, Beauvoir souligne combien elle s’éloigne désormais de ses anciennes marottes existentialistes de jeunesse, qui l’empêchaient de s’intéresser sérieusement à la vie de son temps, et par exemple à la psychanalyse : « nous restions figés dans notre attitude rationaliste et volontariste ; chez un individu lucide, pensions-nous, la liberté triomphe des traumatismes, des complexes, des souvenirs, des influences. Affectivement dégagés de notre enfance, nous ignorâmes longtemps que cette indifférence s’expliquait par notre enfance même » (p. 27).
C’est pourquoi la jeune Simone était tout sauf féministe : « je n’étais certes pas une militante du féminisme, je n’avais aucune théorie touchant les droits et les devoirs de la femme » (p. 73). Son existentialisme exalte au contraire l’absence de contraintes, la liberté absolue de l’être humain. Or cette idéologie naïve s’oppose complètement, à la fois à la femme révoltée qu’elle est devenue, et surtout au projet d’écrire des Mémoires, ce genre littéraire qui doit dégager les influences qui ont pesé sur notre vie. Toutes les anecdotes sont l’occasion de rappeler le décalage entre la jeune femme naïve et la maturité de la narratrice. Mais Beauvoir entretient avec la « force de l’âge », et avec ce fantasme de liberté absolue, un rapport ambigu. Elle ne le condamne pas complètement.
Elle raconte ainsi un épisode troublant. Un jour, elle parvient à échapper, de justesse, à une tentative de viol au cours d’une randonnée seule dans les Alpes. Voici ce qu’elle en conclut : « loin de me donner une leçon, cette petite histoire fortifia ma présomption : avec un peu de vigilance et de décision on se tirait de tout. Je ne regrette pas d’avoir longtemps nourri cette illusion, car j’y puisai une audace qui me facilita l’existence » (p. 109). En somme, Beauvoir semble le suggérer à demi-mots, ignorer tout du féminisme « facilite l’existence » des femmes et leur permet d’ignorer les dangers.
Dans l’ensemble, on retiendra de ses Mémoires une foule de remarques sur les comportements les plus étranges et les plus fous de l’humanité qui l’a entourée. À la fin du premier tome, elle visite même, par curiosité, un asile de fous, dont elle revient bouleversée.
Sartre et Beauvoir au café de Flore, un décor récurrent de La Force de l’âgeD’autres avis sur d’autres blogs : Anygold, le vlog HajarReads, Lecture/Ecriture, Taches d’Encre, bloc note neuf.
Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, Gallimard, 1960, 624 p., 26,20€.
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